« Les ombres de Kerohan » de N. M. Zimmermann

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Quatrième de couverture

À douze ans, Viola a déjà traversé bien des épreuves. Lorsqu’elle est envoyée chez son oncle en Bretagne, avec son frère Sebastian, on lui dit que l’air marin lui fera du bien. Il paraît que son oncle est très riche, qu’il habite un manoir, à Kerohan, et que l’on peut s’y reposer. Se reposer, vraiment ? Certes, le parc est immense, et Viola et Sebastian ont chacun une chambre, mais il n’y a pas grand monde pour prendre soin d’eux.

Et qu’est devenue la prétendue fortune de leur oncle ? Le manoir est bien vide et, à Kerohan, Viola et son frère sont des proies faciles pour l’ennui et la solitude. Encore que… Peut-on parler de solitude quand d’étranges silhouettes parcourent les couloirs à la nuit tombée ? Quand Sebastian prétend avoir vu un korrigan ? Quand la salle de musique déserte résonne de la musique d’un piano ? Et que veille sur eux tous l’inquiétant docteur Vesper…

  • Mon opinion

★★★★☆

___Suite au décès de leur mère et au départ de leur père pour Londres, Viola et son jeune frère Sebastian se retrouvent contraints d’aller temporairement vivre en Bretagne auprès de leur oncle, Monsieur Kreven. Au terme d’un long voyage, les deux enfants sont accueillis à la gare par le mystérieux Dr Vesper, dépêché par leur oncle pour les conduire au manoir.

Dans cette vaste demeure, Viola et son frère sont rapidement saisis par le silence pesant et l’atmosphère sépulcrale qui baignent le lieu. En dehors de Madame Lebrun, les domestiques semblent tous avoir déserté les lieux. Et nulle trace non plus de leur tante ni de leur cousine, Ismérie: leur « santé fragile » contraignant ces dernières à rester alitées la majeure partie du temps.

Dès la première nuit, les angoisses des deux enfants augmentent d’un cran. Leur sommeil est en effet rapidement perturbé par la survenue de plusieurs évènements étranges qui ne tardent pas à se multiplier à mesure que les jours passent. Quels secrets peuvent donc bien dissimuler les murs de la vieille bâtisse et ses habitants, tous plus inquiétants et étranges les uns que les autres ?

*_____*_____*

Le roman gothique anglais est aujourd’hui encore une source d’inspiration féconde pour de nombreux auteurs, y compris pour ceux qui s’inscrivent dans le registre de la littérature jeunesse. Avec son dernier roman, N. M. Zimmermann livre à ses lecteurs une décoction qui évoque des relents des plus grands classiques de la littérature anglaise du genre. Une jolie réussite !

___Après la série Alice Crane, Sous l’eau qui dort, Dream Box (entre autres), c’est dans la Bretagne du XIXème siècle, que N. M. Zimmerman plante le décor de son nouveau roman. Dans « Les ombres de Kerohan », l’auteure joue habilement avec les codes du roman gothique ici repris au service d’un récit qui, bien que destiné à un jeune public, saura également séduire les lecteurs plus âgés. Difficile en effet de ne pas se laisser happer par l’atmosphère délicieusement ensorcelante et les ambiances crépusculaires de ce récit qui mêle avec brio atmosphère gothique et éléments du folklore breton.

___Le décès de la mère des deux enfants à la suite d’une longue maladie sert ici de point de départ à une aventure entraînante où le mystère flirte en permanence avec le fantastique. Il faut dire que N. M. Zimmerman joue habilement avec les nerfs du lecteur qui, longtemps, évolue à tâtons au coeur d’une intrigue mystérieuse qui semble à tout moment sur le point de basculer vers le fantastique. Page après page, la frontière entre monde réel et surnaturel se brouille et notre bon sens se trouve bientôt mis à rude épreuve.

___Dans cet univers brumeux et inquiétant, Viola, adolescente perspicace et pleine de ressources, s’attire très vite la sympathie du lecteur qui décèle en elle une alliée à la fois précieuse et rassurante. La jeune fille dont les doutes et les questionnements font directement échos à ceux du lecteur incarne en effet pour lui un point de repère essentiel dans cette histoire qui le charrie en permanence entre réel et fantastique,

___A un âge charnière entre enfance et monde des adultes, Viola, du haut de ses douze ans, est aussi une jeune fille tiraillée entre son rôle d’aînée et ses angoisses d’enfant. Veiller sur son frère, prendre les bonnes décisions et se montrer responsable se révèle cependant un fardeau bien lourd pour de si frêles épaules ! Cet antagonisme se retrouve d’ailleurs parfaitement illustré à travers la façon dont chacun des deux enfants appréhende les évènements auxquels ils se trouvent confrontés. Ainsi, alors que son petit frère ne semble pas douter (ni s’étonner) un instant du caractère surnaturel des évènements se déroulant à Kerohan, Viola – telle une adulte – s’efforce quant à elle de trouver une explication rationnelle aux phénomènes étranges qui se succèdent.

___Mais à mesure que les évènements inexplicables se succèdent, le doute s’immisce dans l’esprit de Viola et du lecteur. Ces phénomènes troublants ont-ils une explication rationnelle ? Viola et son frère, dévorés par le chagrin et bouleversés par ce « déménagement » forcé, ne sont-ils pas simplement victimes de leur imagination fertile, nourrie par le souvenir des histoires que leur racontait leur mère et le folklore local qui pare le lieu d’une aura chargée de magie ? A l’instar du « Tour d’écrou » d’Henry James, le récit de N. M. Zimmermann semble ainsi pouvoir s’appréhender au travers de deux voies : un angle fantastique d’abord (une histoire de fantômes) ou un angle « psychologique » et interprétatif. Selon cette dernière grille de lecture, les évènements décrits pourraient ainsi s’interpréter comme la simple résultante de la folie du narrateur (pouvant s’expliquer ici comme la conséquence du profond chagrin des enfants… combiné aux effets du vin chaud que leur administre assidument Madame Lebrun chaque soir !). Une théorie d’autant plus plausible que longtemps, l’auteure distille les indices pouvant l’accréditer. De fait, on est bientôt tenté de mettre en doute l’authenticité des phénomènes observés par les deux enfants, et l’on s’interroge sur leurs interprétations.

