« Louise, le venin du scorpion » de Chantal Van Den Heuvel et Joël Alessandra

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Quatrième de couverture

Louise,
Tu étais la beauté, l’esprit, la grâce incarnés. Et ton jeu était sublime.
Pourtant, un seul film, Loulou, aura marqué ta carrière.
Hollywood, « l’inhumaine usine à films », t’a très vite blacklistée.
Parce que tu en refusais les règles ? Sans doutes…
Mais aussi, tu disais de toi-même : « Je suis le poignard de ma propre plaie ».
Pourquoi, Louise ?
  • Mon opinion

★★★★☆

___Vedette emblématique du cinéma muet, les oeuvres consacrées à Louise Brooks se comptent pourtant en France sur les doigts d’une main. De fait, il était donc grand temps que des auteurs s’intéressent à la vie de cette actrice devenue l’archétype de la femme libérée des années folles. Faire sortir Loulou du silence et réhabiliter cette star injustement tombée dans l’oubli, tel est le pari de Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra, à travers une bio graphique de 120 pages retraçant la vie de l’icône.

___C’est à Berlin, en octobre 1928 que s’ouvrent les premières pages de « Louise, le venin du scorpion ». L’actrice américaine arrive tout juste en gare, accueillie par le réalisateur Georg Pabst qui l’a choisie pour tenir le premier rôle dans son film Loulou ou la boite de Pandore.

Au rythme des flashbacks, on revit ensuite l’ascension fulgurante de la petite danseuse du Kansas. De ses premiers spectacles à son arrivée à New-York où elle intègre les cours de l’école Denishawn, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra nous entraînent dans les pas de cette artiste en devenir. Là-bas, elle noue une forte amitié avec Barbara Bennett, goûte les délices de Broadway et travaille son futur personnage de scène. Après avoir participé à une importante tournée avec la troupe Denishawn, elle est brutalement renvoyée en raison de son existence dissolue et de l’influence néfaste qu’elle exerce sur la moralité et la réputation de la compagnie. Barbara lui dégote alors rapidement une place de girl aux Scandals ; un emploi que la danseuse quitte quelques temps plus tard avant d’embarquer pour l’Europe. Louise retourne ensuite à Broadway où elle intègre les Ziegfeld Follies. Repérée par un des directeurs de la Paramount, elle tourne un bout d’essai pour un petit rôle et débute bientôt une carrière cinématographique.

___Dans un rythme ciselé entre présent et passé, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra nous font progressivement pénétrer dans l’intimité de l’actrice à la frange sombre et aux yeux envoûtants. Personnalité borderline, en permanence sur la brèche, on découvre une jeune femme blessée, qui tente désespérément de rompre avec les traumatismes d’une enfance volée à l’âge de neuf ans. Dénuée de tout instinct maternel, sa mère, aussi toxique que peu aimante, lui aura cependant transmis sa passion pour l’art et la littérature. En mal d’amour, Louise trouve ainsi refuge dans la danse, les livres et les hommes. Au cours de sa vie, elle enchaîne les relations amoureuses et multiplie les aventures. Autour d’elle les hommes se succèdent : impresarios, producteurs, réalisateurs, acteurs… tour à tour amants ou époux, ils s’éclipsent rapidement après avoir fait une brève apparition dans le film de sa vie. Et puis Louise lit. Sans cesse et avec voracité pour tuer les moments d’attente et l’ennui qui accompagnaient les tournages. Intelligente sans pédanterie, elle dissimule derrière ses attitudes théâtrales et son esprit affuté une profonde mélancolie.

Pourtant, loin de s’apitoyer sur son sort, Louise assume jusqu’au bout cette liberté qu’elle revendique et les conséquences qui en découlent. Véritable électron libre, elle refuse de se plier à l’esclavage des usines de films de Hollywood. Et tandis que se profile l’ombre menaçante du cinéma parlant (évènement qui fit l’effet d’une bombe dans l’industrie cinématographique), c’est bien son franc parler et sa liberté d’esprit qui poussent l’actrice à claquer les portes des studios pour aller tourner en Europe.

