« Andersen, les ombres d’un conteur » de Nathalie Ferlut

fillenavigua

Quatrième de couverture

Dans les contes, quand un paysan trouve une pièce d’or, il change sa vie avec ! Imagine un peu ce que serait ton aventure à toi ! Ton conte, ta belle histoire ! Tu pourrais être si grand ! Eventyr ! Eventyr !
  • Mon opinion

★★★★★

___Gravé dans l’imaginaire collectif, le nom d’Andersen est associé à de nombreux contes de fées qui bercèrent notre enfance.et celle de plusieurs générations. Le vilain petit canard, le soldat de plomb, la petite fille aux allumettes, la reine des neiges, la petite sirène, … derrière toutes ces histoires passées à la postérité du patrimoine littéraire, se cache en réalité un artiste complet, à la fois chanteur, danseur, poète, romancier et novelliste.

C’est à la rencontre de cet auteur d’origine danoise que nous convie Nathalie Ferlut à travers un album mâtiné de poésie qui retrace le fil d’une existence peuplée de voyages, de rencontres, mais aussi de blessures et de désillusions. Nous dévoilant les parts d’ombres et de lumière d’un artiste à la personnalité atypique et fantasque, elle nous livre à travers ce portrait les clés de compréhension de l’oeuvre de ce merveilleux conteur d’histoires.

« Il aimait être ce personnage de conte : un fils de cordonnier qui avait eu de la chance, et faisait son miel de tout ce qu’il voyait, entendait, ressentait. »

___De la misère des campagnes danoises à la bourgeoisie de Copenhague, le destin exceptionnel d’Andersen est digne de ceux des personnages nés sous sa plume. Parti de rien, il réussit à force de volonté et de travail à s’élever dans la société danoise de l’époque et à s’imposer par son talent.

Porté par ses rêves de succès, son opiniâtreté et une persévérance à toute épreuve, le jeune « poète en bourgeon » parvient à s’attirer la sympathie de personnages influents, parmi lesquels Jonas Collin, conseiller d’Etat. Ce dernier, estimant que l’instruction de l’adolescent laisse à désirer, s’assure alors de parfaire l’éducation de son protégé en lui obtenant une bourse d’études et une place à l’école. Mais là-bas, l’imagination fertile de ce fils de cordonnier se heurte très vite à ce milieu bourgeois et guindé. L’ambiance studieuse et l’esprit rigide font du lieu un environnement hostile à l’épanouissement du jeune homme, étouffant les aspirations artistiques et la fantaisie de cet élève médiocre.

Sa quête de reconnaissance le conduit plus tard à voyager à travers l’Europe où il multipliera les rencontres les plus prestigieuses (Dickens, Balzac…). Si de nombreux individus ne feront que traverser son existence, une rencontre bouleversera néanmoins sa vie : celle d’Edvard Collin, le fils de son protecteur. Ami de toute une vie et frère de coeur, il entretiendra jusqu’à sa mort avec ce dernier une relation ambiguë et tumultueuse. A la fois son premier lecteur, son correcteur et son avocat, Collin devient bientôt l’objet d’un amour platonique et non réciproque pour le poète. Leurs querelles récurrentes ainsi que la mise en parallèle des destins des deux hommes offre par ailleurs un contraste révélateur de la fracture entre élan artistique et milieu conservateur dans la société de l’époque.

___Entre moments heureux et abysses de solitude, Nathalie Ferlut retrace le destin de cet idéaliste à l’acharnement peu commun, déterminé à forcer le destin pour devenir célèbre. Loin de se contenter d’un simple récit factuel, l’illustratrice sonde les tréfonds de l’âme de son sujet, explore ses failles et ses zones d’ombre afin de nous livrer une étude de caractère complète, à la fois maîtrisée et magistralement menée.

Derrière ce personnage fantasque et excentrique se dessine progressivement le portrait en creux d’un éternel enfant, sorte de Peter Pan, qui semble éprouver les plus vives difficultés à s’adapter au monde réel et à trouver sa place dans une société où il refuse de grandir. Susceptible, capricieux, égocentrique, peureux, maladroit… le parcours de vie d’Andersen fait apparaître un individu tour à tour attachant et insupportable, amoureux de la vie et en soif de reconnaissance qui garda toute sa vie son âme d’enfant.

