« Anne et la maison aux pignons verts » de Lucy Maud Montgomery

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Quatrième de couverture

Sur le quai de la gare, Matthew attend l’orphelin qui les aidera, sa sœur Marilla et lui, à la ferme. Mais c’est une petite rouquine aux yeux pétillants qui se présente… N’ayant pas le cœur de la renvoyer, Matthew la ramène à Avonlea. Extrêmement attachante, Anne va rapidement séduire son entourage par son courage, sa détermination et sa débrouillardise.

À travers le récit de la vie d’Anne Shirley, une jeune orpheline, l’auteur nous invite à partager la vie des habitants de l’ïle-du-Prince-Edouard, au début du siècle dernier.

S’amuser de la magie des mots, rire de ses propres défauts, s’émerveiller face à la nature…

Voici un roman feel-good inoubliable, plein de malice.

  • Mon opinion

★★★★★

___Premier tome d’une série jeunesse incontournable outre-Atlantique, « Anne et la maison aux pignons verts » est depuis longtemps considéré comme un classique de la littérature canadienne. Un succès sans précédent qui n’a cependant jamais réussi à franchir nos frontières pour véritablement s’imposer en France. Bien moins connues chez nous, les aventures d’Anne n’avaient pas été rééditées depuis plusieurs années et restent de fait assez difficiles à se procurer. Une injustice que les éditions Zethel semblent déterminées à réparer en publiant cette année une réédition du premier tome. Une formidable initiative et une occasion en or de découvrir une héroïne aussi malicieuse que terriblement attachante !

___Après la mort de ses parents, Anne Shirley, âgée de 11 ans, se retrouve un temps ballotée de foyer en foyer avant d’atterrir à l’orphelinat de Hopetown, en Nouvelle-Ecosse. De là, elle est finalement recueillie par Marilla et Matthew Cuthbert, dans une ferme à Avonlea. Le frère et la soeur, qui s’attendaient à accueillir un petit garçon pour venir les aider aux travaux de la ferme, se trouvent totalement désemparés en voyant ainsi débarquer cette frêle fillette à la crinière flamboyante !

D’abord propulsée là par erreur, l’irruption d’Anne au milieu de ces deux individus discrets et peu loquaces va pourtant faire des étincelles. De fait, la petite orpheline à l’imagination débordante et à la langue bien pendue introduit autant de vie que de bonne humeur au sein du foyer Cuthbert. Jour après jour, Anne va ainsi rétablir le dialogue et resserrer les liens entre Mathew et Marilla. Tel un ange tombé du ciel, sa personnalité solaire illumine la maison et apporte de la chaleur dans le foyer. S’il est souvent bien difficile pour Marilla et Matthew de suivre le fil décousu des pensées de la fillette qui se laisse parfois porter par les élans de son imagination, tous deux tombent rapidement sous le charme de la fraîcheur et de la spontanéité de l’enfant. Touchés par l’histoire d’Anne et séduits par son tempérament, les Cuthbert n’ont bientôt plus le coeur à renvoyer leur protégée à l’orphelinat, et décident finalement de prendre en main son éducation.

« Quelle existence sans amour et sans consolations cette enfant avait connue ! Une petite vie de misérable esclave, solitaire et négligée ; Marilla était assez fine pour lire entre les lignes de l’histoire d’Anne, et pour deviner la vérité. Il n’était guère surprenant qu’elle eût été si enchantée à l’idée d’avoir enfin un chez-soi. » p70

___Depuis sa chambre du pignon est, Anne laisse jour après jour vagabonder son imagination dans ce décor bucolique. Curieuse et vive, elle se satisfait des bonheurs simples et des petites joies du quotidien. Avec ses yeux d’enfant, elle n’a pas son pareil pour s’émerveiller des détails les plus anodins, faisant voir à son entourage le monde sous un jour nouveau et en révélant des beautés insoupçonnées.

« Les yeux d’Anne, épris de beauté, s’attardaient sur le moindre détail, dévorant tout avec une immense gourmandise ; elle avait vu, dans sa vie, tant de lieux parfaitement laids, la pauvre enfant, que cet endroit était aussi beau que ses rêves les plus fous. » p.55

___A Avonlea, les ailes de son imagination fertile ne semblent connaître aucun obstacle. A peine arrivée à Green Gables, Anne s’approprie les lieux, rebaptisant les routes et les cours d’eau afin de leur donner des connotations féériques. Eprise de liberté et amoureuse de la nature, la fillette parle aux arbres et aux fleurs et multiplie les expéditions enchanteresses avant d’assourdir ses parents adoptifs du récit éclatant de ses découvertes. A ses côtés, le quotidien terne et monotone des deux fermiers laisse place à une vie plus mouvementée et riche d’aventures.

