« Le mystère Blackthorn » de Kevin Sands

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Quatrième de couverture

Londres, 1665. Christopher Rowe, orphelin de 14 ans, a été recueilli par l’apothicaire Benedict Blackthorn, qui lui enseigne les secrets de ses potions et remèdes. Mais une série de meurtres endeuille la ville : les victimes sont toutes des apothicaires amis de Blackthorn. Le responsable en serait la secte de l’Archange, organisation occulte prête à tout pour s’emparer du pouvoir.
  • Mon opinion

★★★★☆

___Londres, 1665. Apothicaire réputé et respecté, Benedict Blackthorn a pris sous son aile le jeune Christopher Rowe, un orphelin de 14 ans. Depuis trois ans, le jeune garçon suit un apprentissage intensif afin d’élargir ses connaissances et de parfaire son savoir. Outre les cours quotidiens, Benedict lui transmet sa passion de la lecture, mettant à la disposition de l’adolescent de nombreux ouvrages sur tous les sujets susceptibles de stimuler l’esprit et l’imagination. Entre le maître et le jeune élève, s’est progressivement établie une véritable relation filiale.

A une époque où les frontières entre médecine, pharmacie, alchimie et sorcellerie sont encore très floues, la limite entre apothicairerie, charlatanisme et sciences occultes n’a jamais été aussi mince. Aussi bienveillant qu’exigeant, Blackthorn n’a de cesse de tester son jeune élève, mettant à l’épreuve aussi bien ses connaissances que son sens moral et son intégrité. Dans son officine, il l’initie chaque jour à l’art des potions, lui livre les fantastiques pouvoirs des plantes et les secrets de fabrication de précieux remèdes.

Mais alors qu’une série de crimes atroces vient secouer la ville et que l’étau se resserre autour de l’officine Blackthorn, notre jeune apprenti se retrouve malgré lui entraîné dans une enquête aussi ténébreuse que dangereuse. Lancé sur les traces du – ou des – instigateurs à l’origine d’une série de crimes visant les apothicaires de la ville, Christopher devra redoubler de sang-froid et mettre en application les précieux enseignements de son maître s’il veut résoudre cette énigme.

___Avec ce premier roman, Kevin Sands pose les bases d’un univers foisonnant et signe une intrigue remarquablement maîtrisée et méticuleusement orchestrée. Mais parce qu’il serait dommage de déflorer cette intrigue aussi captivante que riche en rebondissements, je ne dévoilerai rien de plus que ce que laisse sourdre la quatrième de couverture quant aux évènements auxquels notre jeune héros va se trouver confronté.

Kevin Sands, scientifique de formation (il a fait des études de physique/chimie), a clairement mis ses connaissances au service de cette intrigue haletante qui mêle avec brio aventure et Histoire. Fort de sa passion pour les sciences et les mystères, il déroule une intrigue parfaitement huilée et propulse avec une remarquable efficacité le lecteur au coeur du XVIIe siècle. Dans cet univers hostile, le jeune lecteur n’a d’autres choix que de rester en permanence sur ses gardes. Entre conspirations, langages codés, décryptage de codes secrets,… le romancier fait en permanence travailler l’esprit du lecteur, prenant un malin plaisir à multiplier les énigmes et à brouiller les pistes.

La large typographie et la mise en page aéré séduiront à coup sûr les jeunes lecteurs, alors que les plus âgés seront agréablement surpris par la noirceur de certains rebondissements et des développements inattendus imaginés par l’auteur. Quoique s’adressant à un lectorat jeunesse, Kevin Sands ne ménage en effet ni ses lecteurs ni ses personnages dans cette intrigue décidément sans concession. Soucieux d’un certain réalisme, l’auteur a en effet fait le choix d’une tonalité au diapason de l’époque où se situe l’action de son récit. De fait, le romancier n’épargne pas ses personnages donnant parfois lieu à des scènes d’une noirceur inattendue pour un récit jeunesse.

