« Les grands peintres, Toulouse-Lautrec » de Olivier Bleys et Yomgui Dumont

Quatrième de couverture

A la fin du XIXe siècle, Montmartre est un quartier interlope. Un quartier où les bourgeoises viennent s’encanailler auprès des voyous et des filles de mauvaise vie ; où les vols et les bagarres sont fréquents, alors que la police des moeurs fait des descentes régulières dans les établissements mal famés. C’est là, dans les salles enfumées des bals, que Toulouse- Lautrec gagne sa réputation de peintre du vice et des bas-fonds…Mais au début de l’année 1895, une sordide affaire secoue le milieu de la nuit montmartroise : des jeunes femmes de bonne famille disparaissent, sans témoins… Très vite, les soupçons se concentrent sur l’entourage de Toulouse-Lautrec, que les moeurs peuvent facilement impliquer dans un rapt. Des individus qui figurent tous sur les tableaux du peintre, où les silhouettes des récentes disparues semblent se dessiner en arrière-plan…

Mon opinion

★★★☆☆

___C’est à travers leur série « Chambres Noires », publiée aux éditions Vents d’Ouest, que Olivier Bleys et Yomgui Dumont s’étaient fait connaître dès 2010. Cette saga en 3 tomes, unanimement saluée par la critique et le public, proposait une intrigue aux relents ésotériques qui s’inscrivait déjà dans une ambiance fin XIXème siècle. En ce premier semestre 2015, le tandem revient sur le devant de la scène aux manettes de l’un des trois titres inaugurant la nouvelle collection des éditions Glénat et consacrée aux grands peintres de l’Histoire. Prévue en une trentaine de tomes, cette nouvelle série projette ainsi de réaliser autant de portraits d’artistes issus de courants et d’époques variés tout en les déclinant à travers des registres et des atmosphères diverses, allant de l’intrigue policière au récit fantastique. L’objectif ultime de la collection n’est donc pas tant de retracer la vie entière d’un peintre que d’essayer de capter au mieux la personnalité de l’artiste et de son oeuvre. Chaque volume se consacrant à un personnage précis, il constitue de fait une entité à part entière pouvant à ce titre se lire indépendamment des autres tomes. C’est donc en vue de contribuer à cette belle initiative que le duo s’est penché sur la vie du célèbre artiste Toulouse-Lautrec.

Henri de Toulouse-Lautrec

Fils du comte d’Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa (1838-1913) et d’Adèle Tapié de Celeyran (1841-1930), Henri de Toulouse-Lautrec est issu de l’une des plus vieilles familles nobles de France. Atteint d’une dégénérescence osseuse, sa croissance cesse brutalement durant son adolescence à la suite de deux fractures des jambes qui le laissent infirme. Toulouse-Lautrec ne dépassa ainsi jamais la taille de 1,52m. Si son tronc était de taille normale, ses membres étaient courts, ses lèvres et son nez épais et il avait en outre un cheveu sur la langue qui le faisait zézayer. Très doué pour le dessin, il monte à Paris où il étudie auprès des peintres académiques Léon Bonnat et Fernand Cormon et se lie d’amitié avec Van Gogh. Admirateur inconditionnel d’Edgar Degas, c’est à lui qu’il doit son sens aigu de l’observation des mœurs du Paris nocturne et son intérêt pour les sujets « naturalistes ». L’artiste, intimement mêlé à la bohème parisienne de la fin du XIXe siècle, a nourri son oeuvre de cette ambiance singulière, croquant aussi bien les chansonniers des cafés-concerts que les danseuses des cabarets ou les prostituées des maisons closes. Son goût pour la fête, l’alcool et les femmes lui vaudront la réputation de peintre du vice et des bas-fonds. Cet artiste aussi passionné que prolifique sera à l’origine d’une oeuvre considérable comptant quelque 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies, et environ 5.000 dessins, avant de s’éteindre à l’âge de 37 ans, rongé par la maladie, l’absinthe et les excès de la vie.

Portrait double de Toulouse-Lautrec : le peintre et son modèle

___Personnage atypique et intrigant, Toulouse-Lautrec incarne un sujet d’étude idéal pour inaugurer la nouvelle collection des éditions Glénat consacrée aux Grands Peintres de l’Histoire. Pourtant, ne vous fiez surtout pas au titre évocateur de ce premier opus, trompeur à bien des égards, car « Toulouse-Lautrec » n’a rien d’une bande dessinée biographique retraçant la vie du célèbre peintre. Si l’artiste est bien le point de mire des premières pages, il s’efface rapidement pour laisser la place à une véritable intrigue secondaire sous les traits d’une sordide affaire de disparitions et avec pour toile de fond le milieu sulfureux de la nuit montmartroise. Cette pseudo intrigue aux circonvolutions policières prend donc rapidement le pas sur toute intention biographique. La frêle silhouette de Toulouse-Lautrec se fond en effet rapidement dans cette enquête relativement peu palpitante qui n’a d’autre intérêt que de servir de prétexte à introduire le lecteur dans les coulisses des nuits parisiennes et de donner lieu à quelques saynètes savoureuses servies par des personnages hauts en couleurs. Une impression renforcée par le dénouement expéditif qui laisse le lecteur hagard et d’autant plus sceptique quant à l’intérêt de toute cette mise en scène. A ce titre, on peut ainsi reprocher aux auteurs ce parti-pris scénaristique flirtant parfois avec le hors sujet. Si le dossier final tente bien de compenser la légèreté du volet biographique du récit, on pourra regretter que la BD ne se suffise pas à elle-même pour nous éclairer davantage sur le parcours et la personnalité de Toulouse-Lautrec.

