« Anne et la maison aux pignons verts » de Lucy Maud Montgomery

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Quatrième de couverture

Sur le quai de la gare, Matthew attend l’orphelin qui les aidera, sa sœur Marilla et lui, à la ferme. Mais c’est une petite rouquine aux yeux pétillants qui se présente… N’ayant pas le cœur de la renvoyer, Matthew la ramène à Avonlea. Extrêmement attachante, Anne va rapidement séduire son entourage par son courage, sa détermination et sa débrouillardise.

À travers le récit de la vie d’Anne Shirley, une jeune orpheline, l’auteur nous invite à partager la vie des habitants de l’ïle-du-Prince-Edouard, au début du siècle dernier.

S’amuser de la magie des mots, rire de ses propres défauts, s’émerveiller face à la nature…

Voici un roman feel-good inoubliable, plein de malice.

  • Mon opinion

★★★★★

___Premier tome d’une série jeunesse incontournable outre-Atlantique, « Anne et la maison aux pignons verts » est depuis longtemps considéré comme un classique de la littérature canadienne. Un succès sans précédent qui n’a cependant jamais réussi à franchir nos frontières pour véritablement s’imposer en France. Bien moins connues chez nous, les aventures d’Anne n’avaient pas été rééditées depuis plusieurs années et restent de fait assez difficiles à se procurer. Une injustice que les éditions Zethel semblent déterminées à réparer en publiant cette année une réédition du premier tome. Une formidable initiative et une occasion en or de découvrir une héroïne aussi malicieuse que terriblement attachante !

___Après la mort de ses parents, Anne Shirley, âgée de 11 ans, se retrouve un temps ballotée de foyer en foyer avant d’atterrir à l’orphelinat de Hopetown, en Nouvelle-Ecosse. De là, elle est finalement recueillie par Marilla et Matthew Cuthbert, dans une ferme à Avonlea. Le frère et la soeur, qui s’attendaient à accueillir un petit garçon pour venir les aider aux travaux de la ferme, se trouvent totalement désemparés en voyant ainsi débarquer cette frêle fillette à la crinière flamboyante !

D’abord propulsée là par erreur, l’irruption d’Anne au milieu de ces deux individus discrets et peu loquaces va pourtant faire des étincelles. De fait, la petite orpheline à l’imagination débordante et à la langue bien pendue introduit autant de vie que de bonne humeur au sein du foyer Cuthbert. Jour après jour, Anne va ainsi rétablir le dialogue et resserrer les liens entre Mathew et Marilla. Tel un ange tombé du ciel, sa personnalité solaire illumine la maison et apporte de la chaleur dans le foyer. S’il est souvent bien difficile pour Marilla et Matthew de suivre le fil décousu des pensées de la fillette qui se laisse parfois porter par les élans de son imagination, tous deux tombent rapidement sous le charme de la fraîcheur et de la spontanéité de l’enfant. Touchés par l’histoire d’Anne et séduits par son tempérament, les Cuthbert n’ont bientôt plus le coeur à renvoyer leur protégée à l’orphelinat, et décident finalement de prendre en main son éducation.

« Quelle existence sans amour et sans consolations cette enfant avait connue ! Une petite vie de misérable esclave, solitaire et négligée ; Marilla était assez fine pour lire entre les lignes de l’histoire d’Anne, et pour deviner la vérité. Il n’était guère surprenant qu’elle eût été si enchantée à l’idée d’avoir enfin un chez-soi. » p70

___Depuis sa chambre du pignon est, Anne laisse jour après jour vagabonder son imagination dans ce décor bucolique. Curieuse et vive, elle se satisfait des bonheurs simples et des petites joies du quotidien. Avec ses yeux d’enfant, elle n’a pas son pareil pour s’émerveiller des détails les plus anodins, faisant voir à son entourage le monde sous un jour nouveau et en révélant des beautés insoupçonnées.

« Les yeux d’Anne, épris de beauté, s’attardaient sur le moindre détail, dévorant tout avec une immense gourmandise ; elle avait vu, dans sa vie, tant de lieux parfaitement laids, la pauvre enfant, que cet endroit était aussi beau que ses rêves les plus fous. » p.55

___A Avonlea, les ailes de son imagination fertile ne semblent connaître aucun obstacle. A peine arrivée à Green Gables, Anne s’approprie les lieux, rebaptisant les routes et les cours d’eau afin de leur donner des connotations féériques. Eprise de liberté et amoureuse de la nature, la fillette parle aux arbres et aux fleurs et multiplie les expéditions enchanteresses avant d’assourdir ses parents adoptifs du récit éclatant de ses découvertes. A ses côtés, le quotidien terne et monotone des deux fermiers laisse place à une vie plus mouvementée et riche d’aventures.