___Véritable invitation aussi bien dans l’imaginaire que dans la vie d’Andersen, l’album de Nathalie Ferlut est également une vraie prouesse artistique. Afin de retracer la vie du célèbre conteur, l’ouvrage épouse en effet la mise en forme d’un recueil de contes et convoque les personnages nés sous la plume d’Andersen. Grâce à un procédé ingénieux, la dessinatrice propose en effet aux lecteurs une mise en abyme sensible et poétique de l’œuvre d’Andersen, s’appuyant pour sa narration sur les personnages emblématiques des contes de l’auteur. En filigrane des évènements, le lecteur voit ainsi se succéder plusieurs de ses protagonistes les plus célèbres, parmi lesquels le petit soldat de plomb, la bergère et le ramoneur ou encore la petite poucette. Leur apparition ne se cantonne pas au simple rôle de caméo. Outre le rôle actif qu’ils occupent dans la narration, ils incarnent surtout la petite conscience d’Andersen, témoins de ses dilemmes intérieurs et des doutes qui le rongent. Une construction habile qui permet à la dessinatrice d’appuyer son propos et d’étayer sa démonstration. Car au-delà du simple effet de style, ce procédé astucieux montre surtout de quelle façon ce grand conteur d’histoires puisa son inspiration à même sa vie ; ses histoires et ses personnages se nourrissant autant de son imaginaire que de son vécu. De fait, ses récits se révèlent être autant l’expression de son imagination que celle de ses peurs les plus intimes et les plus profondes. Pour Andersen, l’écriture est une entreprise aussi vitale que cathartique ; le moyen d’exorciser les fantômes qui le hantent et d’apprivoiser ses démons en couchant sur le papier les personnages qui peuplent son imaginaire.

___Le dessin vaporeux et le trait mouvant de Nathalie Ferlut combinés à des teintes chatoyantes s’allient à merveille pour créer une atmosphère onirique et envoûtante à souhait, où se confondent en permanence réalité et imaginaire. Son trait dynamique et expressif restitue avec brio l’esprit bouillonnant et torturé de son sujet, donnant au récit une impression de mouvement permanent. Tantôt relâché ou précis, figuratif ou abstrait, Nathalie Ferlut nuance son style au gré des évènements évoqués, éveillant avec justesse un florilège d’émotions chez le lecteur.

Avec Les ombres d’Andersen, Nathalie Ferlut revisite la vie du conteur par le biais de ses créations et de ses personnages, signant une oeuvre singulière, créative et envoûtante. Destiné avant tout aux grands enfants, ce biopic graphique trouve le juste équilibre entre narration et émotions, aboutissant à un portrait délicat et tout en finesse d’un homme-enfant au destin exceptionnel. Nul doute qu’une fois cet album refermé, les contes d’Andersen résonneront avec une acuité nouvelle aux oreilles du lecteur…

Je remercie infiniment les éditions Casterman pour cette lecture envoutante !

« Elisabeth Ire » de Vincent Delmas, Christophe Regnault, Andrea Meloni et Michel Duchein

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Quatrième de couverture

Fille du roi Henri VIII, Elisabeth Tudor accède au trône d’Angleterre au cœur de nombreux remous politiques. En rivalité avec sa demi-sœur Marie Tudor, elle est celle qui parviendra finalement à restituer la stabilité du royaume sous l’autorité royale, coupant les liens avec le Pape en créant l’Église protestante d’Angleterre. Elle est également celle qui parviendra à imposer sa féminité dans un monde d’hommes. Éternelle vierge, elle ne se mariera jamais et verra la lignée Tudor s’éteindre avec elle.

Découvrez le destin de l’une des figures les plus célèbres de l’histoire d’Angleterre. Celle dont le règne, associé à l’épanouissement du théâtre anglais – représenté par William Shakespeare et Christopher Marlowe – et aux prouesses maritimes d’aventuriers comme Francis Drake, signe l’apogée de la Renaissance anglaise.

  • Mon opinion

★★★★★

___Pour quiconque témoigne d’un intérêt marqué pour la dynastie Tudor ou pour Elisabeth Ire, le nom de Michel Duchein sonne comme une référence sur le sujet. L’historien, auteur de nombreux ouvrages consacrés à divers souverains britanniques, fait figure d’autorité en la matière. De fait, retrouver ainsi le nom de ce spécialiste parmi les auteurs ayant participé à la réalisation de cette BD ne pouvait que me conforter dans l’idée de me la procurer.  S’inscrivant dans la collection « Ils ont fait l’Histoire » de Glénat, cette biographie, réalisée en collaboration avec les éditions Fayard, revient sur le règne de l’un des plus grands monarques de l’Histoire.

___Fruit des amours tumultueuses d’Henri VIII et d’Anne Boleyn (que ce dernier fera exécuter), Elisabeth est passée par les affres de bien des tourments avant de monter sur le trône. Couronnée reine le15 janvier 1559 en l’abbaye de Westminster, elle est la dernière Tudor à accéder au trône d’Angleterre. Son règne, qui s’étendra sur 45 ans, débute sur fond de nombreux remous politiques et d’une grande instabilité religieuse. Marquée par de nombreuses manigances politiques, la rupture avec la papauté ou encore la création de l’Elise protestante d’Angleterre, l’ère élisabéthaine (1558-1603) marque également l’apogée de la Renaissance anglaise avec l’essor sans précédent des arts et de la culture. Le théâtre florissant sous la plume du dramaturge William Shakespeare en est d’ailleurs l’une des plus belles représentations !