___Au-delà de la réussite esthétique (efficacité des atmosphères mises en place, maîtrise impeccable du rythme), le récit vaut surtout pour le formidable message qu’il sous-tend. Car sous couvert d’une intrigue accrocheuse et délicieusement angoissante, N. M. Zimmerman propose en effet une véritable réflexion sur le délicat travail de deuil qui suit la perte d’un être cher. Mettant en perspective les trajectoires de ses personnages, l’auteure place aussi au coeur de son roman la question de la résilience et de la reconstruction de l’individu après un drame. Surmonter sa douleur, réussir à aller de l’avant en dépit des épreuves qui jalonnent nos vies, ne pas se laisser dévorer par le passé et le chagrin… tels sont quelques-uns des messages clés sous-tendus par ce récit aux multiples grilles de lecture et qui cultive de bout en bout avec brio l’art de l’ambiguïté.

Manoir isolé, portes qui claquent, personnages inquiétants,… avec « Les ombres de Kerohan », N. M. Zimmerman reprend tous les ingrédients du roman gothique pour en livrer une variation aussi plaisante que réussie. Véritable hommage au genre, ce pastiche respectueux multiplie les références et assume pleinement ses influences. Certes, l’intrigue, délibérément orientée jeunesse, n’atteint évidemment ni la complexité ni la noirceur des classiques du genre dont elle s’inspire. Pour autant, on ne saurait tenir rigueur à l’auteure de ce détail, tant le message sous-jacent le récit se révèle au final aussi percutant qu’habilement amené.

Si à première vue, le dénouement semble donner au lecteur, sinon toutes, au moins une grande partie des clés du mystère, le récit se clôture néanmoins de manière suffisamment ouverte pour laisser au lecteur une confortable marge d’interprétation. De fait, libre à ce dernier de croire sur parole ou non à l’authenticité de ce récit qui, à l’instar des classiques du genre, cultive de bout en bout l’art de l’ambiguïté.

Je remercie une fois encore les éditions L’Ecole des Loisirs pour cette belle lecture!

« Le Quinconce, tome 1: l’Héritage de John Huffam » de Charles Palliser

Quatrième de couverture

Dans l’Angleterre du début du XIXe siècle, le petit John Huffam, élevé dans un village perdu, comprend que sa mère, pauvre parmi les pauvres, est mystérieusement apparentée aux châtelains du lieu. Dès lors, il va consacrer sa vie à percer le secret de ses véritables origines et ne tarde pas à découvrir la cruauté qui fonde les castes sociales et qui déchire les êtres.

Mon opinion

★★★★☆

___Reçu à l’occasion de sa réédition début 2015 aux éditions Libretto, « L’Héritage de John Huffam » n’est en réalité que le premier volet d’une oeuvre ambitieuse puisant son inspiration dans la littérature anglaise du XIXème siècle. Entièrement imaginé et conçu selon une structure en quinconce, le roman est ainsi découpé en cinq livres, eux-mêmes divisés en cinq parties comportant chacune cinq chapitres. Toute l’oeuvre repose donc sur cette structure mathématique centrée autour du chiffre cinq. Comme le lecteur le découvrira par la suite, l’histoire s’articule autour de cinq familles connectées les unes aux autres sur une période de cinq générations.

___Quoi qu’originale et symbolique, la structure en quinconce du récit ne constitue néanmoins pas le seul attrait de l’oeuvre. Situant son récit dans une Angleterre victorienne des plus convaincantes, Charles Palliser reprend en outre les principales thématiques de la littérature du XIXème siècle dont il s’approprie brillamment les codes. S’inspirant sur le fond comme sur la forme des romans de cette époque, « Le Quinconce » bien que publié en 1989, possède ainsi tous les attributs du roman victorien par excellence dont il reprend et exploite avec brio les codes.

___Mais au-delà de l’immersion saisissante au coeur d’une Angleterre victorienne parfaitement restituée, « Le Quinconce » est avant tout un roman audacieux et à la croisée des genres, à la fois récit d’aventure, roman policier, fresque familiale, et récit d’apprentissage.

___Dans ce premier volet, le lecteur fait la connaissance du jeune Johnnie Huffam. Le jeune garçon semble mener une vie de reclus aux côtés de sa mère inquiète et surprotectrice ainsi que de sa nourrice, l’intransigeante et antipathique Bissett. Gravitant dans cet univers essentiellement peuplé de femmes, Johnnie n’a que peu de contact avec les autres enfants de son âge dont il envie la liberté. Sa mère semble en effet déterminée (pour d’obscures raisons) à tenir le jeune garçon à l’écart du reste du monde, comme pour le protéger d’une invisible menace. Alors qu’il débute son apprentissage de la lecture, le jeune garçon ne tarde pas à découvrir avec stupéfaction l’immensité du monde qui l’entoure et à ouvrir les yeux sur les gens autour de lui. Prenant peu à peu conscience du mystère entourant son père et sa naissance, les questions ne tardent pas à se bousculer dans son esprit tandis que les évènements « étranges » se multiplient et que des personnages troubles font irruption dans sa vie. Se heurtant au silence de sa mère, Johnnie comprend qu’il devra lutter pour découvrir la vérité tout en prenant peu à peu conscience du poids des enjeux que semble impliquer le mystère autour de sa famille…