___Une liberté qu’elle paiera pourtant au prix fort : celui de la solitude. Louise est aussi abandonnée qu’elle est inoubliable. Délaissée par ses amants puis par les studios, elle s’enfonce peu à peu dans le désespoir et l’oubli. .. avant de renaître de ses cendres. Ses films sont redécouverts au début des années 50 par des historiens du cinéma français. Et l’actrice se voit progressivement réhabilitée à l’occasion de l’exposition des « 60 ans de cinéma ».

___Insérant astucieusement encarts de presse et extraits de films à la narration, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra passent en revue l’existence tumultueuse de cette enfant terrible, danseuse de formation, iconoclaste par nature. De son ascension fulgurante à son progressif déclin en passant par sa période de gloire, les auteurs dressent un portrait captivant et sans concession de cette actrice devenue l’archétype de la flapper des années folles. Symbole de la femme libérée, les jeunes filles s’inspirent massivement de sa coupe à la garçonne qu’elles reproduisent à l’infini. Une coiffure qui va devenir sa marque dans le monde entier.

___Si cette « bio-graphique » remarquablement documentée a donc le mérite de nous faire (re)découvrir une légende du cinéma muet, force est de constater que l’ensemble pêche un peu d’un manque d’émotions, aussi bien dans la narration que dans le graphisme. Joël Alessandra nous livre une Louise sombre (tant au sens littéral que visuellement) qui tend parfois à perdre en expressivité et en aspérités…

Une tonalité qui destine de fait davantage cette BD aux fans de la première heure de Loulou. Les lecteurs peu familiers de l’actrice éprouveront en effet probablement quelques difficultés à s’attacher au personnage et à apprécier les paradoxes et les zones d’ombre de cette femme à la fois magnétique et animée de pulsions autodestructrices.

___Narrativement, les deux auteurs – à l’image de leur sujet – ne s’embarrassent pas toujours de rigueur, s’autorisant quelques libertés avec la chronologie et empruntant quelques raccourcis pour évoquer cette vie semée de drames. Format court oblige, on excusera cependant sans difficulté ces petites approximations. D’autant plus que les répliques au cordeau (aussi pertinentes que judicieusement sélectionnées) et les extraits de films (visuellement bluffants !) témoignent à eux seuls d’un travail de documentation aussi fouillé que rigoureux !

___En dépit de quelques réserves, il convient donc de saluer le bel effort du duo pour ce remarquable hommage ! Car parvenir à restituer en une centaine de pages toute la complexité d’une personnalité aussi flamboyante relevait indubitablement d’une véritable prouesse ! De ce point de vue-là, il faut bien avouer que l’album reste au final une franche réussite ! De fait, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra ont su saisir avec brio ce diamant brut à la dérive, dont la force de caractère se révèle proportionnelle à sa grande fragilité. Une fois la dernière page tournée, le lecteur n’a plus qu’une envie : se replonger dans la filmographie de l’artiste aux grands yeux sombres aussi intrigante que fascinante !

Je remercie infiniment les éditions Casterman pour cette belle découverte ! 🙂

« Le cercle des plumes assassines » de J. J. Murphy

Quatrième de couverture

Dorothy Parker fut l’une des femmes les plus drôles de l’Amérique. Critique, poète, scénariste, elle fut un pilier de la célèbre Table Ronde de l’hôtel Algonquin, où déjeunaient ensemble les plus fins esprits de New York. Dans ce roman qui nous fait revivre les folles années 20, elle devient malgré elle l’héroïne intrépide d’une enquête criminelle. Un matin, Dorothy découvre sous leur table habituelle un inconnu poignardé en plein coeur. Pour compliquer l’affaire, un jeune outsider, venu du Sud, un certain William («Billy») Faulkner, qui rêve de devenir écrivain, va se trouver mêlé à l’histoire. Il est le seul à avoir eu un furtif aperçu du tueur… Mené à un rythme endiablé, ce roman qui allie suspense et humour nous plonge dans l’ambiance de Manhattan à l’époque de la Prohibition. On y croise gangsters notoires, stars de cinéma, légendes littéraires, des personnes réelles côtoyant des êtres de fiction. Jeux de mots, propos acidulés, insultes à peine voilées : les répliques fusent comme des tirs de mitraillette, le tout dans une joyeuse anarchie. J.J. Murphy, admirateur de longue date de Dorothy Parker, a lancé avec ce premier roman une série autour du «cercle vicieux» de l’hôtel Algonquin. Ce roman et le troisième de la série ont été nominés pour le prestigieux prix du polar «Agatha».
  • Mon opinion