Petit bout d’humanité abandonné qui ne manque pas d’audace, Anne conquiert avec succès les coeurs de tous ceux qui l’entourent. Avec son optimisme sans faille et son enthousiasme inébranlable, elle sera d’ailleurs la seule à parvenir à fendre peu à peu la carapace du taciturne Matthew : « […] Matthew et moi, nous sommes si proches que je peux lire dans ses pensées comme dans un livre. » « Ils étaient les deux meilleurs amis du monde, et Matthew remerciait chaque jour la Providence de ne pas avoir à réglementer l’éducation de la petite. C’était là une responsabilité qui incombait à Marilla, et à elle seule ; si elle lui avait échue, il se serait trouvé sans cesse déchiré entre son affection pour Anne et son sens du devoir. » p.297 Jour après jour, on assiste à l’éclosion de sentiments de plus en plus forts dans le coeur de Matthew et Marilla. Leur attitude, résolument protectrice et attentionnée à l’égard de la fillette, témoignent d’un instinct parental sincère et affirmé.

___Avec ce livre respirant de bons sentiments et d’humanité, Lucy Maud Montgomery parvient à nous faire passer du rire aux larmes en quelques pages. Au-delà du simple roman jeunesse, « Anne et la maison aux pignons verts » est aussi un formidable roman d’apprentissage, qui aborde avec justesse les thèmes de la résilience, de la famille, de l’amitié ou encore du passage à l’âge adulte. Naïve, maladroite, fière et susceptible, Anne porte en elle tous les défauts de l’enfance. Gilbert Blythe, un de ses camarades de classe, l’apprendra d’ailleurs à ses dépens. Suite à une boutade, le garçon s’attirera en effet les foudres d’Anne et fera les frais de sa rancune tenace de nombreuses années. Blessée dans son orgueil, la fillette entretiendra longtemps avec son ennemi fraternel une compétition féroce, dont elle saura cependant tirer une force qui la poussera à se dépasser.

« « Tout feu tout flamme » comme elle l’était, les plaisirs et les chagrins de l’existence l’atteignaient avec une intensité exacerbée. » p.275

Aussi facétieuse que désarmante de sincérité, Anne est une héroïne irrésistible dont on suit les tribulations avec bonheur ! Certaines des péripéties de cette gamine débordante d’imagination (à l’instar de l’épisode du sirop de framboise ou gâteau à la vanille) ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles du personnage de Sophie de la Comtesse de Ségur. De fait, l’insatiable curiosité et le sens de la répartie de cette fillette au caractère bien trempé lui vaudront bien quelques ennuis; mais sa détermination, sa noblesse d’âme et son coeur d’or auront finalement raison de toutes ses erreurs.

« Marilla en était presque venue à désespérer de pouvoir jamais transformer cette enfant abandonnée en petite fille modèle aux manières posées et au comportement distingué. Elle n’aurait pas accepté d’admettre, en fait, qu’elle préférait infiniment qu’Anne demeurât comme elle l’était. » p.275

___Vive, sensible et impétueuse, les excès de son caractère se nuancent pourtant peu à peu, au gré des expériences et des épreuves auxquelles elle se trouve confrontée. A mesure que les années passent, la jeune effrontée un brin sauvage se métamorphose en jeune fille plus douce et posée. Plus réfléchie, ses jugements se font moins définitifs et péremptoires.

Parvenir à composer avec son histoire (aussi douloureuse soit-elle), se nourrir de ses expériences et apprendre de ses erreurs, tels semblent être quelques uns des messages clés du roman de Lucy Maud Montgomery. Paru en 1908, son récit a par certains aspects des accents avant-gardistes, notamment quant à la place de la femme dans la société. Surtout, à travers le personnage d’Anne et son parcours, l’auteure insiste sur l’importance de ne pas brider l’imagination, de toujours croire en ses rêves et du rôle fondamental de l’instruction dans la réalisation de l’individu. Véritable électron libre, à la fois ambitieuse et déterminée, Anne témoigne d’une force de caractère remarquable pour son époque. Portée par l’amour inconditionnel de ses parents de coeur et leur soutien indéfectible, elle trouve la force de faire fi des convenances pour prendre son destin en main.

Fidèle et loyale envers tous ceux qu’elle aime, Anne est un personnage terriblement attachant dont on suit le cheminement vers l’âge adulte avec tendresse et bienveillance. Agée de seize ans à la fin de ce premier tome, c’est le coeur serré que l’on quitte notre jeune héroïne aux portes de l’âge adulte.

Je remercie infiniment les éditions Zethel pour cette merveilleuse lecture !