Oscar Wilde par Toulouse Lautrec

Un sentiment de gâchis d’autant plus prégnant que si on se détache de toute considération biographique, il y a finalement peu à jeter dans cette BD inégale mais par moment fulgurante. A l’instar de ces spectaculaires planches pleine-page (autant d’astucieuses et virtuoses mises en abymes qui nous laissent subjugués d’admiration), de ces mécanismes lexicaux à tiroirs, ou encore de ces répliques pleines d’esprits, truffées de références et de bons jeux de mots. Mâtiné d’humour et fourmillant de références aussi éclectiques qu’inattendues, le rythme soutenu du récit est à l’image de l’oeuvre joyeuse et spirituelle de son sujet. On se perd avec délice dans ces décors fourmillant de détails restituant à la perfection l’ambiance si particulière d’une époque étourdissante, culturellement foisonnante et profondément fascinée par l’exotisme (notamment par l’Orient) ! Le trait dynamique et expressif de Dumont ainsi que le jeu des coloris rappellent habilement le style incisif et typé de l’artiste et nous fait plonger avec délice dans le tourbillon des nuits parisiennes. Puisant ainsi dans de nombreux registres, il peine à se dégager une couleur dominante dans ce grand fourre-tout où se croisent pêle-mêle de nombreux personnages, tous truculents, allant de la grande goulue (de son vrai nom Louise Weber) à Oscar Wilde, qui fait alors l’objet d’un procès pour homosexualité en Angleterre.

___Quoique les intentions réelles des auteurs demeurent finalement floues, ce récit semble donc davantage se revendiquer comme une tentative de capter l’essence d’une époque que celle de brosser un portrait fidèle de l’artiste. Si l’on peut effectivement considérer que les extravagances et les moeurs parfois dissolues de la Belle Epoque illustrent parfaitement la personnalité de Toulouse-Lautrec, on pourra déplorer de ne le voir ici qu’en filigrane d’une intrigue le mettant en définitive peu en valeur.

___On sort finalement de cette représentation haute en couleurs avec un avis en demi-teinte. Car si l’immersion dans ce Paris de la Belle Epoque parfaitement restitué est une franche réussite, on regrette en revanche qu’elle se fasse au détriment du sujet initial et à travers une intrigue malheureusement bancale, qui peine à nous captiver.

Malgré une entame accrocheuse et pleine de rythme, « Toulouse-Lautrec » ne parvient pas à concrétiser le potentiel que laissait pourtant entrevoir les premières planches. La narration prend rapidement un virage inattendu sous les traits d’une intrigue secondaire aux circonvolutions policières, maladroitement menée et peu captivante, se concluant en prime par un final granguignolesque des plus surréalistes. On pourra de fait reprocher aux auteurs de ne pas aller au fond des choses, se perdant dans une intrigue aux relents policiers peu convaincante, car plombée par un scénario qui laisse sérieusement à désirer, et qui donne parfois au récit des allures de fourre-tout dépourvue de fil directeur pertinent.

La vocation première de cet album n’est donc pas tant de retracer la vie du peintre que de tenter de restituer au plus juste l’atmosphère de l’époque qui caractérise le mieux son art. De ce point de vue, cet album servi par un graphisme dynamique et un ton plein d’esprit offre une immersion parfaite dans le Paris du tournant du siècle! On se régale des décors fourmillant de détails et des personnages truculents surgissant de toute part. Les traits d’esprit et les références multiples et inattendues fusent à chaque planche, conférant au récit un rythme étourdissant! Figure emblématique des nuits parisiennes de la Belle Epoque et créateur d’une vision légendaire de la capitale de la fin du XIXème siècle, Toulouse- Lautrec a fixé à travers ses oeuvres le parfum d’un certain esprit français parfaitement restitué dans cet album. Empruntant des chemins détournés au risque de perdre le lecteur en cours de route, ce portrait de l’artiste se révèle en définitive plus symbolique que rigoureux. Subsiste ainsi après la lecture un goût d’inachevé, le sentiment d’un sujet davantage effleuré que réellement traité et dont la frêle silhouette se fond et se perd dans les recoins d’une intrigue malheureusement bancale et peu entraînante.

Je remercie chaleureusement les éditions Glénat pour cette découverte! 🙂

  • Extrait

« Rose soie » de Camille Adler

___Après avoir totalement déserté le blog et délaissé les livres pendant plus d’un mois, j’essaie doucement de reprendre les commandes et de retrouver un semblant de rythme de lecture !
___Il faut dire (à ma décharge) que le mois d’octobre n’a pas été de tout repos pour moi, et que les mois à venir s’annoncent tout aussi éprouvants ! Entre les cours, les exposés, les démarches pour le stage de fin d’étude, et surtout la thèse…, je n’ai pas vraiment le temps de m’ennuyer (et pas beaucoup plus pour lire, malheureusement -_-‘’). Mais soyez assurés que, même croulant sous le travail et les impératifs, ma détermination et mon envie de poursuivre ce blog restent parfaitement intacts :). Et si je suis forcée d’admettre que les mois à venir risquent de s’avérer peu prolifiques, je vous assure de faire au mieux !