Petit bout d’humanité abandonné qui ne manque pas d’audace, Anne conquiert avec succès les coeurs de tous ceux qui l’entourent. Avec son optimisme sans faille et son enthousiasme inébranlable, elle sera d’ailleurs la seule à parvenir à fendre peu à peu la carapace du taciturne Matthew : « […] Matthew et moi, nous sommes si proches que je peux lire dans ses pensées comme dans un livre. » « Ils étaient les deux meilleurs amis du monde, et Matthew remerciait chaque jour la Providence de ne pas avoir à réglementer l’éducation de la petite. C’était là une responsabilité qui incombait à Marilla, et à elle seule ; si elle lui avait échue, il se serait trouvé sans cesse déchiré entre son affection pour Anne et son sens du devoir. » p.297 Jour après jour, on assiste à l’éclosion de sentiments de plus en plus forts dans le coeur de Matthew et Marilla. Leur attitude, résolument protectrice et attentionnée à l’égard de la fillette, témoignent d’un instinct parental sincère et affirmé.

___Avec ce livre respirant de bons sentiments et d’humanité, Lucy Maud Montgomery parvient à nous faire passer du rire aux larmes en quelques pages. Au-delà du simple roman jeunesse, « Anne et la maison aux pignons verts » est aussi un formidable roman d’apprentissage, qui aborde avec justesse les thèmes de la résilience, de la famille, de l’amitié ou encore du passage à l’âge adulte. Naïve, maladroite, fière et susceptible, Anne porte en elle tous les défauts de l’enfance. Gilbert Blythe, un de ses camarades de classe, l’apprendra d’ailleurs à ses dépens. Suite à une boutade, le garçon s’attirera en effet les foudres d’Anne et fera les frais de sa rancune tenace de nombreuses années. Blessée dans son orgueil, la fillette entretiendra longtemps avec son ennemi fraternel une compétition féroce, dont elle saura cependant tirer une force qui la poussera à se dépasser.

« « Tout feu tout flamme » comme elle l’était, les plaisirs et les chagrins de l’existence l’atteignaient avec une intensité exacerbée. » p.275

Aussi facétieuse que désarmante de sincérité, Anne est une héroïne irrésistible dont on suit les tribulations avec bonheur ! Certaines des péripéties de cette gamine débordante d’imagination (à l’instar de l’épisode du sirop de framboise ou gâteau à la vanille) ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles du personnage de Sophie de la Comtesse de Ségur. De fait, l’insatiable curiosité et le sens de la répartie de cette fillette au caractère bien trempé lui vaudront bien quelques ennuis; mais sa détermination, sa noblesse d’âme et son coeur d’or auront finalement raison de toutes ses erreurs.

« Marilla en était presque venue à désespérer de pouvoir jamais transformer cette enfant abandonnée en petite fille modèle aux manières posées et au comportement distingué. Elle n’aurait pas accepté d’admettre, en fait, qu’elle préférait infiniment qu’Anne demeurât comme elle l’était. » p.275

___Vive, sensible et impétueuse, les excès de son caractère se nuancent pourtant peu à peu, au gré des expériences et des épreuves auxquelles elle se trouve confrontée. A mesure que les années passent, la jeune effrontée un brin sauvage se métamorphose en jeune fille plus douce et posée. Plus réfléchie, ses jugements se font moins définitifs et péremptoires.

Parvenir à composer avec son histoire (aussi douloureuse soit-elle), se nourrir de ses expériences et apprendre de ses erreurs, tels semblent être quelques uns des messages clés du roman de Lucy Maud Montgomery. Paru en 1908, son récit a par certains aspects des accents avant-gardistes, notamment quant à la place de la femme dans la société. Surtout, à travers le personnage d’Anne et son parcours, l’auteure insiste sur l’importance de ne pas brider l’imagination, de toujours croire en ses rêves et du rôle fondamental de l’instruction dans la réalisation de l’individu. Véritable électron libre, à la fois ambitieuse et déterminée, Anne témoigne d’une force de caractère remarquable pour son époque. Portée par l’amour inconditionnel de ses parents de coeur et leur soutien indéfectible, elle trouve la force de faire fi des convenances pour prendre son destin en main.

Fidèle et loyale envers tous ceux qu’elle aime, Anne est un personnage terriblement attachant dont on suit le cheminement vers l’âge adulte avec tendresse et bienveillance. Agée de seize ans à la fin de ce premier tome, c’est le coeur serré que l’on quitte notre jeune héroïne aux portes de l’âge adulte.

Je remercie infiniment les éditions Zethel pour cette merveilleuse lecture !

  • Extraits

« Qu’il est bon d’avoir des buts dans l’existence ! Je suis contente d’en avoir autant. Et l’ambition a cet avantage de vous pousser toujours plus loin, de vous forcer à faire toujours mieux ; dès qu’on atteint un de ses objectifs, en voilà un autre qui surgit, encore plus lumineux, encore plus attirant, et c’est le désir de l’atteindre qui donne tant de piquant à la vie ! » p.432
« Nous payons le prix, en effet, de tout ce que nous recevons et acquérons en ce bas monde ; il est fort utile de se fixer des buts, mais il nous faut payer le prix fort pour les réaliser, en travail, en renoncements, en angoisses, en découragements. » p.440

« Le mystère Blackthorn » de Kevin Sands

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Quatrième de couverture

Londres, 1665. Christopher Rowe, orphelin de 14 ans, a été recueilli par l’apothicaire Benedict Blackthorn, qui lui enseigne les secrets de ses potions et remèdes. Mais une série de meurtres endeuille la ville : les victimes sont toutes des apothicaires amis de Blackthorn. Le responsable en serait la secte de l’Archange, organisation occulte prête à tout pour s’emparer du pouvoir.
  • Mon opinion

★★★★☆

___Londres, 1665. Apothicaire réputé et respecté, Benedict Blackthorn a pris sous son aile le jeune Christopher Rowe, un orphelin de 14 ans. Depuis trois ans, le jeune garçon suit un apprentissage intensif afin d’élargir ses connaissances et de parfaire son savoir. Outre les cours quotidiens, Benedict lui transmet sa passion de la lecture, mettant à la disposition de l’adolescent de nombreux ouvrages sur tous les sujets susceptibles de stimuler l’esprit et l’imagination. Entre le maître et le jeune élève, s’est progressivement établie une véritable relation filiale.