___L’un des principaux enjeux soulevé par ce premier tome concerne donc l’identité réelle du jeune Johnnie et le mystère entourant sa naissance. Si au terme de cette première partie, le lecteur se trouve confronté à davantage de questions que de réponses, elle livre néanmoins quelques indices clé pour la résolution de l’énigme. On en apprend ainsi un peu plus sur l’histoire de la famille Huffam ainsi que sur un mystérieux document, lequel, de par son importance capitale, en fait un objet de convoitise pour les nombreux « ennemis » de nos deux personnages principaux. Ce codicille, que conserve précieusement la mère de Johnnie, pourrait en effet changer un jour la vie de nos deux héros, même si pour l’heure, sa détention semble au contraire les mettre en danger.

___Le lecteur voit progressivement se tisser sous ses yeux les fils de multiples intrigues alambiquées, se nouant peu à peu en un réseau complexe dont il peine à saisir le sens et la portée véritable. Car dans un souci évident de tenir en haleine son lecteur jusqu’au bout, l’auteur, peu enclin aux révélations, brouille résolument les pistes tout en distillant suffisamment d’indices pour que le lecteur devine déjà les prémices d’une colossale (et machiavélique) conspiration familiale, impliquant plusieurs générations de personnages.

___Si au terme de ce premier tome, le lecteur n’a donc guère avancé dans la résolution de cet opaque mystère, sa curiosité n’en demeure pas moins vivement aiguisée par les quelques éléments distillés par l’auteur et laissant présager une intrigue aussi retorse que magistralement orchestrée. En effet, la parfaite appropriation du contexte historique, tout comme la construction savamment pensé du récit et les indices distillés au compte-goutte, témoignent déjà d’une époustouflante maîtrise d’écriture et d’un remarquable sens du romanesque de la part de l’auteur. Un roman absolument incontournable pour les amoureux de la littérature victorienne!

Au-delà de l’hommage à peine voilé aux grands écrivains du XIXème siècle, tels que Dickens ou Wilkie Collins, « Le Quinconce » est avant tout une oeuvre audacieuse à la structure parfaitement étudiée et au suspense savamment entretenu.

Dans ce premier tome, véritable roman-puzzle à l’intrigue sibylline, Charles Palliser met ainsi en place les rouages complexes d’une saga ambitieuse centrée sur les thèmes de prédilection des grandes oeuvres de la littérature victorienne. Si le lecteur peut parfois être tenté de se perdre dans les méandres de cette intrigue alambiquée aux ramifications multiples et aux accents argotiques quelquefois déconcertants, on se laisse finalement porté par cette intrigue sombre et retorse qui nous tient en haleine jusqu’au bout.

Plus mystérieux et énigmatique que réellement tourné vers la résolution du mystère, et laissant finalement peu de place aux révélations fracassantes, « L’héritage de John Huffam » fait davantage figure de tome introductif que de point culminant d’une saga qui laisse néanmoins déjà entrevoir tout son potentiel ! Dans ce premier épisode, Charles Palliser lève ainsi le voile sur certains enjeux du récit et instaure progressivement un climat de tension, emprisonnant ainsi peu à peu le lecteur dans les filets d’une intrigue opaque mais dont il peine à s’extraire.

Ce premier tome pose ainsi les fondations d’une gigantesque intrigue familiale, retorse à souhait, tout en plongeant avec brio le lecteur dans une Angleterre victorienne parfaitement restituée ! S’il veut percer le mystère de cette intrigue labyrinthique et connaître le fin mot de l’histoire, le lecteur devra donc, à l’image de Johnnie, s’armer de patience et se tenir sans cesse aux aguets. Pour ma part, j’ai hâte de me plonger dans la suite de cette saga s’annonçant d’ores et déjà comme très prometteuse!

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Libretto de m’avoir proposé de découvrir ce roman!

« Le secret du docteur Barry » de Sylvie Ouellette

 

 

 

 

 

 

Résumé

Au XIXe siècle au Royaume-Uni, la jeune Margaret Bulkley afin de réaliser son rêve – devenir médecin – se fait passer dès son plus jeune âge pour un garçon. Engagée dans l’armée après de brillantes études, elle va, au cours de ses voyages, devenir une pionnière de la médecine préventive et un personnage aux excentricités réputées.

Mais comment vivre continuellement en camouflant son corps et ses pulsions de femme ; comment concilier sa véritable nature à la passion dévorante pour son métier ?

Mon opinion

★★★★☆

___Parce qu’elle rêvait de devenir médecin à une époque où l’accès à la profession était réservé aux hommes, Margaret Ann Bulkley passa la majeure partie de sa vie à se travestir afin de dissimuler sa condition de femme et d’ainsi réaliser son rêve. Sous l’instigation du comte de Buchan et avec la complicité du général de Miranda ainsi que du docteur Fryer, une machination de grande envergure voit ainsi le jour afin de déjouer les institutions et de permettre à Margaret Ann Bulkley de devenir la première femme diplômée de médecine.

___Dès le départ, la supercherie semble de telle ampleur pour le lecteur que si les faits n’étaient pas historiquement avérés, on peinerait presque à y croire ! C’est pourtant sans compter sur la dextérité de Sylvie Ouellette qui, alliant un remarquable travail de documentation et un talent de conteuse hors pair, nous livre une biographie romancée du docteur Barry aussi convaincante que passionnante !