___Quelques mots sur mes lectures et articles à venir pour finir ; vous trouverez ci-dessous mon avis sur le roman de Camille Adler, « Rose soie », paru dernièrement aux éditions Milady. Je viens par ailleurs de terminer le roman « La Madone des maquis » de Sylvie Pouliquen aux éditions De Borée (inspiré de la vie de Virginia Hall). Un roman absolument passionnant et que j’ai littéralement dévoré ! Je vous en reparle bientôt ! 😀
Enfin, pas d’article Bilan de mes acquisitions pour le mois d’octobre, puisque je n’ai reçu que trois livres (deux dans le cadre des deux dernières opérations Masse Critique de Babelio et un partenariat avec les éditions De Borée). C’est ma PAL qui est contente ! ^^

___Je finis ce message en m’excusant donc pour ce mois de silence et pour les commentaires restés sans réponse (je vous promets d’y remédier dès ce week-end ! ;)). Et j’ai hâte de rattraper mon retard dans la lecture de vos articles ;).

Résumé

Au XIXe siècle, Rose de Saulnay, jeune femme de la haute société parisienne, est mariée à un homme violent, qui lui reproche son comportement et son goût pour la mode. A l’occasion d’un bal masqué, elle rencontre Alexander Wright, le couturier le plus en vue de la capitale. Lorsque la loi autorisant le divorce est votée, Rose trouve le courage de prendre sa vie en main et de quitter son époux. Mais il refuse.
Aidée par sa femme de chambre, elle s’enfuit et ouvre une boutique de confection. C’est le début d’une période difficile, entre le rejet de la société et celui de son époux. Mais grâce à Alexander Wright, Rose retrouvera foi en l’avenir et en l’amour.

Mon opinion

★★★☆☆

___Inscrivant son intrigue sous le signe de la romance, c’est au coeur de la Belle Epoque que Camille Adler a choisi de situer l’action de son premier roman. Avec « Rose soie », la jeune auteure s’essaie ainsi à un des genres les plus ardus de la littérature : le récit historique. Un exercice particulièrement périlleux puisque nécessitant, par définition, une parfaite maîtrise de son sujet et une connaissance approfondie de l’époque où est censée se dérouler l’intrigue.

___Face à cette double difficulté, la jeune romancière laisse pourtant rapidement entrevoir un réel potentiel. Grâce à un style agréablement fouillé, Camille Adler immerge en effet, très vite et sans difficulté, le lecteur dans l’ambiance du Paris de la fin du XIXème siècle. Combinant élégance et raffinement (et s’inspirant probablement de la plume de certains auteurs de l’époque), son écriture semble ainsi témoigner d’un souci évident d’authenticité et d’une quête d’excellence très appréciable !

___Pourtant, en dépit du soin tout particulier que Camille Adler semble avoir porté à l’écriture, la romance concoctée par l’auteure ne parvient malheureusement pas à éviter les écueils du genre. En effet, plombée par une construction trop académique et convenue, qui laisse dès lors peu de place aux effets de surprise, l’intrigue de « Rose soie », cousue de fil blanc de bout en bout, peine à faire mouche ! Malgré un effort évident sur la forme, le fond du récit manque donc encore d’aboutissement et d’un soupçon de génie pour véritablement éblouir le lecteur qui ne tarde pas à deviner la tournure des évènements et l’issue parfaitement prévisible du récit. Les rouages de l’intrigue nous deviennent en effet rapidement évidents, et l’on ne peut s’empêcher de repérer bientôt les nombreuses coïncidences, bien trop flagrantes pour être réellement plausibles, tout en anticipant sans grande difficulté le rôle clé que vont être amenés à jouer certains protagonistes.

___Par ailleurs, ne prenant pas suffisamment le temps d’installer les situations porteuses de sens et propices à l’instauration d’une véritable tension dramatique, l’auteure peine à faire émerger des enjeux assez forts pour tenir le lecteur en haleine et, fragilisée par une succession de difficultés trop facilement surmontées par l’héroïne, la légèreté de l’intrigue prend bientôt le pas sur des thématiques et des axes de réflexion plus consistants. Ainsi, si à travers le combat de son héroïne, Camille Adler nourrit l’intention louable d’explorer le thème (bien qu’archi-rebattu) de l’émancipation de la femme, le traitement du sujet se révèle un peu trop attendu et superficiel pour marquer les esprits. Dans un souci davantage esthétique que de réflexion, la romancière semble en effet concentrer ses efforts sur les aspects plus anecdotiques du récit (en particulier la description des tenues vestimentaires) au détriment d’un travail plus appuyé sur la psychologie de ses personnages ou d’une meilleure exploitation du contexte historique. Un parti-pris qui aboutit à diluer peu à peu les thématiques fortes de l’histoire dans des sujets de moindre consistance, contribuant à amputer l’intrigue d’une grande part de son potentiel tout en lui faisant perdre en puissance et en profondeur.