★★★★★

Dorothy Parker

Dans ce premier volet d’une série mettant en scène la critique, poétesse et scénariste Dorothy Parker, J. J. Murphy plante le décor de son roman au coeur de l’Hôtel Algonquin (point de ralliement emblématique du « cercle vicieux ») devenu brutalement le théâtre d’un crime impliquant dès lors inéluctablement ses membres. A partir de cette idée originale, l’auteur signe un roman plein de verve et gonflé d’humour qui inaugure avec brio une série pleine de promesse !

___Après avoir fait ses premières armes à Vogue, la jeune journaliste Dorothy Parker se voit confier, à l’âge de 25 ans, la chronique théâtrale de Vanity Fair, Dans les années 20, l’écrivain et chroniqueuse est au centre d’un groupe littéraire new-yorkais qui règne alors sur la vie intellectuelle et mondaine new-yorkaise. Composé d’auteurs, critiques et/ou journalistes, cette sorte d’institution intellectuelle et mondaine rassemble les esprits et plumes les plus acérées de l’époque. C’est à l’Hôtel Algonquin sur la 44e rue que la petite troupe a élu domicile. Six après-midi par semaine, ses membres ont ainsi l’habitude de se réunir autour de la Table Ronde. Célèbre pour l’humour corrosif des conversations qui s’y menaient, l’officieux « Cercle vicieux » (aussi appelé « la Table ronde de l’Algonquin ») exerce une certaine influence sur la société New-Yorkaise. Lors de ces réunions, Dottie peut ainsi éprouver son sens de l’humour caustique et venimeux qui constitue rapidement sa griffe et imprègne nombre de ses oeuvres.

Le jeune William Faulkner

___Mais un jour, alors qu’elle s’apprête à rejoindre ses camarades pour assister à l’une de leurs réunions quotidiennes, la journaliste fait une macabre découverte. Sous la Table Ronde, gît en effet le corps sans vie d’un homme poignardé en plein coeur. La victime n’est autre que Leland Mayflower, un critique de théâtre pour le Knickerbocker News. L’inspecteur Orang-outang O’Rannigan, chargé de l’affaire, ne tarde pas à passer en revue les hypothétiques mobiles (plus ou moins plausibles) ayant pu pousser chacun des membres à commettre le crime. Fraîchement débarqué du Mississippi, William Faulkner est rapidement suspecté du meurtre. Dorothy, qui vient tout juste de faire sa connaissance, ne tarde pas à le prendre le jeune auteur sous son aile et est déterminée à prouver son innocence. Epaulé par son vieil ami et collègue Benchley, Dorothy s’improvise donc enquêtrice, et les trois acolytes se lancent rapidement sur la piste du meurtrier (ou de son commanditaire). 

___S’appuyant sur une figure irrévérencieuse et emblématique du milieu littéraire des années folles, J. J. Murphy met ainsi en scène une galerie de personnages truculents et pleins de mordant, à la hauteur de leur réputation. Gravitant aux côtés de Dottie, on retrouve ainsi les autres piliers du cénacle de l’Algonquin parmi lesquels Robert Benchley, Robert Sherwood ou encore Alexander Woollcott. On se délecte des joutes verbales de ces esprits persifleurs et charismatiques qui portent efficacement cette intrigue désopilante de bout en bout ! Se montrant drôles et spirituels (même dans les circonstances les plus tendues ou les situations les plus ridicules), Dottie et Benchley forment un tandem irrésistible et attachant dont on suit les péripéties avec délectation et que l’on quitte à regrets.