« Depuis quelques mois déjà, celui dont on avait créé l’identité pour lui permettre de s’inscrire à la faculté de médecine de l’Université d’Édimbourg était devenu un être à part entière. Au début, on avait parlé de lui à la troisième personne, mais à présent James Miranda Barry existait, se transformait et trouvait sa voie. Et tous ceux qui étaient à l’origine de cette fabuleuse imposture en venaient même à oublier son nom de baptême.

De son côté, celui qu’on avait tiré d’un anonymat qui ne lui donnait aucun espoir de réussite pour se voir façonner en carabin au talent incommensurable voyait tout devenir possible. À partir du moment où il avait accepté l’offre de poursuivre des études en médecine, il avait tourné le dos à son enfance, à ses origines et même à sa propre identité pour assumer pleinement le rôle qui lui était dévolu et qui, avec un peu de chance et beaucoup d’efforts, resterait le sien aussi longtemps qu’il le faudrait. »

___Commence alors pour James Miranda Barry un périlleux numéro d’illusionniste qui ne lui laisse aucun droit à l’erreur. Dès ses études à l’Université d’Edimbourg, loin de l’insouciance et de la vie débridée des autres étudiants, le jeune Barry, avec son image de travailleur acharné et son hygiène de vie irréprochable, ne tarde pas à se démarquer des autres élèves.

Afin de maintenir l’illusion, la jeune femme doit recourir à de nombreux artifices et redoubler d’imagination. Son style outrancier et son allure incongrue ne manquent pas d’attirer les regards ni de susciter les moqueries. Quant à l’aura de mystère dont elle enveloppe son personnage, elle ne tarde pas à éveiller les rumeurs les plus farfelues.

___Initialement prévue pour une durée déterminée, la supercherie va pourtant s’éterniser et prendre un tournant imprévu lorsque, suite à un revirement de situation inattendu venant sévèrement compromettre le plan initial, le docteur Barry décide, en dépit de la désapprobation générale, de s’enrôler dans l’armée en tant qu’officier médical. Face à l’obstination du jeune médecin fraîchement diplômé, le comte de Buchan réalise bientôt que la mise en scène, si magistralement orchestré jusque-là et en apparence parfaite sur le papier, est en train de leur échapper.

« Vous vous donnez de grands airs lorsque vient le temps de défendre l’égalité des classes sociales, le droit des jeunes filles à l’éducation et toutes ces causes qui vous sont si chères. Vous êtes si fier d’avoir mené à bien cette mission, d’avoir fait de moi la première femme à obtenir un diplôme de médecine même si de ne pas pouvoir vous en vanter publiquement vous consume, même si c’est moi qui, en réalité, me suis tapé tout le travail! Comme vous l’avez dit le jour où j’ai décroché mon diplôme, James Miranda Barry est passé à l’histoire pour une raison que nous seuls, avec Miranda et Fryer, connaissions. Même si vous en brûliez tous d’envie, il vous était impossible de révéler à quiconque ce qui vous rendait si fiers, vous le premier. Vous pensiez bien pouvoir faire un pied de nez à la société au moment où je me révélerais, mais cela aussi devra attendre, apparemment. Oui, tous vos beaux principes sont hautement honorables, mais seulement lorsqu’il s’agit de vos idées, n’est-ce pas? Voici maintenant que je vous dépasse, et cela vous est insupportable, admettez-le! Eh bien, milord, sachez que vous ne me contrôlez plus. Je ne suis plus une créature de votre invention. Je ne vous appartiens pas! » (Le secret du docteur Barry de Sylvie Ouellette, Editions De Borée)

___Très vite, James Barry affiche une assurance désarmante quant à ses compétences médicales tout en conservant une grande lucidité sur la précarité de sa situation. Conscient que la moindre erreur est susceptible de lui être fatale, le médecin redouble d’efforts pour ne jamais baisser la garde. Un souci permanent de vigilance qui ne tarde pas à se muer en un besoin excessif de tout contrôler, de son régime alimentaire à ses relations avec les hommes. « Barry avait appris depuis longtemps à ignorer ses pulsions, à ne pas se laisser distraire par ce genre de sentiments qui, à son avis, équivalaient à se rendre vulnérable. »

___Face à cette peur irrépressible de perdre le contrôle de ses émotions, rares sont les instants où le docteur Barry lâche finalement prise pour laisser libre cours à ses sentiments. Mensonge et dissimulation deviennent peu à peu la seconde nature de James Miranda Barry. A tel point que jusqu’à la fin, entre le lecteur, pourtant dans la confidence, et le médecin, persiste une certaine distance que les 400 pages du roman ne parviendront jamais à totalement effacer. Car dans ce jeu permanent de faux-semblant, la femme et le personnage semblent souvent se confondre, et il devient dès lors ardu pour le lecteur de démêler la part de sincérité et de mensonge d’un protagoniste qui a bâti toute sa vie sur une imposture.

___Une ambiguïté et un sentiment de malaise dont Sylvie Ouellette semble avoir pleinement conscience, comme en témoignent les différents passages au cours desquels elle met en scène un docteur Barry soudain chancelant, en proie à une féroce lutte intérieure afin de détacher sa vraie nature du personnage qu’elle s’est créé.