___De la même manière, « Rose soie » ne parvient malheureusement pas toujours à échapper aux clichés inhérents au genre, à travers des situations et des dialogues parfois mièvres et édulcorés, donnant alors à l’intrigue des accents un peu trop prononcés de romance à l’eau-de-rose. Par ailleurs, si certaines phrases semblent parfois revêtir des accents de Zola, la beauté du style demeure globalement inconstante, laissant en fin de compte peu de doutes au lecteur quant à l’époque à laquelle a été écrit le roman. Les constructions recherchées et poétiques laissent ainsi de temps à autres la place à des dialogues sonnant faux, car dépouillés et artificiels, qui contrastent lourdement avec le raffinement et la subtilité d’autres passages. Un sentiment d’autant plus marqué que l’écriture sombre parfois dans la lourdeur et la pédagogie dès lors que l’auteure tente de glisser (mais de façon assez maladroite) certaines informations relatives aux moeurs de l’époque.

___A noter, pour finir, les multiples allusions à diverses oeuvres littéraires et cinématographique dont l’auteure imprègne son intrigue. Car en dehors du contexte historique qui évoque immanquablement Zola, Camille Adler mâtine en outre son récit d’autres références à des oeuvres célèbres. Ainsi, le britannique et mystérieux Alexander Wright n’est pas sans rappeler le personnage de Darcy imaginé par Jane Austen, tandis que certaines répliques semblent tout droit tirées du film Titanic (sans parler du prénom parfaitement évocateur de l’héroïne 😉 !). Ce soupçon de Zola dans le style, cette pointe de Jane Austen dans les personnages et ce zeste de Titanic dans les dialogues, apparaissent comme autant d’ingrédients de choix dans l’élaboration d’une intrigue de qualité, mais paradoxalement, leur mélange ne parvient jamais à complètement prendre au cours du récit. Car si les clins d’oeil sont plutôt bien pensés et les intentions louables, il manque définitivement à l’ensemble une touche de personnalité et un brin d’originalité pour que l’alchimie puisse opérer. De fait, bien que sympathiques, cette surenchère de références s’empilant les unes sur les autres finit à terme par desservir l’intrigue, allant même jusqu’à lui faire perdre de son identité propre. Un constat d’autant plus dommageable que l’idée initiale était pourtant alléchante et le désir d’hommage tout à fait louable…

Avec « Rose soie », Camille Adler nous livre une romance historique sans prétention, qui séduira à coup sûr les amateurs du genre en quête d’une lecture légère, tout en laissant probablement sur leur faim ceux désireux d’un récit historiquement plus abouti. Si l’auteure semble donc embrasser pleinement le parti-pris du divertissement, la construction trop sage du récit combinée à la prévisibilité désarmante de l’intrigue laissent malheureusement peu de place à de grands moments d’émotion pour le lecteur qui ne tarde pas à mettre à jour tous les tenants et aboutissants de l’histoire. En dépit d’un style luxuriant et raffiné, évoquant par moments les auteurs du XIXème siècle, l’intrigue cousue de fil blanc et le contexte historique relativement peu exploité ne permettent cependant pas d’offrir de véritable bijou de réflexion quant au thème de l’émancipation de la femme à cette époque.

Si « Rose soie » manque donc encore d’originalité et de caractère pour pleinement convaincre, Camille Adler laisse déjà entrevoir, avec ce premier roman, des qualités d’écriture indéniables et un potentiel certain ! Une jeune auteure prometteuse et à suivre de près !

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Milady pour leur confiance !

« La vérité sur Anna » de Rebecca James

Résumé

Tim, un jeune Australien répond à une petite annonce pour louer une chambre dans la plus belle bâtisse d’un quartier huppé de Sydney. Une véritable aubaine, car la seule contrepartie du loyer avantageux est de venir ponctuellement en aide à la propriétaire de l’immense maison, la fragile Anna. Agoraphobe depuis le décès de ses parents, la jeune fille vit recluse dans cette mystérieuse bâtisse. Tim s’installe dans sa nouvelle chambre offrant une vue imprenable sur l’océan. Il tente doucement d’apprivoiser la jeune fille, mais bientôt, d’étranges manifestations surviennent dans la maison. Tim est réveillé en pleine nuit par des pleurs, puis par des bruits étranges. Le comportement d’Anna l’intrigue puis l’inquiète de plus en plus. La jeune fille est-elle persécutée par des proches qui voudraient profiter de sa faiblesse ou est-elle dangereuse ? De plus en plus attaché à la jeune femme, Tim cherche à comprendre. Mais est-il prêt à se mettre en danger pour lui venir en aide ?