___Mais que les lecteurs qui ne connaissent ni Dorothy Parker ni son “cercle vicieux” se rassurent : nul besoin d’avoir lu un de ses ouvrages pour apprécier cette enquête pleine de mordant ! J. J. Murphy s’attache en effet à rappeler les éléments contextuels indispensables permettant à tout un chacun de pleinement savourer ce condensé d’humour et d’esprit !

Le groupe du « cercle vicieux » (tirée du film « Mrs. Parker and the Vicious Circle » (1994))

___Le ton est d’ailleurs donné dès les premières pages où s’enchaînent très vite dialogues au cordeau, comique de répétition, réparties hilarantes et fignolées… L’auteur impulse ainsi rapidement une dynamique impeccable à cette enquête aussi haletante que rocambolesque. Le rythme très théâtral et les enchaînements d’atmosphères quasi cinématographiques ne laissent aucun répit au lecteur.

___La remarquable finesse des dialogues et la parfaite orchestration du récit témoignent en outre de l’irréprochable maîtrise de son sujet par l’auteur. Mâtiné d’anecdotes et dans une atmosphère parfaitement restituée, J. J. Murphy fait se croiser personnages réels et fictifs avec une incroyable aisance et enracine son enquête à une époque encore marquée par la guerre, au cours de laquelle s’esquisse un début de libération des mœurs.

___Avec ce premier volet, J. J. Murphy embrasse pleinement le parti-pris de la comédie à l’humour grinçant. Multipliant les réparties qui font mouche et grâce à un renouvellement permanent des ressorts comiques employés, l’auteur, toujours remarquablement inspiré, fait surgir des effets comiques d’une incroyable efficacité, y compris là où on ne les attend pas ! Entre véritable exercice de style et parodie littéraire, il se dégage de ce récit plein d’allant une énergie et une bonne humeur communicative !

___Dans le pur esprit des screwball comedy, le dénouement de ce polar décalé et réjouissant n’est donc pas le plus important, c’est davantage le chemin plein de détours imprévisibles et riche en surprises qui nous y conduit qui compte. L’intrigue policière sert donc ici davantage de prétexte pour épingler cette société du paraître et des faux-semblants dans laquelle gravite Dottie et où l’intérêt personnel prime sur le souci des autres. J. J. Murphy n’y va pas avec le dos de la plume pour égratigner non sans humour le microcosme mondain dans lequel évoluent ces personnages. Il se moque joyeusement de cette ambiance saturée d’hypocrisie et tourne en dérision un milieu aussi fermé que superficiel où le nombrilisme exacerbé côtoie la malhonnêteté intellectuelle. Sous le vernis des bonnes manières et de la comédie, il brosse ainsi des portraits au vitriol. On n’aurait définitivement pu imaginer plus bel hommage à une femme émancipée qui souhaita toute sa vie bousculer les mentalités de son temps.

___Il convient, pour conclure, de souligner le remarquable travail effectué par la traductrice Hélène Collon qui, au-delà du texte, s’est évertuée à restituer le plus fidèlement possible et avec une incroyable réussite les nombreux jeux de mots, subtilités grammaticales et orthographiques de l’oeuvre d’origine! Espérons maintenant que les éditions Baker Street traduisent rapidement la suite de cette série déjà pleine de charme et d’esprit !

Créatif, décapant et porté par des personnages croustillants, « Le cercle des plumes assassines » est un roman jubilatoire, s’inscrivant dans la pure tradition des screwball comedy dont il reprend avec brio les codes. J. J. Murphy enchaîne ainsi les dialogues au cordeau et les joutes verbales hilarantes avec une exceptionnelle maîtrise ! Mené selon un rythme quasi théâtral qui ne laisse aucun répit au lecteur, ce récit plein de verve oscillant entre roman policier et parodie littéraire se révèle aussi brillant que jubilatoire !