A une époque où les frontières entre médecine, pharmacie, alchimie et sorcellerie sont encore très floues, la limite entre apothicairerie, charlatanisme et sciences occultes n’a jamais été aussi mince. Aussi bienveillant qu’exigeant, Blackthorn n’a de cesse de tester son jeune élève, mettant à l’épreuve aussi bien ses connaissances que son sens moral et son intégrité. Dans son officine, il l’initie chaque jour à l’art des potions, lui livre les fantastiques pouvoirs des plantes et les secrets de fabrication de précieux remèdes.

Mais alors qu’une série de crimes atroces vient secouer la ville et que l’étau se resserre autour de l’officine Blackthorn, notre jeune apprenti se retrouve malgré lui entraîné dans une enquête aussi ténébreuse que dangereuse. Lancé sur les traces du – ou des – instigateurs à l’origine d’une série de crimes visant les apothicaires de la ville, Christopher devra redoubler de sang-froid et mettre en application les précieux enseignements de son maître s’il veut résoudre cette énigme.

___Avec ce premier roman, Kevin Sands pose les bases d’un univers foisonnant et signe une intrigue remarquablement maîtrisée et méticuleusement orchestrée. Mais parce qu’il serait dommage de déflorer cette intrigue aussi captivante que riche en rebondissements, je ne dévoilerai rien de plus que ce que laisse sourdre la quatrième de couverture quant aux évènements auxquels notre jeune héros va se trouver confronté.

Kevin Sands, scientifique de formation (il a fait des études de physique/chimie), a clairement mis ses connaissances au service de cette intrigue haletante qui mêle avec brio aventure et Histoire. Fort de sa passion pour les sciences et les mystères, il déroule une intrigue parfaitement huilée et propulse avec une remarquable efficacité le lecteur au coeur du XVIIe siècle. Dans cet univers hostile, le jeune lecteur n’a d’autres choix que de rester en permanence sur ses gardes. Entre conspirations, langages codés, décryptage de codes secrets,… le romancier fait en permanence travailler l’esprit du lecteur, prenant un malin plaisir à multiplier les énigmes et à brouiller les pistes.

La large typographie et la mise en page aéré séduiront à coup sûr les jeunes lecteurs, alors que les plus âgés seront agréablement surpris par la noirceur de certains rebondissements et des développements inattendus imaginés par l’auteur. Quoique s’adressant à un lectorat jeunesse, Kevin Sands ne ménage en effet ni ses lecteurs ni ses personnages dans cette intrigue décidément sans concession. Soucieux d’un certain réalisme, l’auteur a en effet fait le choix d’une tonalité au diapason de l’époque où se situe l’action de son récit. De fait, le romancier n’épargne pas ses personnages donnant parfois lieu à des scènes d’une noirceur inattendue pour un récit jeunesse.

___Sous-couvert du simple récit de divertissement, « Le mystère de Blackthorn » soulève également des enjeux plus profonds, engageant notamment une quasi réflexion éthique sur l’utilisation des découvertes scientifiques. Objet de rivalité et de convoitise, la quête de la Prima Materia se trouve ici à l’origine des machinations les plus sombres. A travers cette recherche effrénée, l’auteur met ainsi en garde sur la soif du pouvoir et sur les conséquences qui peuvent résulter de l’exploitation de nouvelles connaissances laissées entre les mains d’esprits mal intentionnés ou nourrissant de funestes desseins. C’est aussi l’occasion pour le jeune lecteur de découvrir les modalités de formation au métier d’apothicaire et le quotidien harassant des apprentis à cette époque. Les journées sont longues et les tâches à accomplir souvent ingrates voire dangereuses.

___Pour cette première incursion dans la littérature jeunesse, Kevin Sands a assurément su trouver le juste dosage entre suspense, action et humour. En filigrane de cette intrigue fleurant bon le mystère et l’aventure, on retrouve aussi réunis tous les thèmes de prédilection de la littérature jeunesse : amitié, loyauté, solidarité,… autant de sujets tour à tour évoqués et valorisés au décours de cette histoire menée tambour battant et qui emporte le lecteur dans le cercle secret des apothicaires. Un monde mystérieux, à la fois à part et captivant.

Réunissant tous les ingrédients d’un bon roman jeunesse, « Le mystère de Blackthorn » est un savant cocktail aussi explosif qu’efficace. Riche d’un univers fouillé et porté par des personnages bien campés, ce premier tome pose les bases d’une série aussi inventive que prometteuse. De fait, rien d’étonnant à ce qu’Eoin Colfer apparaisse en quatrième de couverture tant le parallèle entre les univers de ces deux auteurs et leur approche de la littérature jeunesse sonnent comme une évidence.