« — Margaret… dit-il doucement en posant une main sur son épaule.
Barry se retourna et se força à sourire, les yeux remplis de larmes.
— Je croyais que nous nous étions entendus pour ne plus jamais m’appeler par mon vrai prénom? fit l’énigmatique personne d’une petite voix. Pour moi, Margaret Bulkley n’existe plus. Elle est morte lorsque James Miranda Barry est né!
— Margaret, répéta Buchan avec sollicitude, ne dites pas de bêtises, voyons. Il ne suffit pas de se couper les cheveux et de porter des vêtements d’hommes pour en devenir un. Vous avez réussi un tour de force, pratiquement un miracle. Mais vous aurez beau vous habiller en homme et vous comporter comme tel, ce que, nous sommes tous d’accord, vous faites admirablement, vous ne pourrez jamais renier votre féminité et…
— Mais aux yeux du monde, je suis un homme! coupa Barry. Depuis déjà plusieurs années. J’ai appris à parler comme eux, à marcher comme eux et même à m’asseoir comme eux! Surtout, depuis que je vis ici, j’agis comme un homme, je pense comme un homme et désormais je me considère tout à fait comme un homme…
— Allons donc! Cessez un peu de faire l’enfant. Vous êtes une femme. Tout cela n’est qu’une supercherie, même si personne ne le soupçonne, mais ne change rien aux faits.
Barry ne répondit pas, sachant maintenant que le temps était venu de faire face à sa situation. Subitement, il lui sembla vieillir de dix ans. Cette mascarade si bien orchestrée, ses succès scolaires et la satisfaction qui en découlait avaient trop bien servi à lui faire oublier la réalité.
James Miranda Barry, brillant chirurgien en devenir, loué par ses professeurs, admiré de ses compagnons de classe, n’existait tout simplement pas. Il n’y avait que Margaret Bulkley, imposteur de grand talent, certes, mais indubitablement femme.
Elle avait tourné le dos à sa propre identité, l’avait enfouie au plus profond de son être et s’était bien gardée de la laisser ressurgir. C’était somme toute assez facile. De temps à autre, surtout quand Barry se dévêtait, elle était presque surprise de voir apparaître dans le miroir un corps de femme. Mais chaque fois, il avait été tout naturel de reprendre son rôle, ce personnage qui lui collait à la peau.
Au début, c’était follement amusant. Le stratagème fonctionnait à merveille. Par après, la longue suite de succès académiques l’avait grisée, lui apportant une sorte d’euphorie permanente qui la poussait constamment à continuer, à oublier Margaret davantage, tandis que James Miranda Barry devenait plus grand que nature.
Aujourd’hui, cependant, la réalité la rattrapait. Le temps de l’insouciance était terminé, et elle devait agir comme l’adulte qu’elle était devenue. Il lui fallait prendre pleinement conscience de ce qui l’attendait désormais.
Au départ, tout ne devait être que temporaire. Un jour, après avoir décroché tous ses diplômes en bonne et due forme, et avec les plus grands honneurs, James Miranda Barry aurait pu enfin se révéler et, au risque de faire scandale, montrer comment il était possible pour une femme non seulement de faire des études, mais en plus de devenir un des meilleurs médecins de sa génération. » (Le secret du docteur Barry de Sylvie Ouellette, Editions De Borée)

___Au fil des années, le docteur Barry affine son personnage et ne tarde pas à se tailler une réputation d’homme colérique, vaniteux et entêté. Un excès d’aplomb et un caractère tempétueux qui lui joueront d’ailleurs des tours à plusieurs reprises et lui vaudront bien des inimitiés, sans toutefois jamais parvenir à occulter les avancées considérables en terme de soins ainsi que les réformes sanitaires capitales qu’il aura conduites durant toute sa carrière et sans jamais se départir de ses convictions. Probité et intégrité seront de fait les maîtres mots de la vie de James Barry qui la consacrera à l’exercice de sa profession. Se définissant lui-même comme un missionnaire de la médecine moderne, il entreprendra de grandes réformes de santé publique et se fera un devoir de défendre une médecine accessible à tous sans distinction sociale.

___Ses affectations successives le conduiront pourtant toujours à devoir recommencer le même travail de réforme titanesque que celui entrepris au cours du poste antérieur. C’est donc à chaque fois une tâche colossale qui l’attend, et loin d’être facilitée par une hiérarchie peu coopérative et souvent hostile aux opinions « révolutionnaires » pour l’époque du médecin. Si sa ténacité et son sens du devoir contribueront immanquablement à lui créer de nombreux ennemis, ils lui permettront également de se forger une solide réputation à titre de chirurgien et de s’attirer la reconnaissance de la majorité des gens qui croiseront sa route.

___Mais au-delà du destin incroyable et hors du commun de James Barry, c’est aussi le portrait de toute une époque que nous brosse la romancière. A travers les pérégrinations et le combat du médecin, Sylvie Ouellette nous dresse un état des lieux époustouflant des connaissances et des pratiques médicales du XIXème siècle.

« D’un côté se trouvait la vieille garde, les praticiens quasi incompétents qui refusaient d’évoluer et continuaient de prescrire les saignées, les lavements, les suées, la pose de ventouses, ou encore la trépanation comme traitements universels pour pratiquement toutes les maladies. Ces grincheux étaient relativement faciles à identifier. Figés dans un passé révolu, ils arboraient des perruques vieillottes, défendaient à grands cris le concept de la médecine en tant qu’art plutôt que science et se servaient de la tradition et des protocoles établis depuis la nuit des temps pour justifier chacun de leurs actes.

Fort heureusement, une autre vague déferlait sur les institutions d’enseignement, celle des grands penseurs avant-gardistes n’hésitant pas à soudoyer les fossoyeurs sans scrupule qui consentaient à déterrer les cadavres destinés à être disséqués par ces dispensateurs de cours privés. « Je serai de ceux-là, se disait parfois Barry. Je ferai avancer la science, peu importe ce que je devrai faire pour y parvenir. » (Le secret du docteur Barry de Sylvie Ouellette, Editions De Borée)

___Sous la plume toujours alerte de Sylvie Ouellette, le destin hors du commun de James Barry prend des allures de roman d’aventure. De la « naissance » même du personnage crée de toutes pièces par les amis de son oncle jusqu’à la fin de sa vie, l’auteure nous livre un récit captivant, plein de fougue et riche en rebondissements qui entraîne le lecteur aux quatre coins du monde.