Multipliant les situations désopilantes et les traits d’esprit, ce premier opus trouve ainsi sa réussite non seulement dans les ressorts comiques à la fois inspirés et sans cesse renouvelés que dans sa galerie de personnages truculents et hauts en couleurs. C’est en outre une immersion saisissante dans le New York de l‘entre-deux guerres, marqué par la Prohibition, les Bootlegger et les speakeasies.

Egratignant au passage avec humour le microcosme mondain dans lequel gravitent ces personnages, J. J. Murphy signe un roman drôle et corrosif, à l’image de la femme sulfureuse et irrévérencieuse à laquelle il rend un très bel hommage.

Je remercie infiniment les éditions Baker Street pour ce savoureux moment de lecture ! 🙂

« Broadway, tome 1 : Une rue en Amérique » de Djief

Résumé

Carrefour entre les extravagances du music-hall et les « speakeasies » baignant dans les vapeurs prohibées d’alcool frelaté, Broadway ne dort jamais. Ses façades parées d’enseignes lumineuses attirent les hommes et les femmes qui vouent un culte à la nuit. Gangsters, écrivains, danseuses, nouveaux riches ou célébrités, tous se donnent rendez-vous sur la « grande voie blanche », animés d’un même désir : saisir le rêve et le faire sien.
Le « 
Chapman’s Paradise » est fermé momentanément : à la mort de Walter, Lenny et George Chapman décident de reprendre la direction de l’établissement. Mais le suicide de l’aîné des trois frères a couvert le club d’une mauvaise aura : il est déserté par ses chorus girls, et les deux frères ne connaissent pas encore grand-chose au monde du showbiz. Faisant fi de leur inexpérience, Lenny et George font le pari de rassembler une nouvelle troupe, et surtout de faire du cabaret un lieu incontournable de Broadway.
Fanny King, une chorus girl ingénue et un peu distraite, s’est fait renvoyer du club qui l’employait à cause de son animal de compagnie. Mais la jeune femme est d’une nature optimiste et entreprenante ; ses recherches la mènent tout droit au Chapman’s Paradise.

Mon opinion

 Décidément, il flotte comme un vent de prohibition et de charleston sur le blog en ce moment ! Après une première immersion dans les années folles avec le roman de Suzanne Rindell, « Vice & vertu », je réitère l’expérience, cette fois en BD !

___Premier opus d’une série en deux tomes, « Une rue en Amérique » nous propulse au coeur de la plus animée des avenues newyorkaises, Broadway.

___Au centre de l’intrigue, le chapman’s Paradise, un cabaret à l’avenir sévèrement compromis depuis que son précédent propriétaire s’est brutalement donné la mort. Contraint à la fermeture, l’établissement en péril est en passe de finalement renaître de ses cendres grâce à Lenny et Georges, les deux frères du défunt, décidés à reprendre l’affaire en main.

___Mais le monde du spectacle se révèle rapidement être un univers sans pitié, comme vont l’apprendre à leurs dépens les deux nouveaux propriétaires. Rivalités entre établissements et leurs détenteurs, vedette aux ambitions dévorantes, et tentatives d’intimidations par la pègre viennent ainsi bientôt enrayer la mécanique et ternir l’enthousiasme des deux frères.

___Dans ce milieu féroce et trouble, Lenny et Georges vont devoir s’armer de courage et faire preuve de ténacité pour mener à bien leur projet et perpétuer ainsi l’entreprise familiale.

___Porté par des personnages hauts en couleurs et un rythme alliant à la perfection dynamisme et fluidité, Djief signe avec « Une rue en Amérique » le premier tome d’un dyptique s’annonçant aussi captivant que prometteur dans une ambiance des années folles immersive et convaincante de bout en bout.