  • Extraits

« Qu’il est bon d’avoir des buts dans l’existence ! Je suis contente d’en avoir autant. Et l’ambition a cet avantage de vous pousser toujours plus loin, de vous forcer à faire toujours mieux ; dès qu’on atteint un de ses objectifs, en voilà un autre qui surgit, encore plus lumineux, encore plus attirant, et c’est le désir de l’atteindre qui donne tant de piquant à la vie ! » p.432
« Nous payons le prix, en effet, de tout ce que nous recevons et acquérons en ce bas monde ; il est fort utile de se fixer des buts, mais il nous faut payer le prix fort pour les réaliser, en travail, en renoncements, en angoisses, en découragements. » p.440

« Le mystère Blackthorn » de Kevin Sands

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Quatrième de couverture

Londres, 1665. Christopher Rowe, orphelin de 14 ans, a été recueilli par l’apothicaire Benedict Blackthorn, qui lui enseigne les secrets de ses potions et remèdes. Mais une série de meurtres endeuille la ville : les victimes sont toutes des apothicaires amis de Blackthorn. Le responsable en serait la secte de l’Archange, organisation occulte prête à tout pour s’emparer du pouvoir.
  • Mon opinion

★★★★☆

___Londres, 1665. Apothicaire réputé et respecté, Benedict Blackthorn a pris sous son aile le jeune Christopher Rowe, un orphelin de 14 ans. Depuis trois ans, le jeune garçon suit un apprentissage intensif afin d’élargir ses connaissances et de parfaire son savoir. Outre les cours quotidiens, Benedict lui transmet sa passion de la lecture, mettant à la disposition de l’adolescent de nombreux ouvrages sur tous les sujets susceptibles de stimuler l’esprit et l’imagination. Entre le maître et le jeune élève, s’est progressivement établie une véritable relation filiale.

A une époque où les frontières entre médecine, pharmacie, alchimie et sorcellerie sont encore très floues, la limite entre apothicairerie, charlatanisme et sciences occultes n’a jamais été aussi mince. Aussi bienveillant qu’exigeant, Blackthorn n’a de cesse de tester son jeune élève, mettant à l’épreuve aussi bien ses connaissances que son sens moral et son intégrité. Dans son officine, il l’initie chaque jour à l’art des potions, lui livre les fantastiques pouvoirs des plantes et les secrets de fabrication de précieux remèdes.

Mais alors qu’une série de crimes atroces vient secouer la ville et que l’étau se resserre autour de l’officine Blackthorn, notre jeune apprenti se retrouve malgré lui entraîné dans une enquête aussi ténébreuse que dangereuse. Lancé sur les traces du – ou des – instigateurs à l’origine d’une série de crimes visant les apothicaires de la ville, Christopher devra redoubler de sang-froid et mettre en application les précieux enseignements de son maître s’il veut résoudre cette énigme.

___Avec ce premier roman, Kevin Sands pose les bases d’un univers foisonnant et signe une intrigue remarquablement maîtrisée et méticuleusement orchestrée. Mais parce qu’il serait dommage de déflorer cette intrigue aussi captivante que riche en rebondissements, je ne dévoilerai rien de plus que ce que laisse sourdre la quatrième de couverture quant aux évènements auxquels notre jeune héros va se trouver confronté.

Kevin Sands, scientifique de formation (il a fait des études de physique/chimie), a clairement mis ses connaissances au service de cette intrigue haletante qui mêle avec brio aventure et Histoire. Fort de sa passion pour les sciences et les mystères, il déroule une intrigue parfaitement huilée et propulse avec une remarquable efficacité le lecteur au coeur du XVIIe siècle. Dans cet univers hostile, le jeune lecteur n’a d’autres choix que de rester en permanence sur ses gardes. Entre conspirations, langages codés, décryptage de codes secrets,… le romancier fait en permanence travailler l’esprit du lecteur, prenant un malin plaisir à multiplier les énigmes et à brouiller les pistes.

La large typographie et la mise en page aéré séduiront à coup sûr les jeunes lecteurs, alors que les plus âgés seront agréablement surpris par la noirceur de certains rebondissements et des développements inattendus imaginés par l’auteur. Quoique s’adressant à un lectorat jeunesse, Kevin Sands ne ménage en effet ni ses lecteurs ni ses personnages dans cette intrigue décidément sans concession. Soucieux d’un certain réalisme, l’auteur a en effet fait le choix d’une tonalité au diapason de l’époque où se situe l’action de son récit. De fait, le romancier n’épargne pas ses personnages donnant parfois lieu à des scènes d’une noirceur inattendue pour un récit jeunesse.

___Sous-couvert du simple récit de divertissement, « Le mystère de Blackthorn » soulève également des enjeux plus profonds, engageant notamment une quasi réflexion éthique sur l’utilisation des découvertes scientifiques. Objet de rivalité et de convoitise, la quête de la Prima Materia se trouve ici à l’origine des machinations les plus sombres. A travers cette recherche effrénée, l’auteur met ainsi en garde sur la soif du pouvoir et sur les conséquences qui peuvent résulter de l’exploitation de nouvelles connaissances laissées entre les mains d’esprits mal intentionnés ou nourrissant de funestes desseins. C’est aussi l’occasion pour le jeune lecteur de découvrir les modalités de formation au métier d’apothicaire et le quotidien harassant des apprentis à cette époque. Les journées sont longues et les tâches à accomplir souvent ingrates voire dangereuses.