Mon opinion

★★★☆☆

___Après le succès de son premier livre « La beauté du mal », Rebecca James revient en France avec un nouveau roman à suspense mâtiné de drame, au coeur d’une demeure victorienne peuplée de personnages hantés par leur passé. Mais si la quatrième de couverture semblait donc augurer une intrigue réunissant tous les éléments pour appâter le lecteur, dans les faits, force est de constater que la magie ne parvient pas à complètement opérer…

___Le choix de l’auteure d’intégrer à son récit des éléments caractéristiques de la littérature gothique (notamment en situant son action dans un manoir) tout en ancrant son intrigue à notre époque aboutit en effet sur le papier à un résultat qui peine à convaincre. Si on perçoit bien les influences du genre, Rebecca James ne parvient pas à exploiter judicieusement et dans tout son potentiel la matière dont elle dispose. A mesure que le récit progresse, les détails qui auraient dû constituer la force de l’intrigue apparaissent de plus en plus survolés et artificiels (voire presque incongrus) et au bout du compte, le mélange des genres ne prend pas.

___Ainsi, quoique louable, la tentative de mêler à un récit contemporain certains codes du registre gothique n’atteint pas, au final, l’objectif escompté, à savoir instaurer une atmosphère pesante pour le lecteur tout en faisant naître chez lui un sentiment de malaise et de doute quant à la nature exacte des évènements troubles auxquels il se trouve confronté. Car si certains évènements semblent bien déroutants tant on peine à leur attribuer une explication rationnelle, l’effet est systématiquement et rapidement plombé par un changement de scène ou de narrateur empêchant à terme l’installation d’une véritable tension dramatique susceptible de déstabiliser efficacement le lecteur.

___Rebecca James, faute de s’attarder davantage sur les phénomènes étranges auxquels son personnage principal se retrouve confronté, ne prend ainsi pas suffisamment le temps d’imprégner son récit d’une ambiance dérangeante pour le lecteur et susceptible de faire naître en lui un véritable doute sur la rationalité des évènements auxquels il assiste. Un constat d’autant plus dommageable, que paradoxalement, l’auteure encombre son récit (pourtant très court) de scènes inutiles et sans intérêt qui n’apportent pour leur part rien à l’intrigue voire contribuent même à plomber le peu de tension alors instaurée. Ainsi, le « huis clos » annoncé par le bandeau promotionnel tient, hélas, davantage de la poudre aux yeux jetée par l’éditeur que des faits puisque Rebecca James, loin de cantonner son récit entre les murs de l' »inquiétante » bâtisse, multiplie au contraire les excursions vers des espaces ouverts (le lieu de travail de Tim, la piscine municipale… ). Dès lors, difficile pour le lecteur d’éprouver un quelconque sentiment d’oppression ou de malaise tel qu’il pourrait en ressentir pris au piège d’un véritable huis clos. De la même manière, l’alternance permanente (et trop fréquente) de narration entre Tim et Anna, en empêchant le lecteur d’appréhender les évènements depuis le seul point de vue du jeune homme, ne lui permet pas de pleinement saisir les enjeux que cette première partie du roman aurait pourtant dû poser. Il devient ainsi compliqué de mesurer à quel point Tim est en fin de compte perturbé par les phénomènes auxquels il assiste, et l’hypothèse de la folie ne saute pas franchement aux yeux du lecteur (alors que lors d’une des dernières scènes du roman, on nous laisse clairement entendre que c’était pourtant un des objectifs de la première partie).

___Toutes ces maladresses dans la mise en scène contribuent à faire prendre à l’histoire un rythme en dents de scie sans jamais qu’elle ne parvienne en fin de compte à réellement décoller ou à faire émerger un besoin irrépressible de découvrir la cause exacte de ces évènements. L’histoire peine ainsi à véritablement avancer durant toute sa première partie. Et il faut attendre la moitié du roman pour qu’une révélation notable ne parvienne à raviver l’intérêt du lecteur, laissant alors entrevoir un début d’explication et un rapprochement du dénouement final.

___Pourtant, malgré une première moitié laborieuse et peinant à atteindre ses objectifs, Rebbeca James parvient néanmoins à tirer son épingle du jeu au décours d’une dernière partie nettement plus prenante. Enchaînant les révélations, l’auteure lève enfin le voile sur le passé, déterre les secrets de ses personnages et reconstitue peu à peu le fil des évènements à travers une mise en scène soignée et habilement menée. Si certaines implications sont aisément prévisibles, la plupart des révélations s’avèrent beaucoup plus inattendues pour le lecteur non rompu à cet exercice. Le mystère finalement divulgué, les qualités du scénario sous-jacent imaginé par l’auteure peuvent enfin apparaître. Mais bien que le dénouement parvienne à rehausser le niveau de l’ensemble, certains aspects ne manqueront pas de laisser plus d’un lecteur dubitatif. Car si la scène finale apporte effectivement son lot de réponses, certains phénomènes étranges évoqués dans la première moitié demeurent, pour leur part, totalement inexpliqués, venant ainsi encore un peu plus enrayer une mécanique déjà sérieusement bancale.

Si, faute d’avoir lu le premier roman de l’auteure, il m’est impossible d’établir une comparaison avec son précédent livre, « La vérité sur Anna », qui signe de fait ma première rencontre avec Rebecca James, ne me laissera au final pas un souvenir impérissable.