Sans jamais chercher à rendre le personnage particulièrement sympathique en vue de susciter de manière excessive et inappropriée la compassion du lecteur, Sylvie Ouellette parvient à saisir la personnalité de James Barry dans toute sa complexité et son ambivalence. Le résultat est un portrait d’un réalisme saisissant d’un personnage à la fois ambigu et pétri de contradictions qui, quelque soient les sentiments qu’il éveille chez le lecteur, ne peut dans tous les cas pas le laisser indifférent.

___[Spoiler : surligner le texte pour lire] Une existence véritablement romanesque dont le dénouement laisse pourtant un désagréable sentiment d’amertume. En effet, en faisant durer ainsi délibérément la supercherie au point de vouloir emporter son secret dans la tombe, James Barry n’a-t-il pas perdu là, en fin de compte, une occasion dé véritablement changer les choses ?

Après avoir démontré l’étendue de ses compétences toute sa vie durant et s’être illustrée comme un médecin à la fois brillant et à la force de caractère hors du commun, on peut ainsi légitimement regretter que Margaret Ann Bulkley n’ait en fin de compte jamais décidé d’assumer de son vivant sa condition de femme. Car en prouvant au monde qu’elle était tout aussi capable que n’importe quel homme de devenir un médecin compétent et reconnu, le docteur Barry aurait probablement ainsi pu, dans son sillage, ouvrir la voie à d’autres femmes…[Fin de spoiler]

Biographie romancée consacrée à la vie de James Miranda Barry, « Le secret du docteur Barry » est un récit captivant, aux allures de roman d’aventure qui propulse le lecteur aux quatre coins du globe.

Dans un style toujours vif et percutant, Sylvie Ouellette allie avec brio un talent de conteuse hors pair et un solide travail de documentation donnant vie à un docteur Barry tempétueux et obstiné plus vrai que nature et évoluant dans un XIXème siècle parfaitement restitué.

S’il n’est pas toujours aisé pour le lecteur de démêler la part de sincérité et de mensonge, et par conséquent d’éprouver de l’empathie pour un personnage qui a construit sa vie sur une imposture, la personnalité haute en couleur du docteur Barry et son total dévouement au service de ses patients ne peuvent laisser indifférent.

N’hésitant pas à critiquer les institutions en place et à dénoncer toutes les formes de corruption, James Barry se fait un devoir de lutter contre le charlatanisme et de défendre une médecine accessible à tous sans distinction sociale. Visionnaire, avant-gardiste et déterminé, son caractère entier et atypique lui vaudront autant d’inimitiés que de reconnaissance.

Au-delà du portrait d’une personnalité excentrique et au destin hors du commun, le roman de Sylvie Ouellette est donc surtout un véritable hommage à un médecin profondément humain et altruiste, qui dédia sa vie à la santé des autres au prix d’une existence entière d’abnégation.

Un très beau roman que je vous recommande chaudement !

Je remercie les éditions De Borée pour cette très belle lecture ainsi que pour leur confiance !

« La séquestrée » de Charlotte Perkins

 

 

 

 

 

 

Résumé

« Il y a un détail frappant concernant ce papier peint que je suis seule, semble-t-il, à discerner : il change avec la lumière. Quand le soleil se lève et transperce les vitres (je guette toujours le premier rayon qui pénètre, long et droit) le papier change avec une telle rapidité que j’en suis ahurie. C’est pourquoi je ne cesse de le guetter. Dans l’état lunaire – quand elle est haute, la lune éclaire la pièce entière toute la nuit -, le papier devient méconnaissable. La nuit, peu importe l’éclairage, à la lumière du crépuscule, des bougies, de la lampe, et surtout de la lune, on croit voir surgir des barreaux. »

Petit à petit, la narratrice donne une explication à ces étranges métamorphoses : une femme se cache derrière le papier peint. Le jour, elle s’évade… Tombée en dépression, une jeune mère est emmenée un été dans une demeure ancestrale pour une cure de repos. Son médecin de mari en a décidé ainsi. Censée reprendre goût à son quotidien réglé de femme au foyer après ce qui ressemble à une séquestration pure et simple, elle ne réagit toutefois pas comme son époux s’y attendait.

Mon opinion

★★

___Ecrit en 1890, ce court récit, en grande partie autobiographique, condense de nombreuses thématiques représentatives de la société et des moeurs de l’époque victorienne.

___Rédigé sous la forme d’un journal intime, « La séquestrée » met en scène une jeune femme qui, souffrant d’une dépression post-partum se voit imposer une cure de repos par son médecin de mari. L’héroïne se retrouve ainsi confinée dans une chambre exiguë, privée de toute stimulation intellectuelle, n’ayant d’autre « distraction » que d’observer à longueur de journée le papier peint hideux qui orne la pièce.

___Commence alors pour la narratrice une longue descente aux Enfers qui va peu à peu l’entraîner aux portes de la folie. Car à mesure que les jours passent, le papier peint semble s’animer et bientôt, l’héroïne croit distinguer les traits d’une jeune femme tentant de s’échapper du motif la retenant prisonnière…

___Si à la première lecture, « La séquestrée » semble se situer à la lisière entre roman gothique et récit fantastique, explorant le basculement d’une femme dans la folie, la brillante et pertinente postface de Diane de Margerie permet d’offrir au lecteur un éclairage nouveau au texte.