___Sous-couvert du simple récit de divertissement, « Le mystère de Blackthorn » soulève également des enjeux plus profonds, engageant notamment une quasi réflexion éthique sur l’utilisation des découvertes scientifiques. Objet de rivalité et de convoitise, la quête de la Prima Materia se trouve ici à l’origine des machinations les plus sombres. A travers cette recherche effrénée, l’auteur met ainsi en garde sur la soif du pouvoir et sur les conséquences qui peuvent résulter de l’exploitation de nouvelles connaissances laissées entre les mains d’esprits mal intentionnés ou nourrissant de funestes desseins. C’est aussi l’occasion pour le jeune lecteur de découvrir les modalités de formation au métier d’apothicaire et le quotidien harassant des apprentis à cette époque. Les journées sont longues et les tâches à accomplir souvent ingrates voire dangereuses.

___Pour cette première incursion dans la littérature jeunesse, Kevin Sands a assurément su trouver le juste dosage entre suspense, action et humour. En filigrane de cette intrigue fleurant bon le mystère et l’aventure, on retrouve aussi réunis tous les thèmes de prédilection de la littérature jeunesse : amitié, loyauté, solidarité,… autant de sujets tour à tour évoqués et valorisés au décours de cette histoire menée tambour battant et qui emporte le lecteur dans le cercle secret des apothicaires. Un monde mystérieux, à la fois à part et captivant.

Réunissant tous les ingrédients d’un bon roman jeunesse, « Le mystère de Blackthorn » est un savant cocktail aussi explosif qu’efficace. Riche d’un univers fouillé et porté par des personnages bien campés, ce premier tome pose les bases d’une série aussi inventive que prometteuse. De fait, rien d’étonnant à ce qu’Eoin Colfer apparaisse en quatrième de couverture tant le parallèle entre les univers de ces deux auteurs et leur approche de la littérature jeunesse sonnent comme une évidence.

Tout au long du récit, Kevin Sands prend soin de consolider les fondations de l’univers qu’il a soigneusement bâti et distille habilement de nombreux indices laissant augurer un futur volet. De surcroit, en choisissant de situer son récit au coeur de la ville Londres en l’an 1665, le romancier fournit à son intrigue un contexte historique de premier choix. Epidémie de peste, grand incendie de Londres,… l’Histoire en marche réserve autant d’évènements propices et de pistes à exploiter en vue de futures aventures… qui s’annoncent déjà comme palpitantes !

Je remercie Babelio et les éditions Bayard jeunesse pour cette lecture ! 🙂

« Darwin, tome 1 : À bord du Beagle » de Christian Clot et Fabien Bono

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Quatrième de couverture

1831. Charles Darwin, 22 ans, tout juste diplômé de Cambridge, est un passionné de la nature. Sur la recommandation de son professeur d’université, il embarque comme naturaliste à bord du Beagle, un navire de Sa Majesté lancé dans une mission scientifique de plusieurs années autour du globe. Débute alors une relation turbulente avec le commandant Fitz Roy qui partage son goût pour les sciences et les découvertes, mais moins ses idées humanistes… Au cours de son voyage, Darwin sera constamment émerveillé par la beauté de la nature et sa diversité. Élevé dans la plus pure tradition chrétienne, il verra sa foi mise à l’épreuve par ses différentes observations. Pourquoi Dieu a-t-il créé et détruit autant d’espèces ?
  • Mon opinion

★★★★★

Créée en 2012 par Christian Clot, la collection Explora de Glénat a pour objectif de faire (re)découvrir les grands explorateurs/exploratrices de notre histoire à travers le 9e art. Revenant sur les traces de ces grands aventuriers qui ont marqué l’Histoire et ont laissé leurs noms à la postérité, la collection rend ainsi hommage à ces hommes et ces femmes et à leurs découvertes. A ce jour, une dizaine de titres sont déjà parus. Publié en mars 2016, « Darwin, à bord du Beagle » revient sur la biographie du naturaliste qui a marqué la science et la théorie de l’évolution de son nom.