Tout au long du récit, Kevin Sands prend soin de consolider les fondations de l’univers qu’il a soigneusement bâti et distille habilement de nombreux indices laissant augurer un futur volet. De surcroit, en choisissant de situer son récit au coeur de la ville Londres en l’an 1665, le romancier fournit à son intrigue un contexte historique de premier choix. Epidémie de peste, grand incendie de Londres,… l’Histoire en marche réserve autant d’évènements propices et de pistes à exploiter en vue de futures aventures… qui s’annoncent déjà comme palpitantes !

Je remercie Babelio et les éditions Bayard jeunesse pour cette lecture ! 🙂

« Les ombres de Kerohan » de N. M. Zimmermann

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Quatrième de couverture

À douze ans, Viola a déjà traversé bien des épreuves. Lorsqu’elle est envoyée chez son oncle en Bretagne, avec son frère Sebastian, on lui dit que l’air marin lui fera du bien. Il paraît que son oncle est très riche, qu’il habite un manoir, à Kerohan, et que l’on peut s’y reposer. Se reposer, vraiment ? Certes, le parc est immense, et Viola et Sebastian ont chacun une chambre, mais il n’y a pas grand monde pour prendre soin d’eux.

Et qu’est devenue la prétendue fortune de leur oncle ? Le manoir est bien vide et, à Kerohan, Viola et son frère sont des proies faciles pour l’ennui et la solitude. Encore que… Peut-on parler de solitude quand d’étranges silhouettes parcourent les couloirs à la nuit tombée ? Quand Sebastian prétend avoir vu un korrigan ? Quand la salle de musique déserte résonne de la musique d’un piano ? Et que veille sur eux tous l’inquiétant docteur Vesper…

  • Mon opinion

★★★★☆

___Suite au décès de leur mère et au départ de leur père pour Londres, Viola et son jeune frère Sebastian se retrouvent contraints d’aller temporairement vivre en Bretagne auprès de leur oncle, Monsieur Kreven. Au terme d’un long voyage, les deux enfants sont accueillis à la gare par le mystérieux Dr Vesper, dépêché par leur oncle pour les conduire au manoir.

Dans cette vaste demeure, Viola et son frère sont rapidement saisis par le silence pesant et l’atmosphère sépulcrale qui baignent le lieu. En dehors de Madame Lebrun, les domestiques semblent tous avoir déserté les lieux. Et nulle trace non plus de leur tante ni de leur cousine, Ismérie: leur « santé fragile » contraignant ces dernières à rester alitées la majeure partie du temps.

Dès la première nuit, les angoisses des deux enfants augmentent d’un cran. Leur sommeil est en effet rapidement perturbé par la survenue de plusieurs évènements étranges qui ne tardent pas à se multiplier à mesure que les jours passent. Quels secrets peuvent donc bien dissimuler les murs de la vieille bâtisse et ses habitants, tous plus inquiétants et étranges les uns que les autres ?

*_____*_____*

Le roman gothique anglais est aujourd’hui encore une source d’inspiration féconde pour de nombreux auteurs, y compris pour ceux qui s’inscrivent dans le registre de la littérature jeunesse. Avec son dernier roman, N. M. Zimmermann livre à ses lecteurs une décoction qui évoque des relents des plus grands classiques de la littérature anglaise du genre. Une jolie réussite !

___Après la série Alice Crane, Sous l’eau qui dort, Dream Box (entre autres), c’est dans la Bretagne du XIXème siècle, que N. M. Zimmerman plante le décor de son nouveau roman. Dans « Les ombres de Kerohan », l’auteure joue habilement avec les codes du roman gothique ici repris au service d’un récit qui, bien que destiné à un jeune public, saura également séduire les lecteurs plus âgés. Difficile en effet de ne pas se laisser happer par l’atmosphère délicieusement ensorcelante et les ambiances crépusculaires de ce récit qui mêle avec brio atmosphère gothique et éléments du folklore breton.

___Le décès de la mère des deux enfants à la suite d’une longue maladie sert ici de point de départ à une aventure entraînante où le mystère flirte en permanence avec le fantastique. Il faut dire que N. M. Zimmerman joue habilement avec les nerfs du lecteur qui, longtemps, évolue à tâtons au coeur d’une intrigue mystérieuse qui semble à tout moment sur le point de basculer vers le fantastique. Page après page, la frontière entre monde réel et surnaturel se brouille et notre bon sens se trouve bientôt mis à rude épreuve.

___Dans cet univers brumeux et inquiétant, Viola, adolescente perspicace et pleine de ressources, s’attire très vite la sympathie du lecteur qui décèle en elle une alliée à la fois précieuse et rassurante. La jeune fille dont les doutes et les questionnements font directement échos à ceux du lecteur incarne en effet pour lui un point de repère essentiel dans cette histoire qui le charrie en permanence entre réel et fantastique,

___A un âge charnière entre enfance et monde des adultes, Viola, du haut de ses douze ans, est aussi une jeune fille tiraillée entre son rôle d’aînée et ses angoisses d’enfant. Veiller sur son frère, prendre les bonnes décisions et se montrer responsable se révèle cependant un fardeau bien lourd pour de si frêles épaules ! Cet antagonisme se retrouve d’ailleurs parfaitement illustré à travers la façon dont chacun des deux enfants appréhende les évènements auxquels ils se trouvent confrontés. Ainsi, alors que son petit frère ne semble pas douter (ni s’étonner) un instant du caractère surnaturel des évènements se déroulant à Kerohan, Viola – telle une adulte – s’efforce quant à elle de trouver une explication rationnelle aux phénomènes étranges qui se succèdent.