___La justesse dans l’enchaînement des dialogues et les nombreuses péripéties qui émaillent l’intrigue insufflent un rythme enfiévré de circonstance à ce premier tome qui nous plonge au coeur des coulisses d’un cabaret à une époque où la Prohibition bat son plein. Auditions des artistes, répétitions en chaîne, amitiés et inimitiés au sein de la troupe… le lecteur assiste avec émerveillement (et parfois stupeur) à tout ce qui se joue dans les coulisses d’un cabaret.

Extrait de “Une rue en Amérique: Broadway, t.1″ MC productions/Quadrants/Djief © 2014

___Le trait alerte de Djief et les couleurs aux tonalités sepia restituent à merveille l’atmosphère désuète et capiteuse caractéristique des années 20 conférant un vrai cachet à la BD.

Extrait de “Une rue en Amérique: Broadway, t.1″ MC productions/Quadrants/Djief © 2014

___A ce coup de crayon précis et élégant, s’ajoute une galerie de personnages pourvus d’autant de charme que les décors fourmillant de détails dans lesquels ils évoluent. Doté chacun d’une personnalité bien marquée, Djief parvient à croquer leurs traits de caractère avec beaucoup d’adresse à travers la justesse de la palette de leurs expressions. De George, père de famille épanoui à l’enthousiasme communicatif, à son frère Lenny, plus terre-à-terre et en quête de reconnaissance d’une mère qui semble toujours lui avoir préféré ses frères, sans oublier la maladroite et ingénue Fanny, inséparable de son furet et véritable catastrophe ambulante qui rêve de gloire… autant de figures attachantes dont le lecteur suit les joies et les déboires avec un intérêt non dissimulé.

___Finalement, le seul « regret » de ce premier tome, réside probablement dans l’absence de véritable suspense ou d’enjeu dramatique susceptible d’insuffler davantage de profondeur à l’histoire. Car si quelques indices laissent bien entrevoir les prémices d’un tournant plus sombre dans l’intrigue, ce n’est que dans les toutes dernières planches que la menace devient réellement explicite. L’intrigue, encore balbutiante, révèle néanmoins ici tout son potentiel et laisse présager un deuxième tome captivant… que je ne manquerai sous aucun prétexte !

Si les lecteurs avides de BD au scenario abouti et riche en tension dramatique resteront certainement sur leur faim avec ce premier opus, les amateurs des Années Folles en quête d’ambiance authentique et surannée seront pour leur part indubitablement conquis par la qualité de la restitution offrant une immersion parfaitement réussie dans les années 20 !

Faisant plonger le lecteur dans le secret des coulisses d’un cabaret en plein coeur de Broadway, Djief met en place les bases d’une intrigue encore balbutiante mais qui nous laisse néanmoins déjà entrevoir tout son potentiel.

Avec un coup de crayon précis et dynamique allié à un savant découpage et une articulation parfaite des séquences, l’auteur nous offre un véritable ravissement visuel et les prémices d’une série de qualité. A découvrir absolument !

Merci à Babelio et aux éditions Quadrants pour cette très belle découverte !

« Vice & Vertu (Mon amie Odalie) » de Suzanne Rindell

Résumé

New York, 1922-1923. Rose Baker, la narratrice, est une jeune femme fortement marquée par ses années à l’orphelinat. Guindée, moralisatrice et distante avec son entourage, elle travaille comme dactylo au commissariat du Lower East Side à une époque où les femmes font tout juste leurs débuts dans le monde du travail. Lorsqu’une nouvelle venue rejoint l’équipe de secrétaires, Rose est très vite attirée par le magnétisme de cette inconnue. Avec Odalie, elle découvre un autre monde : des bars clandestins, des soirées chics, et des rencontres faciles. Odalie la fascine, lui fait perdre tous ses repères, oublier tous ses principes. Jusqu’au jour où un certain Warren, persuadé d’avoir reconnu la femme qui a provoqué la mort de son frère, se met en tête de démasquer Odalie. Qui faut-il croire dans cette grande fresque des faux-semblants ?