___Après avoir abandonné ses études de médecine (la vue du sang le révulsait), le jeune Charles Darwin se destine, conformément aux souhaits de son père, à devenir pasteur. En 1828, il reprend donc ses études en dilettante à Cambridge en vue de cet objectif. Là-bas, l’étudiant indolent fait la connaissance de John Stevens Henslow, professeur révérend qui enseigne la botanique, et avec lequel il se lie d’amitié. Ce dernier, décelant bientôt les qualités d’observation exceptionnelles de son élève et sa capacité à mettre en corrélation des faits a priori isolés pour en tirer des conclusions, le pousse à suivre des cours de géologie afin de compléter son savoir sur les sciences naturelles. Quelques temps plus tard, c’est aussi lui qui recommandera le jeune étudiant comme naturaliste à bord du Beagle, pour une expédition scientifique autour du monde. La mission ayant pour objectif d’effectuer des relevés cartographiques. Grâce à l’appui de son professeur (et après avoir réussi à convaincre son père), le naturaliste en herbe embarque finalement sur le navire sous le commandement du jeune Capitaine Robert Fitzroy. Il emmène dans ses bagages le livre de Charles Lyell, Principles of Geology, dans lequel l’auteur élabore les thèses d’uniformitarisme. A bord, Robert McCormick, le naturaliste officiel du navire, ne peut cependant pas souffrir le jeune étudiant, insupporté par les méthodes de travail et la façon d’être de son rival. Mais au-delà de cette guerre des égos, c’est surtout la confrontation de deux conceptions du rôle de naturaliste qui s’opposent à travers les deux hommes. Au simple travail d’observation, Darwin préfère le travail de terrain. Sa démarche intellectuelle visant à ne pas simplement se positionner en observateur de l’oeuvre de Dieu mais à la questionner agace profondément McCormick. D’abord septique quant aux compétences de Darwin, le commandant Fitz semble quant à lui de plus en plus apprécier les connaissances et l’esprit curieux du jeune naturaliste. Pouvant compter sur le soutien de ce dernier, Darwin peut donc poursuivre ses investigations et étoffer sa collection.

___Initialement prévue pour une durée de 2 ans, l’expédition s’étendra en réalité sur 5 ans. Au cours de ce périple, le jeune scientifique va progressivement voir toutes ses certitudes ébranlées. Sur le terrain, le jeune homme élevé dans la plus pure tradition chrétienne, soumet la théorie créationniste à l’épreuve des faits. D’observations en découvertes, Darwin amorce une lente réflexion qui aboutira à poser quelques temps plus tard les bases de sa théorie de l’évolution des espèces par la sélection naturelle.

___Avec « A bord du Beagle », Christian Clot et Fabio Bono nous embarquent au coeur d’une aventure scientifique et humaine aussi passionnante que dépaysante ! Un album minutieusement documenté et immersif à souhait qui nous entraîne sur les traces du grand penseur de l’évolution et nous invite à découvrir l’homme qui se cache derrière le portrait du vénérable vieillard à la longue barbe blanche.

Petit-fils d’un chercheur renommé, auteur de plusieurs ouvrages scientifiques, Charles Darwin a grandi dans une famille ouverte d’esprit et aux idées libérales. Collectionneur invétéré, il affectionne particulièrement les balades en pleine nature au cours desquelles il recueille et compile méticuleusement un nombre important de spécimens. En dépit de cette passion dévorante pour la nature et de son intérêt pour la botanique et la géologie, le jeune Darwin se révèle cependant un élève médiocre à la scolarité chaotique.

___ « A bord du Beagle » relate l’embarquement et les premiers mois de voyage de Darwin au cours d’une expédition qui va changer sa vie. Revenant sur la genèse de cette expédition qui a bouleversé notre perception du monde et a été le point de départ de l’une des plus grandes théories scientifiques, ce premier volet de 48 pages met par ailleurs bien en évidence la curiosité et l’intelligence de cet esprit libre-penseur. Aux côtés du reste de l’équipage, on assiste, fébrile, à la germination de la pensée scientifique d’un homme à l’intuition géniale et au sens de l’observation hors du commun.

Mais en filigrane du portrait de ce grand homme, c’est aussi celui de toute une époque que l’on découvre. L’esclavagisme, l’élan colonialiste au nom du devoir de civilisation des peuples, le poids et l’influence des croyances religieuses et du christianisme… autant de thématiques abordées qui permettent au lecteur de s’imprégner du contexte historique de l’époque et de mesurer pleinement la portée révolutionnaire des idées de Darwin.