___Mais à mesure que les évènements inexplicables se succèdent, le doute s’immisce dans l’esprit de Viola et du lecteur. Ces phénomènes troublants ont-ils une explication rationnelle ? Viola et son frère, dévorés par le chagrin et bouleversés par ce « déménagement » forcé, ne sont-ils pas simplement victimes de leur imagination fertile, nourrie par le souvenir des histoires que leur racontait leur mère et le folklore local qui pare le lieu d’une aura chargée de magie ? A l’instar du « Tour d’écrou » d’Henry James, le récit de N. M. Zimmermann semble ainsi pouvoir s’appréhender au travers de deux voies : un angle fantastique d’abord (une histoire de fantômes) ou un angle « psychologique » et interprétatif. Selon cette dernière grille de lecture, les évènements décrits pourraient ainsi s’interpréter comme la simple résultante de la folie du narrateur (pouvant s’expliquer ici comme la conséquence du profond chagrin des enfants… combiné aux effets du vin chaud que leur administre assidument Madame Lebrun chaque soir !). Une théorie d’autant plus plausible que longtemps, l’auteure distille les indices pouvant l’accréditer. De fait, on est bientôt tenté de mettre en doute l’authenticité des phénomènes observés par les deux enfants, et l’on s’interroge sur leurs interprétations.

___Au-delà de la réussite esthétique (efficacité des atmosphères mises en place, maîtrise impeccable du rythme), le récit vaut surtout pour le formidable message qu’il sous-tend. Car sous couvert d’une intrigue accrocheuse et délicieusement angoissante, N. M. Zimmerman propose en effet une véritable réflexion sur le délicat travail de deuil qui suit la perte d’un être cher. Mettant en perspective les trajectoires de ses personnages, l’auteure place aussi au coeur de son roman la question de la résilience et de la reconstruction de l’individu après un drame. Surmonter sa douleur, réussir à aller de l’avant en dépit des épreuves qui jalonnent nos vies, ne pas se laisser dévorer par le passé et le chagrin… tels sont quelques-uns des messages clés sous-tendus par ce récit aux multiples grilles de lecture et qui cultive de bout en bout avec brio l’art de l’ambiguïté.

Manoir isolé, portes qui claquent, personnages inquiétants,… avec « Les ombres de Kerohan », N. M. Zimmerman reprend tous les ingrédients du roman gothique pour en livrer une variation aussi plaisante que réussie. Véritable hommage au genre, ce pastiche respectueux multiplie les références et assume pleinement ses influences. Certes, l’intrigue, délibérément orientée jeunesse, n’atteint évidemment ni la complexité ni la noirceur des classiques du genre dont elle s’inspire. Pour autant, on ne saurait tenir rigueur à l’auteure de ce détail, tant le message sous-jacent le récit se révèle au final aussi percutant qu’habilement amené.

Si à première vue, le dénouement semble donner au lecteur, sinon toutes, au moins une grande partie des clés du mystère, le récit se clôture néanmoins de manière suffisamment ouverte pour laisser au lecteur une confortable marge d’interprétation. De fait, libre à ce dernier de croire sur parole ou non à l’authenticité de ce récit qui, à l’instar des classiques du genre, cultive de bout en bout l’art de l’ambiguïté.

Je remercie une fois encore les éditions L’Ecole des Loisirs pour cette belle lecture!

Au clair des mots #1 (Editions Balivernes)

_Si en temps normal, je m’attarde rarement sur les publications très jeunesse, mon récent statut de tatie m’a conduit à vouloir me pencher sur les livres pour les tout-petits et les plus jeunes.

___Aussi, lorsque les éditions Balivernes m’ont proposé d’initier un partenariat avec eux, j’ai bien évidemment sauté sur l’occasion ! Véritable caverne d’Ali Baba, leur catalogue est une mine d’or et propose des titres aussi variés qu’alléchants pour les enfants. Parmi tout ce choix, j’ai finalement sélectionné quatre livres dans des collections différentes, en optant pour des titres variés et susceptibles (je l’espère !) de plaire à mon neveu dans quelques années.

___Pour marquer l’évènement, j’ai décidé de créer sur le blog un espace consacré aux albums jeunesse et aux livres pour les plus petits. Dans cette nouvelle rubrique intitulée « Au Clair des mots », je vous présenterai donc des livres pour les plus jeunes. Comme l’indique le titre de cet article, ce premier numéro sera consacré aux éditions Balivernes, à travers quatre titres de leur catalogue qui, vous allez le voir, m’ont tous fait forte impression ! 🙂

___Avec sa casquette, sa loupe et sa cape en tweed, Saperlipopette a tout du célèbre Sherlock Holmes. A un détail près : le détective est ici un âne qui a troqué sa pipe pour une carotte ! Entre deux tasses de thé, Saperlipopette se lance sur la piste du voleur de cacahuètes, bien décidé à mettre la patte sur l’auteur du larcin.