___Pour cette première incursion dans la littérature jeunesse, Kevin Sands a assurément su trouver le juste dosage entre suspense, action et humour. En filigrane de cette intrigue fleurant bon le mystère et l’aventure, on retrouve aussi réunis tous les thèmes de prédilection de la littérature jeunesse : amitié, loyauté, solidarité,… autant de sujets tour à tour évoqués et valorisés au décours de cette histoire menée tambour battant et qui emporte le lecteur dans le cercle secret des apothicaires. Un monde mystérieux, à la fois à part et captivant.

Réunissant tous les ingrédients d’un bon roman jeunesse, « Le mystère de Blackthorn » est un savant cocktail aussi explosif qu’efficace. Riche d’un univers fouillé et porté par des personnages bien campés, ce premier tome pose les bases d’une série aussi inventive que prometteuse. De fait, rien d’étonnant à ce qu’Eoin Colfer apparaisse en quatrième de couverture tant le parallèle entre les univers de ces deux auteurs et leur approche de la littérature jeunesse sonnent comme une évidence.

Tout au long du récit, Kevin Sands prend soin de consolider les fondations de l’univers qu’il a soigneusement bâti et distille habilement de nombreux indices laissant augurer un futur volet. De surcroit, en choisissant de situer son récit au coeur de la ville Londres en l’an 1665, le romancier fournit à son intrigue un contexte historique de premier choix. Epidémie de peste, grand incendie de Londres,… l’Histoire en marche réserve autant d’évènements propices et de pistes à exploiter en vue de futures aventures… qui s’annoncent déjà comme palpitantes !

Je remercie Babelio et les éditions Bayard jeunesse pour cette lecture ! 🙂

« Les ombres de Kerohan » de N. M. Zimmermann

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Quatrième de couverture

À douze ans, Viola a déjà traversé bien des épreuves. Lorsqu’elle est envoyée chez son oncle en Bretagne, avec son frère Sebastian, on lui dit que l’air marin lui fera du bien. Il paraît que son oncle est très riche, qu’il habite un manoir, à Kerohan, et que l’on peut s’y reposer. Se reposer, vraiment ? Certes, le parc est immense, et Viola et Sebastian ont chacun une chambre, mais il n’y a pas grand monde pour prendre soin d’eux.

Et qu’est devenue la prétendue fortune de leur oncle ? Le manoir est bien vide et, à Kerohan, Viola et son frère sont des proies faciles pour l’ennui et la solitude. Encore que… Peut-on parler de solitude quand d’étranges silhouettes parcourent les couloirs à la nuit tombée ? Quand Sebastian prétend avoir vu un korrigan ? Quand la salle de musique déserte résonne de la musique d’un piano ? Et que veille sur eux tous l’inquiétant docteur Vesper…

  • Mon opinion

★★★★☆

___Suite au décès de leur mère et au départ de leur père pour Londres, Viola et son jeune frère Sebastian se retrouvent contraints d’aller temporairement vivre en Bretagne auprès de leur oncle, Monsieur Kreven. Au terme d’un long voyage, les deux enfants sont accueillis à la gare par le mystérieux Dr Vesper, dépêché par leur oncle pour les conduire au manoir.

Dans cette vaste demeure, Viola et son frère sont rapidement saisis par le silence pesant et l’atmosphère sépulcrale qui baignent le lieu. En dehors de Madame Lebrun, les domestiques semblent tous avoir déserté les lieux. Et nulle trace non plus de leur tante ni de leur cousine, Ismérie: leur « santé fragile » contraignant ces dernières à rester alitées la majeure partie du temps.

Dès la première nuit, les angoisses des deux enfants augmentent d’un cran. Leur sommeil est en effet rapidement perturbé par la survenue de plusieurs évènements étranges qui ne tardent pas à se multiplier à mesure que les jours passent. Quels secrets peuvent donc bien dissimuler les murs de la vieille bâtisse et ses habitants, tous plus inquiétants et étranges les uns que les autres ?

*_____*_____*

Le roman gothique anglais est aujourd’hui encore une source d’inspiration féconde pour de nombreux auteurs, y compris pour ceux qui s’inscrivent dans le registre de la littérature jeunesse. Avec son dernier roman, N. M. Zimmermann livre à ses lecteurs une décoction qui évoque des relents des plus grands classiques de la littérature anglaise du genre. Une jolie réussite !

___Après la série Alice Crane, Sous l’eau qui dort, Dream Box (entre autres), c’est dans la Bretagne du XIXème siècle, que N. M. Zimmerman plante le décor de son nouveau roman. Dans « Les ombres de Kerohan », l’auteure joue habilement avec les codes du roman gothique ici repris au service d’un récit qui, bien que destiné à un jeune public, saura également séduire les lecteurs plus âgés. Difficile en effet de ne pas se laisser happer par l’atmosphère délicieusement ensorcelante et les ambiances crépusculaires de ce récit qui mêle avec brio atmosphère gothique et éléments du folklore breton.