Malgré une intrigue de plutôt bonne qualité sur le fond (mais dont on ne peut malheureusement pleinement mesurer les enjeux qu’à la toute fin du récit), l’ensemble peine en effet à convaincre sur la forme. Le récit souffrant dans toute sa première partie de plusieurs maladresses qui l’empêchent de pleinement remplir ses fonctions. Outre un mélange des genres peu convaincant, « La vérité sur Anna » ne parvient ainsi pas à instaurer l’ambiance oppressante et angoissante que laissait pourtant augurer la quatrième de couverture, et les changements permanents de narrateur ne permettent pas au lecteur d’appréhender de façon suffisamment précise la psychologie de Tim au point d’immiscer le doute dans son esprit concernant la nature des évènements auxquels il se trouve confronté.

Malgré une dernière partie plus captivante et un dénouement habilement mené au décours d’une mise en scène soignée, l’ensemble manque toutefois de maîtrise et d’aboutissement pour pleinement convaincre. A mes yeux, Rebecca James manque donc encore de savoir-faire et d’un peu de « génie » dans l’élaboration d’intrigue tortueuse et machiavélique telles que Sarah Waters en a le secret ! Ainsi, si les intentions et les idées sont bien là, le résultat demeure donc beaucoup trop bancal et maladroit pour marquer durablement le lecteur.

Je remercie Livraddict et les éditions XO pour leur confiance !

« La galerie des maris disparus » de Natasha Solomons

 

 

 

 

 

 

 

Résumé

Quand son mari se volatilise, Juliet Montague disparaît à son tour. Ni veuve ni divorcée, elle n’a pas le droit de refaire sa vie selon les règles de la communauté juive à laquelle elle appartient. Juliet s’efforce pourtant de son mieux d’assumer le quotidien et d’élever ses deux enfants. Mais le jour de ses trente ans, un matin de l’hiver 1958, elle prend une décision tout sauf raisonnable : au lieu de consacrer ses économies à l’achat d’un réfrigérateur, elle s’offre un portrait à son effigie.

Ce tableau, premier d’une longue série, signe le début de son émancipation : passionnée de peinture, Juliet va peu à peu repérer les talents émergents, frayer avec le gotha artistique de Londres et ouvrir sa propre galerie. Ses nouvelles amitiés et, plus tard, son amour pour un brillant peintre reclus dans sa maison du Dorset l’aideront à affronter les commérages et la réprobation des siens. Mais Juliet reste enchaînée et, pour se sentir tout à fait libre, il lui reste un mystère à élucider…

Mon opinion

★★★☆☆

___Juliet Greene a grandi au sein d’une communauté juive très conservatrice. Son père, propriétaire d’un magasin d’optique, a toujours rêvé d’avoir un fils à qui léguer son commerce et très tôt, Juliet est donc persuadée d’être une source de déception pour lui. Un sentiment d’autant plus tenace que la jeune femme est par ailleurs la seule de sa famille à n’avoir jamais eu besoin de lunettes. Dans la famille Greene qui a bâti sa réussite professionnelle sur la vente de verres correcteurs et qui considère les troubles de la vue comme une bénédiction, la vision parfaite de Juliet est perçue comme une exception regrettable.

___Adulte et mariée, Juliet s’est toujours conformée du mieux qu’elle le pouvait aux attentes de sa communauté. Mais après la disparition aussi soudaine qu’inexplicable de son mari, George, la jeune femme se retrouve affublée du statut peu enviable de aguna. Car selon la Loi juive, la procédure du divorce repose sur le consentement mutuel et obéit à des règles strictes selon lesquelles l’époux doit matériellement, en personne, ” donner le guet “ (le libellé de divorce) à sa femme qui doit accepter de le recevoir. Ainsi, dans le cas où l’époux ne peut pas donner l’acte de séparation (en cas de disparition par exemple), la femme ne peut être déclarée divorcée. Considérée comme encore mariée, il lui est alors impossible d’envisager de contracter une nouvelle union. Dès lors, toute relation avec un autre homme est considérée comme adultère et les enfants issus d’une telle union illégitimes.

___Juliet se retrouve donc livrée à elle-même du jour au lendemain, seule avec ses deux enfants à charge. Et alors que toute sa famille tente de se convaincre que cette disparition ne peut être que temporaire, elle est la seule à appréhender les évènements avec lucidité. Alors qu’elle tente de mener l’existence que l’on attend d’une femme de sa condition, Juliet va donner à sa vie un tournant inattendu le jour de son trentième anniversaire. Après avoir longtemps économisé pour acheter un réfrigérateur, la jeune femme va, dans un accès d’audace, renoncer à cet achat afin de s’offrir un portrait d’elle réalisé par un jeune artiste croisé par hasard. Un choix qui, bien qu’anodin en apparence, va pourtant faire basculer la vie de cette mère de famille rangée. Car ce portrait à son effigie va être le premier d’une longue série que Juliet complètera toute sa vie, au fil de ses rencontres avec de nombreux artistes. Grâce à son oeil avisé, elle va progressivement intégrer le milieu artistique et s’imposer comme une dénicheuse de nouveaux talents, jusqu’à monter sa propre galerie.

