« Les ombres de Kerohan » de N. M. Zimmermann

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Quatrième de couverture

À douze ans, Viola a déjà traversé bien des épreuves. Lorsqu’elle est envoyée chez son oncle en Bretagne, avec son frère Sebastian, on lui dit que l’air marin lui fera du bien. Il paraît que son oncle est très riche, qu’il habite un manoir, à Kerohan, et que l’on peut s’y reposer. Se reposer, vraiment ? Certes, le parc est immense, et Viola et Sebastian ont chacun une chambre, mais il n’y a pas grand monde pour prendre soin d’eux.

Et qu’est devenue la prétendue fortune de leur oncle ? Le manoir est bien vide et, à Kerohan, Viola et son frère sont des proies faciles pour l’ennui et la solitude. Encore que… Peut-on parler de solitude quand d’étranges silhouettes parcourent les couloirs à la nuit tombée ? Quand Sebastian prétend avoir vu un korrigan ? Quand la salle de musique déserte résonne de la musique d’un piano ? Et que veille sur eux tous l’inquiétant docteur Vesper…

  • Mon opinion

★★★★☆

___Suite au décès de leur mère et au départ de leur père pour Londres, Viola et son jeune frère Sebastian se retrouvent contraints d’aller temporairement vivre en Bretagne auprès de leur oncle, Monsieur Kreven. Au terme d’un long voyage, les deux enfants sont accueillis à la gare par le mystérieux Dr Vesper, dépêché par leur oncle pour les conduire au manoir.

Dans cette vaste demeure, Viola et son frère sont rapidement saisis par le silence pesant et l’atmosphère sépulcrale qui baignent le lieu. En dehors de Madame Lebrun, les domestiques semblent tous avoir déserté les lieux. Et nulle trace non plus de leur tante ni de leur cousine, Ismérie: leur « santé fragile » contraignant ces dernières à rester alitées la majeure partie du temps.

Dès la première nuit, les angoisses des deux enfants augmentent d’un cran. Leur sommeil est en effet rapidement perturbé par la survenue de plusieurs évènements étranges qui ne tardent pas à se multiplier à mesure que les jours passent. Quels secrets peuvent donc bien dissimuler les murs de la vieille bâtisse et ses habitants, tous plus inquiétants et étranges les uns que les autres ?

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Le roman gothique anglais est aujourd’hui encore une source d’inspiration féconde pour de nombreux auteurs, y compris pour ceux qui s’inscrivent dans le registre de la littérature jeunesse. Avec son dernier roman, N. M. Zimmermann livre à ses lecteurs une décoction qui évoque des relents des plus grands classiques de la littérature anglaise du genre. Une jolie réussite !

___Après la série Alice Crane, Sous l’eau qui dort, Dream Box (entre autres), c’est dans la Bretagne du XIXème siècle, que N. M. Zimmerman plante le décor de son nouveau roman. Dans « Les ombres de Kerohan », l’auteure joue habilement avec les codes du roman gothique ici repris au service d’un récit qui, bien que destiné à un jeune public, saura également séduire les lecteurs plus âgés. Difficile en effet de ne pas se laisser happer par l’atmosphère délicieusement ensorcelante et les ambiances crépusculaires de ce récit qui mêle avec brio atmosphère gothique et éléments du folklore breton.

___Le décès de la mère des deux enfants à la suite d’une longue maladie sert ici de point de départ à une aventure entraînante où le mystère flirte en permanence avec le fantastique. Il faut dire que N. M. Zimmerman joue habilement avec les nerfs du lecteur qui, longtemps, évolue à tâtons au coeur d’une intrigue mystérieuse qui semble à tout moment sur le point de basculer vers le fantastique. Page après page, la frontière entre monde réel et surnaturel se brouille et notre bon sens se trouve bientôt mis à rude épreuve.