___Spécialisé dans la BD à connotation historique, les illustrations à couper le souffle de Fabio Bono nous permettent de plonger de plain-pied au coeur des évènements. L’illustrateur a saisi avec brio la beauté insolente de cette nature sauvage et luxuriante ! On se laisse avec plaisir étourdir par l’abondance de détails de ses décors richement travaillés, ses mises en scène soignées et ces grands espaces servis par une mise en page aussi bien pensée que vertigineuse.

L’album se clôture en outre par un passionnant dossier documentaire, incluant notamment une partie de la biographie de Darwin. Le tome 2 (qui viendra achever ce dyptique) devrait quant à lui s’attarder plus en détails sur les théories évolutionnistes de Darwin et aborder la seconde partie de la vie du célèbre naturaliste.

___Une BD passionnante et érudite, à recommander tout particulièrement aux collégiens et lycéens afin de mieux appréhender ce grand scientifique à la trajectoire atypique !

Je remercie Babelio et les éditions Glénat pour cette formidable découverte !

« L’empreinte de toute chose » de Elizabeth Gilbert

 

 

 

 

 

 

Résumé

Alma Whittaker naît avec le XIXe siècle, à Philadelphie, d’un père anglais dont le talent de botaniste et la roublardise lui ont permis de faire fortune dans le commerce du quinquina, et d’une mère qui tient de sa famille de l’Hortus Botanicus d’Amsterdam une formidable érudition ainsi qu’une rigueur toute hollandaise. À leurs côtés et au contact des éminents chercheurs qui gravitent autour d’eux, Alma acquiert une intelligence éclectique et la passion de la botanique.

En grandissant, elle se passionne pour les mousses puis pour Ambrose Pike, illustrateur de génie. Comme elle, il cherche à percer les secrets du monde qui l’entoure mais, à la logique scientifique d’Alma, il préfère une pensée ésotérique ; un fossé qui les éloignera inexorablement mais poussera enfin Alma à partir à son tour à la découverte du vaste monde. L’Empreinte de toute chose entraîne le lecteur à la découverte d’un XIXe siècle kaléidoscopique, des bas-fonds anglais à la bonne société d’Amsterdam en passant par Philadelphie, Tahiti, Macao ou les cimes des Andes, dans un monde où les terra incognita s’amenuisent de jour en jour.

Alma, dotée d’une soif d’apprendre sans pareille, explore ce monde, la nature, la société dans laquelle elle vit et son propre corps – de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Ce roman est aussi un gigantesque herbier des types humains : la candide ingéniosité d’Alma, l’impétuosité de son père Henry, la froide sainteté de sa soeur Prudence, la douce folie d’Ambrose, la rigueur de sa confidente Hanneke de Groot, la frivolité fantaisiste de son amie Retta, la calme profondeur du révérend Welles…

L’écriture à la fois luxuriante, raffinée et piquante d’Elizabeth Gilbert semble donner vie à tous ces personnages qui racontent un siècle où l’esprit des Lumières permet l’éclosion d’idées nouvelles.

Mon opinion

★★

___Avec « L’empreinte de toute chose », Elizabeth Gilbert livre un roman de grande envergure, balayant tout un siècle de conquête scientifique au décours d’un récit à travers le temps et l’espace qui conduit le lecteur au coeur du 19ième siècle et le fait voyager aux quatre coins du globe.

___Alliant profondeur et érudition, tout en étant servi par un style alerte et pétulant, le roman d’Elizabeth Gilbert est bâti sous la forme d’une biographie fictive retraçant la vie d’une dénommée Alma Whittaker, botaniste américaine née à Philadelphie au début du 19ième siècle. A travers plus de 600 pages d’une histoire aussi passionnante que remarquablement construite, l’auteure nous livre le destin exceptionnel d’une femme hors du commun et de toute son époque.