___Au fil de ce catalogue de portraits dans lequel chaque tableau nous dévoile une facette de l’héroïne, Natasha Solomons retrace des fragments de la vie de Juliet. De son enfance aux dernières années de sa vie, en passant par sa rencontre avec George, l’auteure retrace, à travers les multiples rencontres artistiques de Juliet et les portraits qui en naîtront, la vie incroyable et la trajectoire hors du commun d’une femme enchaînée à son statut marital et en perpétuelle quête d’identité.

___De la construction même du récit, aussi astucieusement pensée que habilement menée, aux éléments en apparence secondaires de l’intrigue, rien  ne semble avoir été pensé au hasard par l’auteure. Dans ce récit aux allures de conte initiatique, Natasha Solomons s’attache à donner un sens au moindre détail. Ainsi, lorsque George disparaît, il emporte avec lui l’objet le plus cher aux yeux de Juliet, un portrait d’elle peint par un client de son père lorsqu’elle était encore enfant. Au-delà de l’aspect matériel, le vol de ce tableau illustre bien comment, à travers son acte, George va priver Juliet d’une part de son identité. Car en disparaissant de la sorte sans accorder le divorce à son épouse, il la condamne à vivre enchaînée à son statut marital, sans possibilité de se reconstruire. Son obsession à se faire portraitiser par tous les artistes qu’elle rencontre devient dès lors révélatrice de sa quête d’identité désespérée.

___De la même manière, le fait que Juliet soit l’unique membre de sa famille à ne pas avoir besoin de lunettes, outre le fait de témoigner de sa singularité, démontre également qu’elle est la seule, au sein de cette communauté très conservatrice, à ne pas voir le monde avec des œillères. Les lunettes sont d’ailleurs un accessoire récurrent tout au long du récit dont l’auteure use afin de symboliser le regard critique porté par la société et le jugement permanent auquel chacun est soumis. Ainsi, lors de l’exposition que Juliet organise, « les critiques se distinguaient par leurs lunettes à monture noire» et le médecin qu’elle consulte quelques temps plus tard pour obtenir la pilule (alors réservée aux femmes mariées) portait quant à lui des « lunettes demi-lune ». Natasha Solomons pare ainsi, avec beaucoup d’intelligence et de subtilité, son récit d’autant de détails symboliques et pertinents afin d’appuyer son propos et de donner davantage de profondeur et de sens à son intrigue.

___Pourtant, le soin permanent apporté aux symboles ainsi que la richesse du texte en connotations n’ont malheureusement pas suffit à me faire oublier un style minimaliste, tombant dans l’excès d’une trop grande simplicité, et une écriture manquant parfois de fluidité. Il m’aura ainsi fallu près de soixante-dix pages pour pleinement m’immerger dans l’histoire et m’accoutumer à ce style que j’ai personnellement trouvé peu engageant. Car si j’ai été totalement séduite par la teneur du message véhiculé et l’architecture du récit, j’ai en revanche eu beaucoup de difficultés à éprouver de l’empathie pour les personnages, peu séduite par l’écriture de Natasha Solomons, que j’ai trouvée dépourvue de charme et de raffinement.

___Malgré cet écueil, « La galerie des maris disparus » n’en reste pas moins un roman de grande qualité, à la fois original et d’une grande intelligence, qui nous entraîne dans l’effervescence du milieu artistique londonien du début des années 60, à la rencontre d’une femme qui, tiraillée entre sa communauté trop conservatrice et un milieu artistique décomplexé, peine à trouver sa place.

___Natasha Solomons nous livre ainsi le portrait d’une femme à la fois en quête d’identité, de liberté, d’amour et de réponses à ses questions. Condamnée à vivre enchaînée à un mari qui l’a abandonnée et réduite au statut de aguna par sa communauté, Juliet devra faire preuve de courage et d’audace pour briser ses chaînes, s’affranchir de l’opinion publique afin de conquérir sa liberté, et exister autrement qu’à travers son statut de femme mariée.

Je remercie chaleureusement les éditions Calmann-Lévy de m’avoir permis de découvrir ce roman ! 🙂

« Tuer Napoléon III » de Jean-Baptiste Evette

 

 

 

 

 

 

Résumé

En cette fin d’année 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, le prince président, brigue un second mandat, malgré la Constitution. Un coup d’état est possible. Typographe à Paris, Etienne Sombre a été témoin d’un évènement très étrange à la fabrique d’horloge Forbes, un lieu pourtant abandonné. Un soir, alors qu’il se promenait près du bâtiment, il a manqué mourir dans une terrible explosion qui a ravagé les lieux Dans un semi coma, il a vu une femme magnifique sortir de la fabrique, « telle une déesse allant son chemin »… Que se passe-t-il dans le secret de l’usine en ruine ? Le 2 décembre 1851, c’est le coup d’état. Malgré la menace des soldats, Etienne refuse de composer la proclamation de Bonaparte qui stipule la fin de la République. On lui confisque son livret ouvrier : il n’a plus de moyen de travailler. Il tente de survivre dans un Paris où s’affrontent Républicains et forces de l’ordre. Lors d’une émeute, Etienne retrouve le portefeuille d’un insurgé assassiné. A l’intérieur, un livret ouvrier et une lettre destinée à une certaine Emilie Simon. Pour échapper à la misère, Etienne prend l’identité du défunt. Mais se faire passer pour un mort dont on ignore tout n’est pas sans risque. D’autant plus que la jolie Emilie Simon — dont Etienne tombe amoureux — cultive le goût du secret : Etienne ne l’a-t-il pas aperçue un soir, déguisée en homme dans un café ? Décidemment, dans la France ordonnée de Bonaparte, des forces occultes s’agitent. Bientôt, Etienne entend parler d’une société secrète prête à tout pour renverser Bonaparte : les Invisibles…