___Le décès de la mère des deux enfants à la suite d’une longue maladie sert ici de point de départ à une aventure entraînante où le mystère flirte en permanence avec le fantastique. Il faut dire que N. M. Zimmerman joue habilement avec les nerfs du lecteur qui, longtemps, évolue à tâtons au coeur d’une intrigue mystérieuse qui semble à tout moment sur le point de basculer vers le fantastique. Page après page, la frontière entre monde réel et surnaturel se brouille et notre bon sens se trouve bientôt mis à rude épreuve.

___Dans cet univers brumeux et inquiétant, Viola, adolescente perspicace et pleine de ressources, s’attire très vite la sympathie du lecteur qui décèle en elle une alliée à la fois précieuse et rassurante. La jeune fille dont les doutes et les questionnements font directement échos à ceux du lecteur incarne en effet pour lui un point de repère essentiel dans cette histoire qui le charrie en permanence entre réel et fantastique,

___A un âge charnière entre enfance et monde des adultes, Viola, du haut de ses douze ans, est aussi une jeune fille tiraillée entre son rôle d’aînée et ses angoisses d’enfant. Veiller sur son frère, prendre les bonnes décisions et se montrer responsable se révèle cependant un fardeau bien lourd pour de si frêles épaules ! Cet antagonisme se retrouve d’ailleurs parfaitement illustré à travers la façon dont chacun des deux enfants appréhende les évènements auxquels ils se trouvent confrontés. Ainsi, alors que son petit frère ne semble pas douter (ni s’étonner) un instant du caractère surnaturel des évènements se déroulant à Kerohan, Viola – telle une adulte – s’efforce quant à elle de trouver une explication rationnelle aux phénomènes étranges qui se succèdent.

___Mais à mesure que les évènements inexplicables se succèdent, le doute s’immisce dans l’esprit de Viola et du lecteur. Ces phénomènes troublants ont-ils une explication rationnelle ? Viola et son frère, dévorés par le chagrin et bouleversés par ce « déménagement » forcé, ne sont-ils pas simplement victimes de leur imagination fertile, nourrie par le souvenir des histoires que leur racontait leur mère et le folklore local qui pare le lieu d’une aura chargée de magie ? A l’instar du « Tour d’écrou » d’Henry James, le récit de N. M. Zimmermann semble ainsi pouvoir s’appréhender au travers de deux voies : un angle fantastique d’abord (une histoire de fantômes) ou un angle « psychologique » et interprétatif. Selon cette dernière grille de lecture, les évènements décrits pourraient ainsi s’interpréter comme la simple résultante de la folie du narrateur (pouvant s’expliquer ici comme la conséquence du profond chagrin des enfants… combiné aux effets du vin chaud que leur administre assidument Madame Lebrun chaque soir !). Une théorie d’autant plus plausible que longtemps, l’auteure distille les indices pouvant l’accréditer. De fait, on est bientôt tenté de mettre en doute l’authenticité des phénomènes observés par les deux enfants, et l’on s’interroge sur leurs interprétations.

___Au-delà de la réussite esthétique (efficacité des atmosphères mises en place, maîtrise impeccable du rythme), le récit vaut surtout pour le formidable message qu’il sous-tend. Car sous couvert d’une intrigue accrocheuse et délicieusement angoissante, N. M. Zimmerman propose en effet une véritable réflexion sur le délicat travail de deuil qui suit la perte d’un être cher. Mettant en perspective les trajectoires de ses personnages, l’auteure place aussi au coeur de son roman la question de la résilience et de la reconstruction de l’individu après un drame. Surmonter sa douleur, réussir à aller de l’avant en dépit des épreuves qui jalonnent nos vies, ne pas se laisser dévorer par le passé et le chagrin… tels sont quelques-uns des messages clés sous-tendus par ce récit aux multiples grilles de lecture et qui cultive de bout en bout avec brio l’art de l’ambiguïté.

Manoir isolé, portes qui claquent, personnages inquiétants,… avec « Les ombres de Kerohan », N. M. Zimmerman reprend tous les ingrédients du roman gothique pour en livrer une variation aussi plaisante que réussie. Véritable hommage au genre, ce pastiche respectueux multiplie les références et assume pleinement ses influences. Certes, l’intrigue, délibérément orientée jeunesse, n’atteint évidemment ni la complexité ni la noirceur des classiques du genre dont elle s’inspire. Pour autant, on ne saurait tenir rigueur à l’auteure de ce détail, tant le message sous-jacent le récit se révèle au final aussi percutant qu’habilement amené.

Si à première vue, le dénouement semble donner au lecteur, sinon toutes, au moins une grande partie des clés du mystère, le récit se clôture néanmoins de manière suffisamment ouverte pour laisser au lecteur une confortable marge d’interprétation. De fait, libre à ce dernier de croire sur parole ou non à l’authenticité de ce récit qui, à l’instar des classiques du genre, cultive de bout en bout l’art de l’ambiguïté.

Je remercie une fois encore les éditions L’Ecole des Loisirs pour cette belle lecture!