___Replaçant l’oeuvre dans son contexte et reprenant des éléments biographiques de l’auteure, Diane de Margerie nous démontre comment « La séquestrée », au-delà d’une étude psychologique de ce qu’on nomme aujourd’hui la dépression post-partum, est en réalité une véritable condamnation de la société patriarcale et de l’hégémonie médicale de l’époque victorienne.

___Car à travers le portrait saisissant de cette femme cloitrée dans cette chambre sordide et soumise à l’autorité de son mari, c’est finalement celui de toute une condition féminine, emprisonnée dans une société verrouillée que dépeint l’auteure.

___Jusqu’à la moitié du XIXième siècle, on considère en effet que la place de la femme réside dans la sphère privée du domicile familial où elle se doit d’assumer son rôle d’épouse et de mère de famille. De leurs côtés, les hommes régissent le domaine public à travers le travail, la politique et l’économie. Ce n’est qu’au milieu du XIXième siècle que les moeurs commencent à évoluer à mesure qu’émergent les premières pensées féministes. Les femmes aspirent à étendre leur rôle au-delà de la sphère familiale et à s’émanciper.

___C’est dans l’émergence de ce nouveau courant féministe que s’inscrit Charlotte Perkins dont la présente nouvelle fait en grande partie écho à sa vie, tout comme à celles de ses contemporaines, Edith Wharton ou Alice James. La société patriarcale de l’époque imposait aux femmes de choisir entre le mariage et la carrière, autrement dit entre le mariage et le célibat, la dépendance et l’indépendance. Le mariage devait permettre aux femmes de correspondre aux modèles définis pour elle par la société de l’époque, à savoir la mère de famille modèle et l’épouse dévouée. Dans l’opinion populaire, toutes celles qui témoignaient d’un désir d’émancipation étaient considérées comme une menace pour l’ordre social établi.

___Ces femmes, à l’esprit rebelle, qui refusaient d’incarner le rôle que la société attendait d’elles, ne pouvant se satisfaire de la place qu’occupaient leurs pairs enfermées dans le mariage et contraintes à l’autorité de leurs époux, étaient plus libres que les autres, indépendantes financièrement, mais souvent au prix d’une grande solitude.

___C’est ainsi qu’à la fin du XIXième siècle, celles qui aspirent à s’affirmer en tant qu’écrivain se heurtent à cette société fermée et hostile aux femmes. L’écriture étant alors le privilège des hommes. On peut dès lors imaginer que « La séquestrée », à travers la mise en scène d’une femme forcée de rédiger son journal en cachette, décrit en ce sens la lutte acharnée que l’auteure a dû mener pour écrire et publier ainsi que les obstacles qu’elle a dû surmonter pour y parvenir.

___Mais les desseins nourris par Charlotte Perkins lors de la rédaction de « La séquestrée » visaient avant tout le Docteur S. W. Mitchell à qui elle voulait démontrer, par son exemple, qu’il était dans l’erreur avec son approche thérapeutique de la dépression nerveuse et que ses traitements faisaient davantage de tort à ses patients qu’ils ne les soulageaient.

___Charlotte a en effet elle-même souffert d´une forte dépression post-partum suite à la naissance de sa fille, Katharine. En accord avec son mari, elle décide de consulter le plus grand spécialiste des maladies nerveuses de l’époque, le docteur Mitchell, qui lui prescrit une cure de repos. La cure consistait en une véritable mise en quarantaine au cours de laquelle la jeune femme devait rester allongée une grande partie de la journée et, surtout, éviter toute occupation stimulante pour l’esprit. Après quelques mois de ce traitement drastique, à l’image de son héroïne, Charlotte Perkins se trouve aux portes de la folie.

___Difficile de ne pas faire dès lors le parallèle avec l’héroïne de « La séquestrée », cette jeune femme qui, sur les recommandations de son mari médecin se retrouve cloitrée dans une chambre en vue de soigner sa dépression nerveuse. Dans son récit, Charlotte Perkins montre comment la narratrice, infantilisée par son mari, privée de tout loisir et de toute activité intellectuelle éprouve un sentiment d’enfermement oppressant aboutissant à une totale perte d’identité et à son basculement progressif dans la folie.

___A mesure qu’avance le récit, le papier-peint devient un véritable miroir de la condition de l’héroïne, lui renvoyant l’image d’une femme prise au piège qui n’aspire qu’à s’échapper de ce qui la retient prisonnière. En se conformant aux attentes de la société, à travers le mariage et la maternité, la narratrice s’est ainsi retrouvée privée de liberté et d’identité, incarnant dès lors la condition de toutes ces femmes de l’époque qui se sont senties enfermées dans le mariage et dépossédées de leur identité.

___Sous la forme d’un récit semi-autobiographique, Charlotte Perkins dénonce donc le confinement mental et physique de la femme dans la société de l’époque victorienne. Un texte aussi court que pertinent, foisonnant de symboles, qui ne peut laisser aucune femme indifférente.

A découvrir absolument !

« Golden Dogs, tome 1: Fanny » de Stephen Desberg et Griffo

 

 

 

 

 

 

Résumé

Nous étions quatre, Et le monde nous appartenait. Nous étions inséparables. Parce que la vie et ses épreuves nous avaient forgés. Et soudés. Parce qu’ensemble, nous étions Les meilleurs. Les Golden Dogs. Les meilleurs voleurs de Londres. Nous étions quatre. Mais il y avait un traître parmi nous. Et c’est ainsi que tout s’est terminé !

Mon opinion

★★

___Dans leur nouvelle série prévue en 4 tomes, Griffo et Desberg proposent au lecteur une plongée dans les bas-fonds de Londres du XIX° siècle, offrant ainsi un terreau de choix à la mise en scène d’une intrigue relatant l’ascension de quatre jeunes gens dans le milieu du banditisme.