Tel le célèbre Dr Watson, Bernard le tapir épaule notre détective aux longues oreilles dans cette enquête rondement menée. Avec son justaucorps rose-bonbon et son air décontenancé, il offre un contraste comique du plus bel effet (à défaut de faire avancer l’affaire !). Interrogatoire du voisinage, recherche d’indices, établissement d’un portrait-robot… les deux compères ne ménagent pas leurs efforts pour démasquer le coupable !

___Les illustrations de Julie Mercier, stylisées et riches en détails sont au service de l’histoire mêlant ambiance mystérieuse et univers loufoque. Les personnages, originaux et très expressifs, évoluent dans des décors soignés et des mises en scène astucieuses.

___Côté texte, Pierre Crooks fait lui aussi des étincelles ! L’auteur signe un texte accrocheur, amusant et tout en rimes particulièrement propice à la lecture à voix haute !

___Une fois le mystère résolu, les détectives en herbe pourront reprendre chaque illustration pour tenter de dénicher les objets dérobés, astucieusement dissimulés au fil des pages. Enfin, le livre se termine par une activité sous forme de dessin et de collage permettant aux enfants de confectionner un portrait-robot.

___Neuvième titre de la série Le Monde Animaginaire, « Saperlipopette mène l’enquête » est un livre original aussi bien sur la forme que sur le fond. Une jolie initiation au roman policier à travers une enquête ludique et pleine de rythme, le tout dans un album aux couleurs automnales et au format malin !

___Qui ne connaît pas l’histoire des trois petits cochons ? Coralie Saudo prend ici avec humour le contrepied du conte traditionnel, en mettant en scène des personnages décalés au service d’une histoire originale et bien pensée.

___Les trois petits cochons collectionnent médailles et trophées. Ensemble, ils ont tout gagné : de la Pigs Academy au Tour de Ferme en passant par le tournoi de Wimblechon !  Les murs de leur maison sont tapissés de récompenses en tous genres.

Dans cette adaptation, le loup apparaît sous les traits d’un vieil animal édenté et maladif, aux antipodes du prédateur terrifiant qui hante habituellement les contes traditionnels. Il n’en reste pas moins l’élément perturbateur du récit. Son arrivée va en effet mettre à l’épreuve la cohésion de notre trio de choc. Car le vieux loup, qui aimerait voyager, est à la recherche du champion le plus doué pour l’accompagner. Pour déterminer lequel des trois aura le privilège de partir avec lui, il leur lance un défi.

La perspective d’un voyage au bout du monde ne tarde pas à réveiller l’esprit de compétition des trois petits cochons qui vont donc pour la première fois de leur vie travailler chacun de leurs côtés. Mais alors qu’ensemble, les trois amis réussissent tout ce qu’ils entreprennent, force est de constater que les résultats se révèlent peu concluants dès lors qu’ils travaillent séparément et chacun pour soi. Les petits cochons découvriront ainsi que c’est bien parce qu’ils mettent en commun leur compétences qu’ils excellent dans tous les domaines !

___Pour illustrer cette version moderne et originale, Coralie Saudo s’appuie sur des décors colorés et texturés qui associent dessins, collages et photos. Une modernité assumée jusque dans la narration, à mi-chemin entre la bande-dessinée et l’album classique, qui mêle habilement phylactères et récitatif.

Parsemant son récit de jolis clins d’oeil au conte original (dont elle reprend d’ailleurs les éléments clés), Coralie Saudo nous livre une version revisitée du récit culte des trois petits cochons particulièrement réussie. La parodie est ici au service d’une jolie morale sur la solidarité et l’esprit d’équipe. Une belle histoire pour nous rappeler que l’union fait la force et que rien ne vaut l’amitié et l’entraide pour accomplir de grandes choses !

___A partir d’une idée rigolote et bien trouvée, Thierry Robberecht déploie une jolie histoire sur le thème de la différence, de la tolérance et sur l’importance du respect et du sens de l’entraide.

___Je suis littéralement tombée sous le charme du dessin de Loufane et en particulier de la bouille irrésistible et de l’air penaud de ce loup décidément trop craquant ! On est forcément attendri par les mésaventures de ce loup qui devient malgré lui la risée de toute la forêt après avoir écharpé son beau pelage à une branche. Afin de retrouver sa dignité, le féroce prédateur est contraint d’aller demander de l’aide à une poule couturière qui vit en lisière de la forêt. Un comble pour notre loup si fier et vaniteux !

Malgré les mises en garde de ses amies, la couturière accepte de venir en aide au prédateur en lui confectionnant un superbe costume sur mesure. Courageuse (quoiqu’un peu impressionnée par les dents carnassières de l’animal !), la gentille et habile couturière parviendra finalement à arranger l’allure de notre héros… et ses manières !

___Les illustrations aux teintes automnales et les personnages très expressifs portent à merveille cette histoire pleine de charme et de tendresse qui invite à la tolérance, au respect et à la solidarité.