« Quatre soeurs #3, Bettina » de Cati Baur (d’après Malika Ferdjoukh)

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Quatrième de couverture

Le printemps, saison du renouveau, des amours et des primeurs, éclate dans toute sa splendeur à tous les étages de la Vill’Hervé. Renouveau ? Oui. Harry et Désirée, les petits cousins, viennent passer des vacances au grand air. Charlie, à sec, s’est résignée à louer la chambre des parents. Le locataire s’appelle Tancrède, il est jeune, célibataire, drôle, fabricant d’odeurs bizarres. Et beau. Primeurs ? Trop. On retrouve des poireaux nouveaux partout, dans la soupe, coincés dans un cadre de tableau et même dans le pot d’échappement de la voiture de Tancrède. Toujours lui. Amours ? Hélas. Tancrède sème le trouble et récolte la tempête dans le cœur de Charlie. Bettina se languit du très très moche et si splendide Merlin. Enid fait des confidences. Geneviève se tait. Et Mycroft, le rat, tombe amoureux à son tour.
  • Mon opinion

★★★★★

___Ecrite par Malika Ferdjoukh, la série « Quatre soeurs » a marqué toute une génération de lectrices. Depuis 2011, l’illustratrice Cati Baur s’est attelée avec brio à l’adaptation de la saga, développant depuis deux albums déjà les tribulations des soeurs Verdelaine. Après l’intrépide Enid et la réservée Hortense, la dessinatrice, fidèle à la chronologie de la saga d’origine, consacre ce troisième tome à la coquette Bettina, âgée de 14 ans.

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___Après la disparition brutale de leurs parents dans un accident de voiture, les filles Verdelaine se retrouvent orphelines et livrées à elles-mêmes. Charlie, l’ainée des cinq soeurs, a mis fin à ses études pour prendre soin de la fratrie et s’occuper de la grande demeure familiale. Mais deux ans après le décès de leurs parents, les économies sur lesquelles vivait la tribu ont fondu. Et ce n’est pas le maigre chèque de l’excentrique Tante Lucrèce (la cotutrice légale des filles qui leur rend visite tous les 36 du mois) qui leur permettra de s’en sortir. Pour faire face, l’ainée ne voit donc d’autre solution que de mettre en location la chambre parentale. La proposition de Charlie sème aussitôt un vent d’effroi chez les soeurs Verdeleine. Passée l’onde de choc, les filles se résignent pourtant à l’idée de louer une partie de la Vill’Hervé.

C’est ainsi qu’après l’arrivée de Désirée et Harry, les deux turbulents cousins venus passer quelques jours dans la villa, l’irruption du beau Tancrède au sein du microcosme formée par les soeurs Verdelaine va semer le plus grand trouble dans leurs vies (et dans le coeur de Charlie)…

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Bettina conversant avec sa défunte mère

___Tome après tome et au rythme des saisons, Cati Baur nous fait pénétrer dans l’intimité de cette fratrie haute en couleurs dont elle croque le quotidien avec une infinie tendresse. Mais en filigrane de ces petits affres et bonheurs qui rythment le quotidien, se devine toujours l’ombre fugace du drame vécu par les cinq soeurs deux ans auparavant. Un discret souffle de nostalgie plane inexorablement sur la Vill’Hervé et ses habitantes. En dépit de leurs apparitions sous forme d’ectoplasme, l’absence pesante des parents Verdelaine dans les moments importants de la vie de leurs filles ne manque jamais de serrer douloureusement le coeur du lecteur.

___Cati Baur a su restituer avec brio tous les ingrédients qui ont fait le succès des romans de Malika Ferdjoukh. Son dessin, faussement désinvolte et typé jeunesse, s’accorde parfaitement au ton des romans de Malika Ferdjoukh tout en leur offrant un remarquable écrin ! On retrouve avec bonheur ce mélange subtil entre spontanéité, espièglerie et émotions ainsi que les thèmes conducteurs de la saga, tels que le difficile travail de deuil ou le délicat passage de l’enfance à l’âge adulte. Tome charnière placé sous le signe du printemps, ce troisième opus cristallise en outre tous les bouleversements qui accompagnent le passage de l’enfance à l’âge adulte. Entre candeur et désir de s’affirmer, peur de l’inconnu et quête de nouvelles expériences, Cati Baur nous livre avec ce nouvel opus un florilège d’émotions qui nous fait passer du rire aux larmes en un instant. L’innocence et l’espièglerie incarnées par les deux petits cousins se confrontant ici à l’explosion des sentiments amoureux et aux épreuves de la maladie.

___A côté des nouveaux venus, on retrouve aussi bon nombre de personnages déjà croisés dans les précédents tomes, tels l’insupportable Tante Lucrèce, le dévoué Basile, le facétieux Merlin (qui en dépit de son physique ingrat a tout d’un enchanteur !), ou encore la frêle Muguette, laquelle, quoique physiquement absente, occupe un rôle de premier plan dans cet opus.