___Consacrés à Henri Whittaker, le père d’Alma, les premiers chapitres de « L’empreinte de toute chose » nous retracent les grandes lignes de la jeunesse et de l’ascension sociale de cet entrepreneur autodidacte qui amassa une fortune considérable grâce au commerce des plantes médicinales. Né pauvre et presque illettré, Henri témoigne très tôt d’une grande ambition. L’appât du gain le pousse rapidement à franchir les limites de la légalité et ses larcins finissent par le conduire à l’exil. Envoyé par-delà les mers aux côtés du capitaine Cook, il a pour mission d’assister le botaniste David Nelson afin de surveiller pour le compte de Banks ses récoltes de spécimens. De retour en Angleterre quelques années plus tard, il se voit envoyer en mission pour le roi d’Angleterre au Pérou où il a pour tâche d’étudier le quinquina. Très vite, Henry comprend que, bien exploité, le négoce de cet arbuste peut se révéler une entreprise fort lucrative. Sa détermination et son sens aiguisé des affaires lui permettront ainsi de se bâtir une fortune considérable sur le commerce des plantes médicinales. Après un rapide détour par la Hollande où il épouse Beatrix van Devender, issue d’une des plus éminentes familles européennes (les van Devender étaient, depuis des générations, conservateurs du Hortus, le jardin botanique d’Amsterdam), le jeune couple s’installe à Philadelphie où il donne naissance, en 1800, à une unique fille prénommée Alma.

___Alma née donc avec le XIXième siècle. Très tôt, elle est encouragée par ses parents à se questionner sur le monde qui l’entoure et à chercher des réponses par elle-même. En grandissant, la fillette accumule les connaissances et développe une passion inconditionnelle pour les sciences naturelles qui façonnera sa vie entière. Son enfance, relativement paisible (quoiqu’assez peu conventionnelle), connait un changement brutal avec l’arrivée inopinée d’un nouveau membre dans la famille Whittaker, une petite fille adoptive du nom de Prudence. Prudence est la fille biologique du jardinier en chef de White acre et d’une femme de basse extraction. Devenue orpheline à la suite d’un drame familial au décours d’une nuit tragique, elle est recueillie par le couple Whittaker et devient ainsi la demi-soeur d’Alma. Bien qu’ayant le même âge, les deux fillettes partagent cependant peu de choses en commun. D’une grande beauté, Prudence rayonne en comparaison à sa soeur à la constitution massive et au physique dépourvu de grâce. Pourtant, si Alma comprend rapidement qu’elle ne peut espérer rivaliser avec la beauté de sa soeur, elle réalise qu’elle possède d’autres atouts à sa disposition.

___Alma Whittaker a hérité de l’amour de son père pour la botanique sans pour autant avoir son goût de l’aventure. Au chevet de sa mère mourante, elle lui promet de ne jamais abandonner son père et de rester toujours à ses côtés. Une décision qui la conduira à passer la majeure partie de sa vie recluse dans le domaine familial de White Acre, célibataire et seule. Lorsque le bonheur semble enfin frapper à la porte d’Alma sous les traits d’Ambrose Pike, un jeune artiste talentueux, le rêve vire bientôt au cauchemar pour la botaniste qui se retrouve prise au piège d’un mariage désastreux. Quinquagénaire et profondément marquée par les épreuves passés, elle s’extraira enfin du monde étriqué du domaine familial pour entreprendre un voyage qui la conduira jusqu’à Tahiti avant de s’établir finalement à Amsterdam. Au cours de ce long périple, elle rédige une thèse, intitulée « théorie de l’altération compétitive » dans laquelle elle expose ses théories de création continue et de modification compétitive des espèces. Des idées relativement audacieuses pour l’époque mais qui iront dans le sens des conclusions du livre de Darwin « L’Origine des espèces » publié au même moment.

___Vous l’aurez aisément compris, Alma Whittaker n’a rien de l’héroïne typique du 19ième siècle. Fille de la famille la plus riche et la moins conformiste de Philadelphie, elle jouit d’une éducation peu conventionnelle pour son époque. Sa passion exacerbée pour la nature et la botanique la conduit à mener une vie d’ermite à l’écart du reste du monde, loin des préoccupations des femmes de son temps. Tandis que les autres filles de son âge font la collection des rubans et des boutons et s’exercent à peindre des paysages, Alma pour sa part, collectionne les beaux spécimens pour son herbier personnel et réalise des croquis botaniques. Durant ses longues journées de recherche, elle explore les serres et les trésors botaniques de White Acre, rédige des publications pour des journaux scientifiques et défend ses positions face aux inventeurs, artistes, scientifiques et autres élites universitaires qui se succèdent autour de la table des dîners prisés organisés par son père.