Mon opinion

★★

___Avec « Tuer Napoléon III », les éditions Plon inaugurent une nouvelle collection consacrée au roman historique avec pour toile de fond de cette première publication, Paris et le coup d’Etat de Napoléon III en 1851.

___ « Tuer Napoléon III » nous invite à suivre les évènements accompagnant le changement de régime à travers le destin d’un jeune ouvrier typographe récemment débarqué à Paris. Le quotidien monotone d’Etienne va être bouleversé par le coup d’Etat policier et militaire et ce Républicain convaincu va peu à peu prendre part à la lutte contre le régime impérial.

___Jean-Baptiste Evette s’attaque donc à une période de grands troubles politiques et sociaux. Si sur le fond, on est de prime abord tenté de comparer ce roman à « La fortune des Rougon » de Zola (notamment en raison de la proximité des thèmes abordés), sur la forme, on comprend rapidement que l’on a affaire ici à un style tout à fait différent, tant l’écriture et l’intrigue de Jean-Baptiste Evette sont empreintes de modernité.

___Le contexte historique est largement développé et le récit fourmille de références et de marques d’érudition, donnant parfois à l’ensemble des allures d’exposé. En effet, on ne doute pas une seule seconde que l’auteur n’est pas un contemporain de l’époque qu’il décrit. Il existe un profond décalage entre le style souvent froid, manquant de spontanéité et d’émotion, et l’époque dont nous parle Jean-Baptiste Evette. Il devient dès lors difficile pour le lecteur d’éprouver de l’empathie pour les personnages et de se sentir pleinement concerné par ce qui leur arrive.

___En dépit de cet écueil, le roman jouit néanmoins de certaines qualités indéniables. J’ai ainsi pris beaucoup de plaisir à découvrir le monde passionnant de l’imprimerie et l’hommage ainsi rendu au livre et à la lecture. J’ai apprécié entrer dans l’intimité des ateliers de typographie, découvrir les procédés employés ainsi que les risques professionnels qui en découlaient (d’ailleurs remarquablement illustrés par Etienne qui souffre de saturnisme).

___L’auteur a en outre su brillamment décrire la brutalité et les bouleversements engendrés par le coup d’Etat. A travers le quotidien d’Etienne Sombre, le lecteur prend pleinement conscience de l’enchaînement des évènements et de leurs répercussions. A la monotonie du travail à l’imprimerie succède ainsi la brutalité et les bouleversements du coup d’Etat.

___Le mouvement d’insurrection qui s’organise alors apparait improvisé et composé d’amateurs qui vont mener, au péril de leur vie, une lutte clandestine contre le régime impérial. Chacun devant faire face à un dilemme où la volonté de se battre se heurte à la crainte de tout perdre.

___En regard de cet aspect historique du récit se greffent d’autres intrigues parmi lesquelles la naissance d’une histoire d’amour entre Etienne et une jeune voleuse, ainsi que la rencontre entre le typographe et une énigmatique jeune femme dont il va tenter de percer les secrets. Les révélations d’ailleurs inhérentes à l’identité de cette femme mystère et son rôle dans la suite de l’intrigue offrent d’ailleurs une tournure aussi inédite qu’inattendue à ce roman historique où l’auteur semble parfois jouer avec les genres.

___Autant de fils du récit qui vont se croiser et se superposer au décours d’une intrigue aux multiples facettes et à la croisée des genres, qui tend pourtant (malheureusement) à s’essouffler à de multiples reprises. Car malgré quelques bonnes idées et des sursauts de rythme à certains moments, « Tuer Napoléon III » pêche par un manque de rythme global évident.

___Une lecture en dents de scie donc, sympathique dans l’ensemble, mais pas inoubliable.

Avec « Tuer Napoléon III », Jean-Baptiste Evette signe un roman historique déroutant mais non dénué d’intérêt, proposant un récit mêlant fiction et réalité historique, où la modernité du style et de la conduite de l’intrigue se heurte à l’époque décrite. Difficile dès lors pour le lecteur de pleinement entrer dans cette histoire en permanence à cheval entre passé et présent.

Les amateurs de purs romans historiques seront donc probablement déstabilisés par cette intrigue aux multiples fils qui semble parfois à la frontière des genres. Entre reconstitution historique rigoureuse et fiction aux multiples rebondissements, Jean-Baptiste Evette signe avec « Tuer Napoléon III » un roman historique qui en dépit de certains défauts a le mérite de se démarquer des autres romans du genre.

Je remercie Babelio et les éditions Plon de m’avoir permis de découvrir ce roman dans le cadre de l’opération Masse Critique !