___Une histoire originale et pleine de douceur mettant en scène un loup moins méchant qu’il n’y paraît et une poule plus courageuse que ce à quoi on pourrait s’attendre ! En renversant ainsi les situations et les idées reçues, l’auteur joue sur les préjugés et montre avec malice et humour que l’habit ne fait pas le moine et que les apparences sont parfois trompeuses !

___Un joli conte qui démontre habilement que le courage n’est pas l’apanage des plus forts ni les sentiments celui des plus faibles… et qu’il est toujours possible de changer !

___Un jeune garçon bricoleur et plein d’imagination est parvenu à confectionner une « Ouature extraordinaire » ! C’est à bord de ce bolide que notre jeune héros, avide d’aventure, se lance à la poursuite de la Grenouille Cosmique qui, à bord de son technomobile, vient tout juste de lui dérober son doudou !

La quête du doudou volé prend dès lors la forme d’une folle course-poursuite nous entraînant du fin fond de l’océan jusqu’aux confins de l’espace interplanétaire ! Nous propulsant de page en page, le texte de Pierre Crooks et les illustrations de Federico Combi se répondent à merveille, donnant naissance à une aventure originale et menée à toute allure !

___Les illustrations de Frederico Combi nous font plonger dans un univers inventif à souhait, et nous embarquent dans un voyage au coeur de l’imaginaire, au cours duquel on slalome entre les cumulonimbus, et où l’on navigue entre des monstres marins et des poulpes mécaniques. L’illustrateur laisse libre cours à son imagination, jouant à chaque page avec les perspectives, les plans et les couleurs chatoyantes. Le grand format de l’album permet d’apprécier pleinement le soin et le souci du détail apporté aux dessins qui se trouvent ainsi magnifiquement mis en valeur !

Porté par une mise en page originale et un graphisme à couper le souffle, on plonge avec enthousiasme dans ce périple mené tambour battant. Un album dont on ressort des étoiles plein les yeux, émerveillé par ces illustrations à l’esthétique steampunk et fourmillant de détails !

___Les petits amateurs de bricolage, de jeux de construction et de mécanique seront sans aucun doute éblouis par cet univers surprenant et se prendront au jeu de cette course-poursuite haletante ! Quant aux parents, ils seront quant à coup sûr séduits par le dénouement particulièrement réussi de cette histoire, où l’on découvre la véritable nature de cette « ouature » extraordinaire ! Une jolie conclusion sur le pouvoir de l’imaginaire qui peut transformer les objets les plus simples en épopées fantastiques !

Je remercie une fois encore chaleureusement les éditions Balivernes pour toutes ces belles découvertes ! 🙂

« Le jardin de minuit » de Edith

Quatrième de couverture

Été. Angleterre, XXe siècle. Tom Long est contraint de passer ses vacances chez son oncle et sa tante, car son frère a la rougeole. Ils habitent un appartement, situé dans un immeuble sur cour. L’ennui s’installe… Quand soudain, une nuit, un événement étrange se produit : l’horloge du hall sonne treize coups ! La cour a laissé place à un immense jardin… Tom s’y risque, il y devient invisible sauf aux yeux d’une petite fille de son âge, Hatty, vêtue d’une tenue du siècle dernier. Elle semble vivre dans un temps qui n’obéit pas aux lois chronologiques… Quel mystère se dissimule derrière ce bouleversement temporel ?
  • Mon résumé

_Après que son petit frère ait attrapé la rougeole, Tom se voit imposer une mise en quarantaine afin d’écarter tout risque de contagion. C’est donc à contre-coeur que le jeune garçon pose ses valises le temps d’un été dans la maison de son oncle et sa tante. Ici, les fenêtres bardées de barreaux donnent à sa chambre des allures de cellule de prison, renforçant un peu plus encore son sentiment de malaise. Dans ce décor étriqué et morose, son imagination se cogne aux murs de sa chambre et son horizon se limite au béton de la petite cour grise et sinistre du bâtiment.

___Le petit garçon ne se doute alors pas que cet exil forcé va portant bientôt se transformer en une aventure extraordinaire, qui va le tirer de son ennui et le marquer à jamais. Alors qu’il écoute les heures lentement s’égrener, Tom décèle une anomalie dans le fonctionnement de l’horloge de la maison. La pendule, qui semble comme ensorcelée, sonne chaque nuit treize coups, faisant dans un même temps apparaître derrière la porte du fond un magnifique jardin qui disparaît aussitôt le jour venu. Un étrange phénomène qui se répète tous les soirs, propulsant ainsi chaque nuit le jeune garçon dans cet univers étonnant surgissant de nulle part comme par enchantement. La beauté enchanteresse de ces grands espaces de verdure exerce un incroyable pouvoir d’attraction sur le garçon qui ne dispose cependant chaque nuit que d’un cours intervalle de temps pour explorer le jardin. Irrésistiblement attiré par ce jardin aux couleurs chatoyantes et le sentiment de liberté que lui procurent ces escapades sauvages au coeur de la nature, le garçon guette la tombée du jour, impatient de réitérer cette singulière expérience.