___Elizabeth Gilbert nous introduit dans le cercle des personnages hétéroclites et hauts en couleurs qui gravitent autour d’Alma. Parmi eux, il y a Prudence, sa soeur de coeur à la beauté étourdissante qui, en dépit de son apparente froideur, accomplira de grands sacrifices pour Alma. On fait également la connaissance de Rhetta Snow, sa première véritable amie qui, malgré son excentricité et son manque d’esprit, parviendra à charmer la famille Whittaker mais connaîtra un destin des plus tragiques ; sans oublier George Hawkes, incarnation à la fois du premier amour d’Alma et de sa première peine de coeur et enfin Hanneke De Groot, sa fidèle nourrice qui l’accompagnera la plus grande partie de sa vie.

___Elizabeth Gilbert intègre avec dextérité et subtilité l’histoire de ses personnages dans le contexte historique de l’époque. Avec force détails, elle fait entrer dans son récit les figures les plus marquantes du 19ième siècle et revient sur des évènements et des pratiques qui façonnèrent cette période. L’histoire du père d’Alma nous emmène ainsi à la rencontre de figures d’exception, tels que le botaniste Sir Joseph Bank ou le capitaine Cook tandis que l’engagement de Prudence pour la cause abolitionniste nous rappelle un pan plus sombre de l’histoire. Mais l’auteure aborde bien d’autres thèmes encore, comme les hôpitaux psychiatriques ou le spiritisme, mouvement alors très en vogue.

___Bouillonnant d’érudition et de verve, le roman aux allures de conte épique d’Elizabeth Gilbert incarne l’esprit de transformation qui caractérise le 19ième siècle: une période d’exploration, d’expansion industrielle et de découvertes scientifiques qui conduit les populations à reconsidérer les liens entre nature et religion. Durant ce siècle en effervescence, la science part à la conquête de la nature dont elle tente de percer les secrets, et explore le passé sur les traces des origines de la vie, ébranlant ainsi les anciennes croyances. Les « vérités bibliques » sont mises à mal par les théories révolutionnaires avancées par les scientifiques et les lumières de la science triomphent peu à peu de l’obscurantisme religieux.

___Car, bien au-delà du destin exceptionnel d’une femme qui dédia sa vie à la botanique et à l’étude des bryophytes, le roman de Gilbert, fruit de trois années de recherche, nous brosse le portrait de tout un siècle de découvertes scientifiques. Du titre même du roman qui fait directement allusion à la théorie des signatures, (un système de pensée médicale basé sur un principe d’analogie entre la forme d’un végétal et la maladie ou la partie du corps humain qu’il peut soigner), aux nombreuses références à des instants clés de l’histoire des sciences et de la botanique, Elizabeth Gilbert retrace le fil de la progression des connaissances scientifiques et des découvertes bouleversantes qui l’accompagnèrent. Si je connaissais déjà la majorité de ces anecdotes, glanées au fil de mes études de pharmacie, c’est avec un plaisir non dissimulé que je les ai retrouvées ici, apparaissant en filigrane du récit de la vie d’Alma, comme autant de témoignages de l’évolution des connaissances dans le domaine de la botanique. De l’extraction de la quinine par Pelletier et Caventou, à la théorie révolutionnaire de Darwin sur l’évolution des espèces, en passant par la pollinisation de la vanille, Elizabeth Gilbert nous propulse au coeur de tout un siècle de bouleversements scientifiques dont elle nous fait les témoins privilégiés.

___Dans un style érudit mais jamais ampoulé, l’auteure nous livre ainsi une intrigue à la croisée des genres, entre roman historique, récit d’aventure et conte initiatique aux accents philosophiques. Les lecteurs traditionnellement rebutés par le genre historique apprécieront à coup sûr l’écriture pétulante d’Elizabeth Gilbert qui apporte un réel dynamisme à ce récit dense mais néanmoins sans temps mort.