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Harry, le cousin des soeurs Verdelaine

Rehaussées par des couleurs pastels et harmonieuses, les illustrations à la plume et l’aquarelle de Cati Baur dégagent une douceur enfantine réconfortante. On se laisse happer avec délice par ces cases lumineuses et fourmillant de détails qui s’animent sous nos yeux et nous emportent dans une bulle où le temps semble avoir suspendu son vol. Le choix des couleurs, le découpage parfaitement rythmé et la mise en page astucieuse et inventive (à l’instar de la double page p.94-95) participent en outre activement au ressenti des émotions. La dessinatrice joue habilement sur les teintes et les effets de cadre pour rendre compte de l’estompage des repères et de l’exacerbation des sentiments qui accompagnent le passage à l’âge adulte.

___Dans la lignée des tomes précédents, Cati Baur signe une adaptation à la fois tendre, sensible et très réussie où le charme opère dès les premières planches ! C’est avec bonheur que l’on s’immisce dans la vie trépidante et mouvementée des cinq soeurs Verdelaine. Personnage à part entière, la Vill’Hervé est une ruche vibrante d’amour et de rires que l’on voudrait ne jamais quitter. On se languit ainsi d’ores et déjà de découvrir le quatrième et ultime volet de la saga, tout en ayant un pincement au coeur à l’idée de quitter définitivement les soeurs Verdelaine…

___De par sa grande originalité et l’universalité des sujets qu’elle aborde, la saga Quatre soeurs, a priori estampillée jeunesse, s’adresse en réalité à un public bien plus large que celui des pré-adolescentes. Enchevêtrant les considérations sur l’amitié, l’amour, ou le deuil, les adultes confirmés tomberont à coup sûr eux aussi sous le charme de ce mélange subtil de poésie, d’humour et de parfum d’enfance.

Je remercie infiniment les éditions Rue de Sèvres pour ce moment féérique !

  • Extrait

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« La fille qui navigua autour de Féerie dans un bâteau construit de ses propres mains » de Catherynne M. Valente

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Quatrième de couverture

Septembre est une jeune fille qui aspire à l’aventure. Quand elle est invitée en Féérie par le Vent Vert et le Léopard des Petites Brises, bien sûr, elle accepte. Qui ne le ferait pas à douze ans ? Mais Féérie est dans la tourmente, sous le règne écrasant d’une Marquise maléfique.

Cheminant en compagnie d’un vouivre amoureux des livres et d’un étrange garçon bleu, presque humain nommé Samedi, elle perdra : son ombre, sa chaussure, son cœur et bien sûr son chemin. Mais dans l’aventure, elle trouvera le courage, l’amitié, une cuillère un peu spéciale et bien plus encore. Elle seule détient la clef qui rétablira l’ordre et le bonheur en Féérie…

Il n’y avait pas eu de monde si envoûtant, de personnages si originaux depuis Alice au pays des Merveilles ou le pays d’Oz. L’héroïne grandit au cours de cette aventure. Septembre est intelligente et très logique avec pourtant une forme de naïveté que nous voudrions garder toute notre vie, dans un monde plus complexe qu’il n’y paraît où tout n’est pas que soleil et magie.

  • Mon opinion

★★★★★

___Alors que son père est parti à la guerre et que sa mère se rend tous les jours à l’usine travailler sur des moteurs d’avion, la jeune Septembre, douze ans, aspire à s’extraire de sa solitude et de la monotonie de son triste quotidien. Aux côtés du Vent Vert et à dos du Léopard de Petites Brises, la fillette en soif d’aventure embarque donc pour le mystérieux monde de Féerie.

___Dans un décor résolument tourné vers l’imaginaire et la fantaisie, Catherynne M. Valente bâtit un récit aussi improbable qu’envoûteur et entraîne le lecteur au coeur d’une expérience unique, entre poésie, aventure et onirisme.

___Avec ses personnages aussi loufoques que truculents et son histoire inventive à souhait, Catherynne M. Valente s’inscrit indéniablement comme la digne héritière de Lewis Carroll et de son Alice au pays des merveilles! Nul doute que la romancière a en effet puisé dans ce classique de la littérature pour forger son propre univers. Mais loin de se casser les dents sur cet exercice ou de livrer une pâle imitation de l’oeuvre originale, Catherynne M. Valente donne vie à un monde coloré, délicieusement absurde et plein de charme.

A côté de l’inévitable comparaison avec Alice au pays des merveilles, d’autres influences se devinent au cours de la lecture. Impossible de ne pas noter les innombrables références à de grands classiques de la littérature jeunesse (parmi lesquels Peter Pan, Narnia ou le Magicien d’Oz) auxquels se mêlent en outre de nombreux éléments issus du folklore du monde entier. L’auteure joue ainsi en permanence avec les références les plus éclectiques glissant de la théorie de l’évolution de Darwin à l’expérience du chat de Schrödinger!