___Dans cet univers brumeux et inquiétant, Viola, adolescente perspicace et pleine de ressources, s’attire très vite la sympathie du lecteur qui décèle en elle une alliée à la fois précieuse et rassurante. La jeune fille dont les doutes et les questionnements font directement échos à ceux du lecteur incarne en effet pour lui un point de repère essentiel dans cette histoire qui le charrie en permanence entre réel et fantastique,

___A un âge charnière entre enfance et monde des adultes, Viola, du haut de ses douze ans, est aussi une jeune fille tiraillée entre son rôle d’aînée et ses angoisses d’enfant. Veiller sur son frère, prendre les bonnes décisions et se montrer responsable se révèle cependant un fardeau bien lourd pour de si frêles épaules ! Cet antagonisme se retrouve d’ailleurs parfaitement illustré à travers la façon dont chacun des deux enfants appréhende les évènements auxquels ils se trouvent confrontés. Ainsi, alors que son petit frère ne semble pas douter (ni s’étonner) un instant du caractère surnaturel des évènements se déroulant à Kerohan, Viola – telle une adulte – s’efforce quant à elle de trouver une explication rationnelle aux phénomènes étranges qui se succèdent.

___Mais à mesure que les évènements inexplicables se succèdent, le doute s’immisce dans l’esprit de Viola et du lecteur. Ces phénomènes troublants ont-ils une explication rationnelle ? Viola et son frère, dévorés par le chagrin et bouleversés par ce « déménagement » forcé, ne sont-ils pas simplement victimes de leur imagination fertile, nourrie par le souvenir des histoires que leur racontait leur mère et le folklore local qui pare le lieu d’une aura chargée de magie ? A l’instar du « Tour d’écrou » d’Henry James, le récit de N. M. Zimmermann semble ainsi pouvoir s’appréhender au travers de deux voies : un angle fantastique d’abord (une histoire de fantômes) ou un angle « psychologique » et interprétatif. Selon cette dernière grille de lecture, les évènements décrits pourraient ainsi s’interpréter comme la simple résultante de la folie du narrateur (pouvant s’expliquer ici comme la conséquence du profond chagrin des enfants… combiné aux effets du vin chaud que leur administre assidument Madame Lebrun chaque soir !). Une théorie d’autant plus plausible que longtemps, l’auteure distille les indices pouvant l’accréditer. De fait, on est bientôt tenté de mettre en doute l’authenticité des phénomènes observés par les deux enfants, et l’on s’interroge sur leurs interprétations.

___Au-delà de la réussite esthétique (efficacité des atmosphères mises en place, maîtrise impeccable du rythme), le récit vaut surtout pour le formidable message qu’il sous-tend. Car sous couvert d’une intrigue accrocheuse et délicieusement angoissante, N. M. Zimmerman propose en effet une véritable réflexion sur le délicat travail de deuil qui suit la perte d’un être cher. Mettant en perspective les trajectoires de ses personnages, l’auteure place aussi au coeur de son roman la question de la résilience et de la reconstruction de l’individu après un drame. Surmonter sa douleur, réussir à aller de l’avant en dépit des épreuves qui jalonnent nos vies, ne pas se laisser dévorer par le passé et le chagrin… tels sont quelques-uns des messages clés sous-tendus par ce récit aux multiples grilles de lecture et qui cultive de bout en bout avec brio l’art de l’ambiguïté.

Manoir isolé, portes qui claquent, personnages inquiétants,… avec « Les ombres de Kerohan », N. M. Zimmerman reprend tous les ingrédients du roman gothique pour en livrer une variation aussi plaisante que réussie. Véritable hommage au genre, ce pastiche respectueux multiplie les références et assume pleinement ses influences. Certes, l’intrigue, délibérément orientée jeunesse, n’atteint évidemment ni la complexité ni la noirceur des classiques du genre dont elle s’inspire. Pour autant, on ne saurait tenir rigueur à l’auteure de ce détail, tant le message sous-jacent le récit se révèle au final aussi percutant qu’habilement amené.

Si à première vue, le dénouement semble donner au lecteur, sinon toutes, au moins une grande partie des clés du mystère, le récit se clôture néanmoins de manière suffisamment ouverte pour laisser au lecteur une confortable marge d’interprétation. De fait, libre à ce dernier de croire sur parole ou non à l’authenticité de ce récit qui, à l’instar des classiques du genre, cultive de bout en bout l’art de l’ambiguïté.

Je remercie une fois encore les éditions L’Ecole des Loisirs pour cette belle lecture!