___De la force tranquille des mousses aux révélations surprenantes de certains membres de sa famille, en passant par son éveil à la sensualité, le moindre acte ou instant de la vie d’Alma devient, sous la plume de l’auteure, autant d’occasions pour la naturaliste et le lecteur de tirer des enseignements et de s’interroger. Sans jamais devenir moralisatrice, Elizabeth Gilbert montre au lecteur tout ce qu’il peut retirer de l’expérience d’Alma. Elle met le doigt sur des questions universelles nous poussant à reconsidérer notre existence ainsi que les rapports entre les Hommes.

___«L’empreinte de toute chose » est un superbe hommage aux femmes guidées par un esprit scientifique, tout en démontrant qu’il est possible de s’accomplir malgré les désillusions personnelles qui peuvent jalonner nos vies. Le résultat est un roman à la fois édifiant et magistral.

Je remercie très chaleureusement les éditions Calmann-Lévy pour cette formidable découverte ! 🙂

« Calpurnia » de Jacqueline Kelly

 

 

 

 

 

 

Résumé

Calpurnia Tate a onze ans. Dans la chaleur de l’été, elle s’interroge sur le comportement des animaux autour d’elle. Elle étudie les sauterelles, les lucioles, les fourmis, les opossums. Aidée de son grand-père, un naturaliste fantasque et imprévisible, elle note dans son carnet d’observation tout ce qu’elle voit et se pose mille questions. Pourquoi, par exemple, les chiens ont-ils des sourcils ? Comment se fait-il que les grandes sauterelles soient jaunes, et les petites, vertes ? Et à quoi sert une bibliothèque si on n’y prête pas de livres ? On est dans le comté de Caldwell, au Texas, en 1899.Tout en développant son esprit scientifique, Calpurnia partage avec son grand-père les enthousiasmes et les doutes quant à ses découvertes, elle affirme sa personnalité a de ses six frères et se confronte aux difficultés d’être une jeune fille à l’aube du XXe siècle.

Apprendre la couture et les bonnes manières, comme il se doit, ou se laisser porter par sa curiosité insatiable ? Et si la science pouvait ouvrir un chemin vers la liberté ?

Mon opinion

Calpurnia Tate a onze ans. Dans la chaleur de l’été, elle s’interroge sur le comportement des animaux autour d’elle. Elle étudie les sauterelles, les lucioles, les fourmis, les opossums. Aidée de son grand-père, un naturaliste fantasque et imprévisible, elle note dans son carnet d’observation tout ce qu’elle voit et se pose mille questions. Pourquoi, par exemple, les chiens ont-ils des sourcils ? Comment se fait-il que les grandes sauterelles soient jaunes, et les petites, vertes ? Et à quoi sert une bibliothèque si on n’y prête pas de livres ? On est dans le comté de Caldwell, au Texas, en 1899.Tout en développant son esprit scientifique, Calpurnia partage avec son grand-père les enthousiasmes et les doutes quant à ses découvertes, elle affirme sa personnalité a de ses six frères et se confronte aux difficultés d’être une jeune fille à l’aube du XXe siècle.

___Dans la touffeur de l’été 1899, Calpurnia, 11 ans ¾, parcourt la nature armée de son petit carnet dans lequel elle consigne toutes ses observations. Des escapades quotidiennes qui se révèlent sources de nombreuses interrogations pour la jeune fille qui se questionne rapidement sur le comportement étrange de certains animaux ou encore sur l’origine de la morphologie si particulière de certaines espèces d’insectes. Ne trouvant aucune oreille attentive à ses questionnements scientifiques ni quelqu’un en mesure de lui donner l’ombre d’une explication, Calpurnia décide (à contre-coeur) d’aller interroger la dernière personne susceptible de pouvoir l’aider, son grand-père paternel, un homme aussi bougon qu’érudit.

___Effrayée par le tempérament original et taciturne du vieil homme qu’elle tient d’ailleurs à bonne distance depuis de nombreuses années, Calpurnia va donc prendre son courage à deux mains pour frapper à la porte de son laboratoire. L’entrevue qui s’ensuit, quoiqu’intimidante et de courte durée, va être le point de départ d’une rencontre scientifique et intergénérationnelle qui va changer la vie de nos deux protagonistes à jamais.