Mon opinion

★★

_Employée comme dactylographe dans un commissariat de police, Rose Baker passe ses journées à retranscrire avec application les procès-verbaux de criminels avant de rejoindre, la nuit tombée, la pension de famille dans laquelle elle partage une chambre avec Hélène, une jeune fille aussi vaniteuse qu’antipathique.

L’existence jusque-là terne et monotone de la jeune femme va prendre un nouveau tournant avec l’arrivée pour le moins théâtrale d’une nouvelle employée au sein du commissariat. Sophistiquée et charismatique, la nouvelle recrue, répondant au nom d’Odalie Lazare, semble enveloppée d’une aura de mystère exceptionnelle, au point de devenir très rapidement l’objet des rumeurs les plus folles.

Avec son charme hypnotique, elle ensorcelle tout le monde sur son passage, à commencer par Rose qui la place rapidement sur un véritable piédestal. D’abord alternativement amusée et choquée par la conduite d’Odalie, Rose développe bientôt une fascination teintée de jalousie pour la nouvelle dactylographe. Car la belle et décomplexée Odalie incarne tout ce que sa collègue n’est pas : une femme issue d’un milieu aisée, charismatique et audacieuse, dotée d’un pouvoir de séduction illimité et à l’existence aussi mystérieuse que trépidante.

Alors que les deux jeunes femmes finissent par se rapprocher, Odalie introduit bientôt Rose dans son univers: un monde clandestin en effervescence, dissimulé à l’abri d’un magasin de perruques où l’alcool aux odeurs frelatées coule à flot sur le rythme endiablé des airs de Charleston.

*_____*_____*

___Avec « Vice & vertu », Suzanne Rindell déploie une intrigue d’une surprenante noirceur et à la croisée des genres, entre thriller et roman psychologique.

___Abandonnée alors qu’elle n’était encore qu’un bébé, Rose a grandi dans un orphelinat, élevée par des religieuses qui lui inculquèrent une éducation stricte, s’inspirant des codes de la morale victorienne. Ayant toujours pris soin de mener une existence discrète et rangée, la jeune femme éprouve les plus grandes difficultés à établir des relations avec les gens autour d’elle la conduisant à vivre dans une relative solitude.

De par l’éducation austère qu’elle a reçu et de sa propre nature, Rose a une vision voilée du monde qui l’entoure. L’entrée théâtrale d’Odalie insuffle un élan de nouveauté et un grain de folie dans sa vie jusqu’alors bien rangée, lui laissant entrevoir la perspective d’une vie plus excitante. Mais son admiration pour la nouvelle recrue va progressivement virer à l’obsession. Epiant et prenant notes des moindres faits et gestes d’Odalie, Rose développe une possessivité et une fascination aussi malsaine que dangereuse à l’égard de sa nouvelle amie.

___Au contact de la fougueuse Odalie, les principes rigides de Rose ne tardent pas à s’éroder. La jeune femme, qui a toujours été très à cheval sur le respect du règlement commence ainsi à violer les règles les unes après les autres. Et le lecteur s’interroge bientôt sur le crédit qu’il peut accorder au récit des évènements fait par la dactylographe. Car les révélations et les coups de théâtre se succédant, l’on découvre rapidement qu’Odalie n’est pas la première personne avec laquelle Rose ait lié une amitié aussi forte. Dès lors, les éléments à charge se multiplient et il devient clair que si Odalie se plaît à transformer la réalité quant à ses origines, le comportement de Rose laisse entrevoir une personnalité tout aussi trouble. Les soupçons du lecteur se trouvent bientôt renforcés lorsqu’il apprend que c’est en fait sur les conseils du médecin qui s’occupe d’elle que Rose dresse le récit chronologique d’évènements appartenant en réalité au passé. L’ombre de ce thérapeute ainsi que les multiples indices distillés par l’auteure tout au long du récit, laissent peu à peu entrevoir les contours d’un drame dont le lecteur n’aura connaissance des tenants et des aboutissants que dans la dernière partie du roman.