___A l’instar de Septembre, le lecteur se retrouve propulsé dans un monde étrange et insaisissable, peuplé de créatures féériques et de personnages extraordinaires. Dans un grand élan de poésie, l’auteure fait ainsi surgir une constellation de personnages secondaires tous plus originaux et étranges les uns que les autres. Au cours de cette expérience singulière, notre jeune aventurière croisera tour à tour une gnome, des sorcières, un Lou-garou, un vouivriothèque, une golem… Mais passée la découverte majestueuse des lieux, Septembre ne tarde pas à découvrir que Féérie se révèle en réalité aussi terriblement cruel qu’enchanteur. Soumis à la tyrannie d’une odieuse marquise, les habitants de Féerie se rappellent avec nostalgie l’époque heureuse du règne doré de la regrettée reine Mauve. A l’instar du monde réel qu’elle désirait si ardemment quitter, Septembre découvre ainsi que tout n’est pas parfait à Féérie et que ce monde peut lui aussi parfois se révéler impitoyable…

Dans cet univers incroyable qui fonctionne selon ses propres lois, Septembre enchaîne les péripéties et fait bientôt le douloureux apprentissage de la vie. Confrontée à une succession d’épreuves, la fillette devra faire des choix et en assumer les conséquences. Au cours de cette expérience, elle découvrira la valeur du courage, de l’amitié et devra redoubler d’effort pour venir en aide à es nouveaux amis et sauver Féérie du chaos.

___Dans ce premier tome, Catherynne M. Valente prend le contre-pied des contes traditionnels avec ce récit où se mêle avec brio poésie et aventure. Car la force première de ce roman réside assurément dans sa capacité à savoir déjouer les attentes et les clichés pour offrir un récit haletant et immersif à souhait ! Perspicace et pleine de ressources, Septembre s’impose comme une jeune héroïne terriblement attachante dont on suit les péripéties avec plaisir et que l’on quitte à regret. Grâce à des personnages hauts en couleurs, un decorum enchanteur et une intrigue aussi riche en rebondissements que bien menée, Catherynne M. Valente prend le lecteur dans ses filets le temps d’une aventure unique et imprévisible.

Si la grande poésie et la dimension symbolique du récit rendent parfois le propos sibyllin et l’interprétation délicate, les derniers chapitres permettent finalement de lever le voile sur une part importante du mystère entourant le fil des évènements, permettant au lecteur de les appréhender sous un jour nouveau. Ainsi, bien qu’il ne soit pas toujours évident de saisir où l’auteure veut nous emmener, on se laisse néanmoins rapidement porter par la féérie de ce monde étonnant et imprévisible qui dévoile de nouvelles surprises page après page.

___Servi par une écriture envoûtante et luxuriante, « La Fille qui navigua autour de Féérie dans un bateau construit de ses propres mains » est un roman jeunesse aux multiples niveaux de lecture. Catherynne M. Valente livre une oeuvre poétique et mélodieuse à travers un texte qui file les métaphores et saisit par la force de ses symbolismes. A cet égard, il convient de saluer la traduction remarquable de Laurent Philibert Caillat qui a réalisé une véritable prouesse en adaptant magistralement le texte original tout en conservant sa musicalité, sa poésie et ses jeux de mots florissants!

___Au-delà de la performance stylistique, c’est avant tout un magnifique roman d’apprentissage que nous offre Catherynne M. Valente. Dosage calibré entre tendresse et émotions, ce bijou de poésie est en outre une véritable invitation à l’imagination qui séduira les lecteurs de tous âges !

Je remercie infiniment les éditions Balivernes pour cette fantastique découverte !

  • Extraits

« Quand tu nais […] ton courage est neuf et propre. Tu es assez brave pour affronter n’importe quoi : descendre un escalier en rampant, prononcer tes premiers mots sans craindre que quelqu’un te trouve stupide, fourrer des choses bizarres dans ta bouche. Mais en vieillissant, ton courage attire des saletés, des sortes de croûtes, de la terre, la peur, la conscience que de mauvaises choses peuvent survenir et la connaissance de la douleur. Le temps que tu sois à moitié adulte, ton courage remue à peine tant la vie l’a encrassé. Alors, de temps en temps, il faut le nettoyer et le remettre au travail, sinon tu ne seras plus jamais brave. »

« Personne n’est choisi. Jamais. Pas dans le monde réel. Tu as choisi de sortir par la fenêtre pour monter sur un Léopard. Tu as choisi de récupérer une Cuiller de sorcière et de devenir amie avec un Vouivre. Tu as choisi d’échanger ton ombre contre la vie d’une enfant. Tu as choisi de ne pas laisser la Marquise s’en prendre à tes amis – tu as aussi choisi de briser ses cages ! Tu as choisi d’affronter ta propre mort, de ne pas reculer devant l’immense mer que tu devais traverser sans même un bateau sous la main. Et par deux fois, tu as choisi de ne pas rentrer chez toi alors que tu le pouvais, pour peu que tu abandonnes tes amis. Tu n’as pas été choisie, Septembre. Féérie n’est t’a pas choisie – tu as choisi toi-même. »