___Situant leur intrigue en 1820, à une époque où la misère et la violence côtoient la richesse excessive, les auteurs imprègnent leur récit d’une atmosphère lourde et oppressante dès les premières pages.

___On découvre une capitale anglaise en effervescence, théâtre d’une lutte des classes virulente, incarnée par l’affrontement entre bandes de hors-la-loi et représentants de la justice, bien décidés à rétablir l’ordre dans la ville. Dans la ligne de mire du haut-commissaire Malcom Blair et du juge Aaron, il y a notamment les leaders de la pègre, la tristement célèbre bande des Black Birds (menée par les Harlow Twins), brutes épaisses et sanguinaires qui sèment la terreur et font trembler le pavé londonien.

___C’est au coeur de ce décor peu reluisant, dans une taverne malfamée, que vit Fanny, une jeune prostituée d’à peine 16 ans. Débarquée à Londres quelques années plus tôt pour fuir un père meurtrier, sa vie bouscule le jour où elle fait la connaissance de James Orwood, un jeune homme ambitieux aux allures de dandy, qui projette de constituer une équipe de voleurs susceptible de rivaliser avec les Black Birds et leur permettre de faire fortune. Il voit en Fanny une équipière potentielle qui pourrait user de ses charmes afin de servir leurs intérêts.

___En dépit du fossé qui les sépare, nos quatre voleurs amateurs vont ainsi devoir rapidement s’accorder une confiance mutuelle aussi aveugle qu’infaillible. Le succès de leur association de malfaiteurs reposant essentiellement sur leur capacité à se serrer les coudes et leur sens de la loyauté. Pourtant, dès le début, on sait qu’un traitre se dissimule parmi eux, annonçant d’ores et déjà de belles acrobaties scénaristiques en perspective.

___A l’image de nos quatre héros qui savent peu de choses les uns des autres, le lecteur ne connaît rien du passé plus ou moins trouble des protagonistes. Si dans ce premier tome, centré sur le personnage de Fanny, les scénaristes distillent bien quelques éléments relatifs au passé de la jeune femme, de nombreuses questions restent cependant en suspens. Comme Fanny, le lecteur n’a donc d’autre choix que de suivre aveuglément la bande de truands sans savoir ce que le destin leur réserve ni quelles révélations vont venir ébranler l’architecture du récit faisant voler en éclat toutes nos certitudes.

___Pourtant, à trop vouloir jouer la carte de l’opacité, en ne distillant les indices qu’au compte-gouttes, les auteurs finissent par ne rien divulguer du tout. Cet excès de mystère aboutit à une histoire qui tourne en rond, sans avancée notable, et finit par frustrer le lecteur.

___Car si l’ambiance de l’époque est parfaitement bien restituée, nous plongeant dans un Londres victorien plus vrai que nature, l’intrigue en elle-même peine à véritablement démarrer, et les auteurs ne parviennent pas à l’exploiter dans tout son potentiel.

___L’histoire fourmille de bonnes idées sans que ces dernières ne soient jamais véritablement creusées.Je m’attendais par exemple à assister à un affrontement plus virulent entre les deux bandes rivales, ce qui aurait permis d’insuffler davantage de rythme à l’histoire. De la même manière, les forfaits perpétrés par le quatuor manquent de génie et d’ambition pour susciter l’admiration du lecteur et pleinement convaincre.

___La galerie de personnages mise en scène ne manque pourtant ni de charme ni de potentiel. Outre le charismatique James Orwood, aux airs de dandy, et l’envoûtante Fanny, clé de voûte de ce premier tome, le quatuor comprend également Lario, un castrat maniant parfaitement l’arme blanche et Lucrèce, une ex-détenue en cavale.

___Mais difficile pour le lecteur de s’attacher à des personnages tout juste esquissés et dont il ignore tout. Les protagonistes manquent finalement de profondeur pour pleinement nous convaincre et l’intrigue, pétrie de bonnes idées et de révélations latentes, en est encore dans ses balbutiements.

___Le scénario pâtit en outre d’une construction parfois maladroite avec une narration manquant à mon sens de fluidité, alourdie par des procédés stylistiques qui casse le rythme d’une intrigue qui en manque déjà considérablement. Les rares scènes d’action (notamment à la fin) semblent dès lors précipitées et dénotent fatalement avec le rythme global de l’intrigue.

Malgré des atouts évidents et tous les éléments indispensables pour bâtir une excellente histoire, les auteurs n’ont pas su concrétiser toutes les promesses portées par ce premier opus qui fait d’avantage figure de tome d’exposition d’une intrigue dont les rouages échappent encore au lecteur.

Les lenteurs redondantes et les révélations latentes se multiplient, finissant par plomber l’intrigue. Les personnages tout juste effleurés ont du mal à capter l’attention du lecteur et à éveiller son empathie. Un constat d’autant plus regrettable qu’avec une idée de départ aussi séduisante et servie par une ambiance victorienne aussi maîtrisée que bien restituée, l’histoire ne manquait pourtant pas de potentiel.

Ainsi, si les amoureux de l’époque victorienne apprécieront à coup sûr l’atmosphère typique, les aficionados des récits bourrés d’aventure et de rebondissements resteront quant à eux sur leur faim. Car en imprégnant leur récit d’un mystère excessif, les auteurs jouent avec les nerfs de leurs lecteurs qui devront donc s’armer de patience pour pleinement apprécier une intrigue qui manque pour l’heure de conviction. Un démarrage timide qui reste à confirmer.

Merci à Babelio et aux éditions Le Lombard pour cette découverte ! 🙂