___Mais la personnalité tortueuse de Rose n’est pas le seul élément trouble du récit. En effet, à mesure que les deux jeunes femmes se rapprochent, le mystère s’épaissit également autour du passé d’Odalie jusqu’à atteindre son paroxysme lorsqu’un mystérieux jeune homme fait irruption dans la vie des deux amies. Ce dernier semble détenir des informations particulièrement troublantes et compromettantes sur le passé de la dactylographe fraichement engagée. Son arrivée va donner à l’intrigue un véritable tournant « policier » et insuffler au récit une tension dramatique appréciable.

___Pourtant, malgré la trajectoire prometteuse de l’intrigue, une réflexion psychologique intéressante et des questionnements pertinents soulevés par l’auteure (notamment sur les thèmes de l’identité, de l’obsession, de la vérité ou de la justice), l’intrigue déployée par Suzanne Rindell n’est pas parvenue à me convaincre de bout en bout.

En effet, l’ambiguïté de la fin gâche finalement les derniers rebondissements qui peinent dès lors à pleinement produire leur effet. L’architecture du récit manque ainsi de génie et de subtilité pour permettre à ces ultimes révélations de produire sur le lecteur l’effet escompté. Les retournements de situation sont mal exploités par l’auteure qui finit par plonger son lecteur dans un grand état de confusion ne lui permettant pas de saisir clairement l’enchaînement des évènements ayant conduit la narratrice dans sa position actuelle.

Sa lecture achevée, le lecteur ne dispose pas, au final, de l’ensemble des éléments nécessaires lui permettant de rassembler toutes les pièces du puzzle afin de retracer précisément le fil de l’intrigue. Certaines zones d’ombre subsistent et les informations lacunaires fournies par le récit de Rose laissent même planer des incohérences. Le lecteur termine ainsi le roman hagard, livré à lui-même face aux multiples hypothèses et interprétations que laissent dès lors envisager les dernières pages, faute de dénouement explicite.

___En dépit de ces réserves et de l’état de frustration dans lequel m’a plongé la fin du récit, « Vice & vertu » fut une lecture captivante qui m’a emportée du début à la fin. L’atmosphère mêlant décadence des années folles, mystère et tension est absolument délectable, tout comme le style à la fois alerte et percutant. Une excellente lecture en somme, qui, bien que n’atteignant pas la perfection, s’est révélée à la hauteur de mes attentes.

Narré du point de vue de Rose Baker, une dactylographe en apparence vierge de tout reproche « Vice & vertu » nous relate la rencontre improbable de deux femmes aux personnalités opposées et, à travers elle, la confrontation à une époque charnière, des valeurs traditionnelles du siècle passé face à la décadence des années folles.

L’ombre de « Gatsby le Magnifique » de Fitzerald plane indubitablement sur le roman de Suzanne Rindell et les amateurs des années folles apprécieront à coup sûr la plongée dans les bars clandestins, à une époque où la prohibition bat son plein.

Porté par un style fluide et alerte, « Vice & vertu » happe le lecteur dès les premières lignes au décours d’un récit où se mêlent habilement intrigue policière et roman psychologique. Dans ce jeu permanent de manipulations et de faux-semblant où chaque personnage déforme la réalité afin de servir ses intérêts, la vérité semble insaisissable pour le lecteur qui se retrouve pris au piège d’une intrigue à tiroirs nébuleuse au dénouement ouvert déstabilisant. Si je n’ai pas été pleinement convaincue par la construction de l’intrigue (qui est à mille lieues du degré de perfection de Sarah Waters en la matière) et que nombreuses de mes questions demeurent sans réponse au terme de ma lecture, je ressors cependant charmée par la dimension psychologique du récit et la plongée au coeur des années folles.

Avec « Vice & vertu », Suzanne Rindell nous livre un premier roman très prometteur, à la fois sombre et envoûtant, qui propulse le lecteur en plein coeur de l’effervescence des années folles au décours d’un récit teinté de mystère et mêlant habilement intrigue policière et roman psychologique.

Je remercie infiniment Fleuve Editions pour cette formidable plongée dans les années folles ! 🙂