« Les Ferrailleurs, tome1: Le Château » de Edward Carey

Quatrième de couverture

Au milieu d’un océan de détritus composé de tous les rebuts rejetés par les habitants de Londres surgit la demeure des Ferrailleurs. Le grand manoir, assemblage hétéroclite d’objets trouvés et de bouts d’immeubles remontés en un étrange puzzle architectural, abrite depuis des générations ce clan ancestral et passablement consanguin. La tradition veut qu’à la naissance, chaque membre de la famille reçoive un objet particulier, dont il devra prendre soin toute sa vie durant.Clod, notre héro, a ainsi reçu une bonde universelle, et, pour son malheur, un don pour le moins particulier : il est capable d’entendre parler les objets, qui ne cessent de répéter des noms mystérieux…Un jour, suite à la disparition de la poignée de porte appartenant à tante Rosamud, tout se met à aller de travers. Les objets commencent à donner d’inquiétants signes de vie et leurs murmures se font de plus en plus insistants tandis qu’une terrible tempête menace au dehors.Avec l’aide d’une jeune orpheline, Lucy Pennant, recueillie par la famille des Ferrailleurs et enrôlée comme servante, Clod va percer les secrets ténébreux de ce monde étrange, tout en essayant d’échapper à son morne destin.

Mon résumé

___A l’instar de tous les autres habitants du quartier de Filching, situé à la lisière de Londres, le destin de la jeune Lucy Pennant semble scellé. A tout juste seize ans, l’adolescente se sait en effet condamnée à donner sa vie au dépotoir, « mariée au pays des décombres et des détritus ». C’était pourtant sans compter sur un tour du destin.  Miraculeusement rescapée de la Fièvre du Dépotoir (un étrange mal qui a brutalement emporté toute sa famille), la jeune orpheline est finalement conduite au Grand Château, le domaine des Ferrayor, où elle vient grossir les rangs des nombreux domestiques au service de la famille.

___Juché sur un océan de ferraille, le Château des Ferrayor est un assemblage hétéroclite de décombres qui abrite la famille de puissants régisseurs depuis plusieurs générations. Au sein de cette colossale bâtisse, les Ferrayor de pure race peuplent les étages supérieurs, tandis que les serviteurs (des Ferrayor de sang inférieur) occupent les profondeurs du manoir.

Le domaine des Ferrayor (http://edwardcareyauthor.com)

___Sur le point de célébrer son seizième anniversaire, le jeune Clod Ferrayor (appartenant à la classe des « privilégiés ») s’apprête à franchir une étape cruciale de sa vie : le fameux rite de passage au pantalon de flanelle grise, symbolisant son entrée dans l’âge adulte. Mais alors que l’échéance approche, la disparition de l’objet de naissance de la tante Rosamund va venir bouleverser la tranquillité du domaine. En vertu de la coutume familiale, chaque nouveau-né Ferrayor se voit en effet attribuer, au moment de sa naissance, un objet spécial qu’il doit en permanence garder sur lui et sur lequel il doit veiller tout au long de sa vie. Choisi avec soin par la matriarche de la famille, cet objet de naissance revêt une importance capitale pour son propriétaire dont il semble directement influer le cours de la vie. C’est ainsi que depuis sa naissance, le jeune Clod trimballe partout avec lui une bonde universelle. Mais à la différence des autres Ferrayor, Clod se distingue du reste de la famille par un étrange don. Le jeune garçon est en effet capable d’entendre les objets parler. Aussi, lorsque la tante Rosamund perd sa poignée de porte, c’est donc tout naturellement vers lui que l’on se tourne pour tenter de retrouver l’objet disparu.

___Sur les traces de la poignée de porte de sa tante, Clod va croiser le chemin de Lucy. A travers la rencontre fortuite des deux jeunes gens, c’est celle de deux mondes que tout oppose qui se produit. Une confrontation explosive qui ne va pas tarder à bouleverser l’ordre établi…

  • Mon opinion

★★★★☆

_Premier tome d’une trilogie, « Le Château » signe la première incursion d’Edward Carey dans le registre de la littérature jeunesse. Avec ce livre, l’auteur inaugure ainsi une saga se plaçant d’emblée sous le signe de l’originalité et du mélange des genres, nous faisant plonger avec délice dans un bain de noirceur aux saveurs délicieusement hypnotiques. Un roman envoûtant et intelligent qui séduira assurément aussi bien les « jeunes » lecteurs que les adultes !