___Au cours de ses incursions dans cette bulle hors du temps, le garçonnet fait la connaissance d’une jeune fille nommée Hatty. Chose étrange, au milieu de cet écrin de verdure où Tom semble être invisible aux yeux de tous les gens qu’il croise, la fillette est la seule personne capable à le voir et à lui parler. Entre les deux enfants né bientôt une belle histoire d’amitié.

___Mais alors qu’il ne s’écoule qu’une poignée d’heures entre les visites successives de Tom, ce sont des mois voire des années dans la vie de Hatty qui défilent. De voyage en voyage, le garçon voit ainsi son amie grandir et se transformer peu à peu en une véritable jeune femme.

___Troublé par cet étrange phénomène et devant la fin imminente de son séjour chez son oncle et sa tante, Tom est bien décidé de percer le mystère de cet écrin de verdure…

  • Mon opinion

★★★★★

___Avec « Le jardin de minuit », Edith Grattery se plie pour la première fois à l’exercice de l’adaptation en solo et signe une fable originale et de toute beauté sur le thème de l’amitié et du temps qui passe.

___Philippa Pearce compte parmi les auteurs jeunesse les plus respectés en Grande-Bretagne. Parmi ses thèmes de prédilection, celui récurrent de l’enfance imprègne une grande part de son oeuvre. Relativement méconnu en France, « Tom et le jardin de minuit », écrit dans les années 50, est pourtant considéré outre-Manche comme un classique de la littérature enfantine. S’appuyant sur la trame narrative du roman, Edith se réapproprie ce classique de la littérature anglaise qu’elle met en images avec le plus grand talent.

___L’auteure a expliqué avoir épuré certaines références religieuses de la version d’origine et adapté les dialogues afin de dépoussiérer la trame du récit. Quel que soit le degré de fidélité de la BD à l’oeuvre d’origine, on ne peut que succomber au charme onirique de cet univers un brin suranné et à la magie de cette histoire illustrée avec sensibilité et poésie.

___Pour ces décors, l’illustratrice a puisé son inspiration dans ses ballades, au coeur de magnifiques jardins anglais ainsi qu’à partir des photos de la maison d’enfance de Philippa Pearce, l’auteure du roman d’origine.

___Dans ce récit qui oscille entre réalité et fantastique, le lecteur perd peu à peu lui aussi toute emprise sur le tissu du temps. Tel un funambule, il traverse cette histoire suspendu sur le fil fragile tendu entre deux époques, tenu en haleine par la crainte de voir à tout instant le lien se briser, scellant ainsi la fin irrévocable de cette expérience aussi improbable que féérique et d’une amitié qui défie les lois du temps.

___Avec ce récit aussi dépaysant qu’enchanteur, Edith nous livre une réflexion poétique sur l’inexorable fuite du temps ainsi que sur le pouvoir des souvenirs capables de lui résister et de lui survivre. C’est également une belle ôde à l’enfance, à l’amitié, à l’imaginaire et à la nature.

___Coutumière des ambiances victoriennes qu’elle sait retranscrire avec une remarquable maîtrise (elle a notamment collaboré à la série « Basil & Victoria », à « La Chambre de Lautréamont » ou encore « Les Hauts de Hurlevent »), Edith démontre une fois encore son habileté à distiller des atmosphères inquiétantes et mystérieuses. Elle traduit avec délicatesse l’improbable de cette expérience, et sa dimension féérique. Dans cette bulle qui s’affranchit des lois du temps, elle cristallise toutes les joies de l’enfance, et nous fait renouer avec cette période d’insouciance.

___Avec son dessin soigné et stylisé, Edith donne corps à cette histoire pleine de fantaisie, qui fait la part belle à l’imaginaire et nous immerge instantanément au coeur de ce jardin baigné de lumière comme en plein jour. Accordant un grand soin aux ambiances et aux décors, la dessinatrice stimule puissamment notre imaginaire et met tous nos sens en éveil. Herbe tendre, panorama féérique et explosion de couleurs se mêlent harmonieusement dans une ambiance surannée exquise. On rêverait de se fondre dans ce décor végétal à couper le souffle, où l’on sent presque les bouquets de parfums qui embaument l’air.

___D’une précision métronomique, le rythme du découpage bat harmonieusement le va-et-vient entre les époques. A l’instar du jeune héros, le lecteur est curieux de percer le mystère qui se cache derrière ces phénomènes étranges. Les questions fusent et se bousculent dans sa tête… avant de se laisser finalement emporter par cette histoire originale et envoûtante où le balancier du temps semble avoir perdu la boussole.

___Bien que ne disposant pas du recul nécessaire pour évaluer la qualité de l’adaptation d’Edith au regard de l’oeuvre dont elle s’inspire, j’ai été littéralement enchantée par le rendu visuel et l’atmosphère saisissante de cette bande dessinée. Véritable invitation au rêve, porté par une narration aussi limpide que parfaitement maîtrisée, Edith signe une oeuvre sensible et lumineuse doublée d’un hommage remarquable au roman de Philippa Pearce. Un album somptueux, aux accents de récit d’apprentissage, qui trouvera assurément un écho, aussi bien chez les adultes que parmi les plus jeunes lecteurs.

Je remercie chaleureusement les éditions Soleil pour cette très belle découverte!

  • Extrait

Extrait du « Jardin de Minuit » de Edith (Editions Soleil, 2015)