___Oubliant leurs préjugés initiaux, Calpurnia et son grand-père vont au fil de leurs rencontres se découvrir de nombreux points communs parmi lesquels une curiosité et une fascination innées pour la nature qui les entoure. Jour après jour, les deux passionnés vont ainsi tisser les liens indéfectibles d’une relation privilégiée et pleine de tendresse.

___Face à la curiosité sans limite de Calpurnia, le vieil homme troque son masque austère contre celui de sage. Se refusant à répondre directement et explicitement à ses interrogations, « bon-papa » préfère pousser la jeune fille à trouver par elle-même les réponses qu’elle cherche. De questionnement en découvertes, Calpurnia acquiert un vocabulaire de plus en plus précis et s’initie à la démarche scientifique. Son regard sur le monde qui l’entoure s’affute, son esprit critique s’étoffe et bientôt ses observations et ses analyses ne se limitent plus au seul champ des sciences naturelles mais englobent également les comportements humains des gens qui l’entourent et les moeurs de son époque. Portant ainsi un regard neuf sur le monde et la société dans laquelle elle évolue, Calpurnia se voit amener à faire des découvertes parfois douloureuses et amères.

___Seule fille au sein d’une fratrie de 7 enfants, la jeune scientifique en herbe réalise peu à peu qu’il ne fait pas bon être une femme dans cette société profondément patriarcale. Une cruelle désillusion pour Calpurnia qui prend conscience, qu’en tant que fille, ses chances d’aller à l’université et de devenir un jour une scientifique de renom sont malheureusement bien compromises. Sentant son rêve lui échapper aussi injustement, le monde de Calpurnia bascule, son insouciance est ébranlée. Un profond sentiment d’injustice et de frustration étreint bientôt la jeune fille et ses craintes de ne jamais voir ses rêves professionnels se réaliser frappent le lecteur en plein coeur.

___Dans un monde au tournant du siècle, la spontanéité de la jeune fille ainsi que son naturel curieux et intrépide, se heurtent aux moeurs et aux conventions de l’époque. La mère de Calpurnia, pétrie de principes et d’idées bien arrêtées sur le rôle incombant à une femme au foyer, est bien décidée à faire de sa fille unique un modèle d’accomplissement et s’échine à lui enseigner les arts de la cuisine ou de la couture.

___On assiste avec passion aux tentatives de rébellion de la jeune fille contre cet apprentissage forcé, au décours de scènes tour à tour drôles et émouvantes. La volonté farouche de Calpurnia d’échapper ainsi au destin tout tracé des femmes de son époque est touchante.

___Au-delà de l’évolution « biologique », le roman de Jaqueline Kelly aborde donc également la question de l’évolution des moeurs et de la société tout entière à l’aube du XXième siècle. Alors que la mère de Calpurnia incarne l’attachement aux valeurs conservatrices, son grand-père quant à lui, s’émerveille devant toutes les manifestations du progrès en marche. C’est lui qui, en fin de compte, trouvera les mots pour réconforter sa petite fille et lui redonner espoir.

___Conté du point de vue de Calpurnia, le récit est une succession bien organisé d’instantanées et d’anecdotes de sa vie en l’année 1899. La narration est à l’image de l’héroïne, pleine de fraîcheur, de spontanéité et d’insouciance, donnant tour à tour lieu à des scènes drôles et rocambolesques mais aussi à des prises de conscience plus graves pour l’héroïne.

___Quelles que soient les circonstances, le ton est toujours juste et Jacqueline Kelly croque tous ces personnages avec beaucoup de sensibilité et de facétie. Avec sa plume pleine de verve et d’humour, elle fait de nous les témoins privilégiés de la relation tendre et complice que construisent jour après jour Calpurnia et son grand-père et de la transmission de connaissance qui en résulte.

___Véritable conte initiatique mettant à l’honneur la curiosité intellectuelle, incitant à développer son esprit critique et à s’interroger sur le monde qui nous entoure, « Calpurnia » est un véritable bijou de la littérature jeunesse.

Une lecture à la fois fraîche, drôle, sensible et riche en enseignements,… à mettre entre toutes les mains !