Lucy Pennant (illustration de Edward Carey)

___Avec « Le Château », l’écrivain aux multiples casquettes (il est aussi dramaturge et dessinateur) s’illustre sans conteste comme un remarquable conteur d’histoires et un fin créateur d’ambiance. Grâce à une écriture cinématographique et immersive au possible, Edward Carey fait surgir des images à chacune de ses phrases et nimbe son intrigue d’une atmosphère aussi inquiétante qu’envoûtante. Prenant pour cadre une Angleterre victorienne alternative où le réel côtoie en permanence le fantastique, le livre d’Edward Carey s’inscrit ainsi clairement dans la lignée des romans de Dickens (pour ce qui est du fond du propos), tout en s’appuyant sur une esthétique rappelant les oeuvres de Tim Burton et avec une pointe de Lemony Snicket dans le style.

___Parmi les nombreux sujets de réflexion évoqués par l’auteur, certaines thématiques témoignent d’ailleurs de cette puissante influence victorienne, telles que la lutte des classes, l’aliénation du travail et le processus de déshumanisation qui l’accompagne, le patriarcat ambiant, le poids des traditions, le respect des convenances au détriment des sentiments… Mais l’écrivain aborde également des questions plus universelles, s’interrogeant par exemple sur ce qui constitue notre humanité ou définit notre identité, tout en pointant du doigt la tendance matérialiste de notre société de consommation.

___Au-delà de la simple quête d’originalité et d’esthétique, le roman d’Edward Carey offre ainsi une double lecture particulièrement intéressante, laissant au lecteur la liberté de lire entre les lignes et de tirer de ce conte macabre les enseignements qui conviennent. A mi-chemin entre le récit d’apprentissage et le conte gothique, l’auteur nous livre ainsi un récit intelligent, qui recèle de bijoux de réflexion et dont le propos dépasse largement les frontières de l’époque victorienne.

___L’intention scénaristique amorcée serait pleinement atteinte si cette compilation de thématiques ne se faisait pas par moments au détriment d’une véritable cohésion d’ensemble. Les intentions narratives de l’auteur demeurent en effet parfois nébuleuses pour le lecteur qui peine à dégager les véritables enjeux de l’intrigue et à parfaitement comprendre la mécanique de ce monde étrange.

Clod Ferrayor (illustration de Edward Carey)

 

___A défaut de lui donner toutes les clés de compréhension, cet univers prolifique et inventif à souhait ne tarde pas à susciter les spéculations les plus folles chez le lecteur quant aux tenants et aboutissants de l’histoire. A l’image des deux jeunes narrateurs, on tente de percer les mystères du domaine des Ferrayor et de trouver un sens aux évènements. Pour pleinement apprécier l’originalité de ce roman atypique, il faut ainsi parfois accepter de ne pas avoir de réponses à toutes nos questions, et de se laisser simplement porter par le cours des évènements et l’atmosphère ensorcelante du récit. Si l’auteur livre bien quelques éléments de réponse quant aux fondements de l’univers farfelu dans lequel gravitent ses personnages, en appréhender complètement le fonctionnement et les enjeux ultimes demeure un exercice difficile pour le lecteur à l’issu de ce premier opus. Car si l’auteur ne manque ni de talent ni d’imagination, ses idées manquent pour leur part d’un fil directeur pertinent faisant efficacement le lien les unes entre les autres. Edward Carey déroule en effet une intrigue tortueuse et imprévisible qui multiplie les pirouettes scénaristiques et les rebondissements à foison, au risque de parfois perdre le lecteur dans les méandres de cette intrigue quelque peu décousue. Déstabilisé par cet univers atypique et peu familier, il est ainsi parfois ardu de relier les informations dispersées au hasard par l’auteur, et si ce dernier tente bien de lancer quelques pistes, force est de constater que ce premier tome suscite en définitive davantage de questions qu’il n’apporte réellement de réponses.

___Malgré ces réserves (grandement anecdotiques au vu de la qualité générale de l’ouvrage), « Le château » n’en reste pas moins une franche réussite! Inventif à souhait et fruit d’un remarquable travail (aussi bien sur le fond que sur la forme), ce roman captivant et atypique se distingue clairement de toute la production jeunesse actuelle. Porté par une narration à deux voix, le texte est par ailleurs agrémenté de magnifiques et nombreuses illustrations de la main de l’auteur ainsi que divers documents venant sporadiquement entrecouper le récit (tels que listes en tous genres, pastiches de testaments, extraits de compte-rendus médicaux… ). Ce premier tome se conclue en outre par un coup de théâtre remarquablement orchestré ouvrant des perspectives particulièrement intéressantes pour le prochain opus. Autant dire que l’attente du second tome s’annonce déjà insoutenable! En somme, un remarquable bijou d’originalité et d’intelligence à découvrir sans hésiter !

Roman à l’esthétique Burtonienne et aux allures de conte macabre et onirique, le livre de Edward Carey est assurément un récit atypique, autant sur la forme que sur le fond. Avec « Le Château », l’auteur signe en effet un roman éblouissant et incroyablement inventif, qui inaugure avec brio une trilogie s’annonçant d’ores et déjà comme particulièrement prometteuse.

Avec ce conte macabre oscillant entre réalisme abrupt et atmosphère onirique, l’auteur joue avec les genres et les registres, mêlant habilement épouvante et pudibonderie, divertissement et réflexion. Le double niveau de lecture et l’univers original à souhait font assurément toute la plus-value de cet ouvrage atypique à bien des égards. A mi-chemin entre le roman d’apprentissage et le conte gothique, Edward Carey nous livre un récit intelligent dont le propos dépasse largement les frontières de l’ère victorienne. Un bijou d’intelligence et d’originalité!

Je remercie infiniment les éditions Grasset pour cette belle découverte!

N’hésitez pas à aller sur le site de la maison d’édition où de nombreuses surprises vous attendent (plan détaillé du château, fiches de présentation des différents personnages…). Et en plus, vous pourrez même découvrir quel est votre objet de naissance ! 😉

Extraits

« – Dans cette maison, reprit Mrs Piggott en me souriant avec une ombre de tristesse dans les yeux, on t’appellera Ferrayor. Tu ne devras rien en penser, c’est juste notre façon de faire, c’est la coutume ici, et ce n’est pas moi qui établis les usages. On t’appellera Ferrayor, comme toutes les autres. Seuls moi-même, Mr. Sturridge le majordome, Mr. Briggs l’assistant du majordome, Mr. Smith le gardien, et Mr. Et Mrs. Groom les cuisiniers, gardons nos noms, car nous tenons de hautes positions, et il convient à ceux des étages supérieurs de nous appeler par nos noms à nous. Quant à tous les autres, ils se nomment Ferrayor. Tu as compris, maintenant, Ferrayor ? » p.60

« – L’objet de tes jours est une boîte d’allumettes, répéta une fille à côté de moi avec fierté, comme si elle s’empressait de me dire le secret que je lui avais déjà pourtant livré.
[…]
– Pourquoi tant d’histoires à propos d’une boîte d’allumettes ? demandai-je.
– C’est très important, les objets de naissance !
– Et comment ! Je ne savais pas qui j’étais, avant d’avoir reçu mon objet de naissance !
– Et qu’est-ce donc qui est si important ?
– C’est une sonnette.
– Une sonnette ! Pas de quoi être fière, dis-je.
– Et le mien, dit une autre, est une louche.
– Et le mien, une pelle à poussière.
– Et le mien, une brosse à habits.
– Le mien, un fer.
– Le mien, une aiguille.
– Le mien, des ciseaux à volaille.
– Ils sont tous enfermés dans le salon de Mrs. Smith, et elle a les clés. Et on est autorisés à les voir une fois par semaine.
– Quel grand jour !
– Là-haut, ils gardent leurs objets avec eux, ils sont toujours avec eux. Mais pas ici en bas, ici en bas, Mrs. Piggott les surveille. » p.104-105

« Je fus très occupée par mon apprentissage qui me prit presque toute ma première matinée. J’étais chronométrée :
– Tu pourrais aller plus vite, insistait le sous-majordome Mr. Briggs, allez, Ferrayor, plus vite !
Si bien qu’il y avait de nombreux moment où je m’oubliais, et où je n’étais plus rien qu’une des personnes qui préparaient les foyers. Une heure pouvait passer avant que je sache qui j’étais vraiment, avant de me souvenir de Ferrayor Park et me rappeler que j’avais eu un jour un père et une mère. […] Quand je monterais, me dis-je, dans les partis principales du château, je serai seule, alors, et je continuerai à me chuchoter mes souvenirs, à me rappeler qui je suis, encore et encore, ainsi je resterai seule avec moi-même et ne m’abandonnerai pas. Je ferai travailler mon cerveau, je le débarrasserai de leurs règles, j’explorerai, j’irai dans des endroits où je ne suis pas censée aller, je me faufilerai dans des pièces, oui je ferai tout cela. Je suis Lucy Pennant, c’est cela que je suis […]. » p.110