___Si personne ne conteste le rôle majeur qu’Elisabeth Ière joua dans l’Histoire d’Angleterre, sa personnalité complexe et ambiguë lui valut autant d’admirateurs que de détracteurs. Portée aux nues par certains, conspuée par d’autres, celle que l’on surnomme « la reine vierge » cultive aussi bien le mystère que les paradoxes. Colérique, versatile, austère, calculatrice… Elisabeth est de fait parfois présentée comme une souveraine aigrie, indécise et antipathique. Pourtant, ce n’est qu’à l’aune de son histoire personnelle et du contexte trouble de son époque qu’il convient d’appréhender la personnalité et les réactions de cette femme à la destinée exceptionnelle. Refusant tout parti-pris ou portrait à charge, Vincent Delmas, Michel Duchein, Christophe Regnault et Andrea Meloni parviennent avec cette biographie sérieuse et visuellement époustouflante, à restituer toute la complexité de cette reine hors du commun et à en dresser un portrait psychologique remarquable de nuances au vu d’un format si condensé.

Vivant sous la menace permanente d’une trahison ou d’un complot visant à la destituer, pressée par ses conseillers de se marier afin d’asseoir les intérêts de la couronne d’Angleterre et d’assurer sa succession, on comprend mieux les sautes d’humeur de la souveraine face à ces attaques permanentes et répétées. A la lumière de tous ces éléments essentiels ici parfaitement restitués par les auteurs, Elisabeth Ire apparaît ainsi davantage comme une femme avisée, prudente et intelligente que comme une monarque narcissique, froide et calculatrice. Nul doute qu’il fallut en effet à la souveraine user de toute son intelligence et de sa force de caractère pour ne pas tomber dans les nombreux pièges de la cour ou autres complots ourdis par l’entourage de sa cousine catholique. Sachant se montrer fine tacticienne dès lors que les circonstances l’exigent, elle avance avec prudence en matière de questions religieuses et revendique une totale indépendance d’esprit.

Entre nécessité d’asseoir son autorité et indispensable devoir de compromis, cette évocation du règne d’Elisabeth met ainsi parfaitement en évidence le difficile exercice du pouvoir, a fortiori lorsqu’on est une femme. S’estimant mariée au royaume d’Angleterre, Elisabeth Ire forge sa légende sur son célibat. Dans ce monde d’hommes où se mêlent conflits d’intérêts personnels, politiques et jeux de dupes diplomatiques, elle entend conserver sa couronne et son pouvoir. Un règne sans partage aussi bien marqué par sa longévité que par les quelques personnalités récurrentes que compte son entourage. La reine s’est en effet très vite entourée d’un cercle restreint de proches conseillers qui lui restèrent toujours fidèles, parmi lesquels William Cecil, Walsingham… et l’incontournable Robert Dudley.

Au coeur de la narration, on retrouve ainsi évoquées la question lancinante du mariage, ses rapports ambigus avec Robert Dudley ou encore sa rivalité avec Marie Stuart. A ce sujet, il semble probable que celle qui revendiqua et affirma son indépendance à une époque patriarcale, nourrissait en catimini quelque jalousie envers sa cousine. Leur lutte sans merci mènera finalement Marie Stuart à l’échafaud et entraînera Elisabeth à un affrontement historique avec l’Espagne. Qualifiée d’invincible, l’armada espagnole sera pourtant finalement vaincue par l’armée anglaise ; permettant ainsi à la victorieuse Elisabeth d’entrer un peu plus dans la légende.

___Soucieux d’intégrer tous les événements marquants de son règne tout en devant composer avec un format court, les auteurs ont dû opérer quelques coupes dans la chronologie. Autant d’ellipses temporelles et de raccourcis qui pourront à n’en pas douter déstabiliser certains lecteurs. De fait, la multiplicité des enjeux politiques et religieux sous-tendus par le sujet semblent réserver davantage cet album à un public un minimum connaisseur, ou en tout cas déjà familiarisé avec le contexte et les protagonistes impliqués. Afin d’essayer de pallier à cette difficulté et de combler les éventuels chaînons manquants, le récit est complétée d’un dossier illustré de 7 pages, qui permet de revenir sur les évènements majeurs du règne d’Elisabeth tout en les remettant dans le contexte de l’époque.

Le dessin réaliste de Christophe Regnault et Andrea Meloni nous fait plonger de plain-pied dans le siècle élisabéthain, au coeur des jeux de pouvoir et des évènements majeurs qui marquèrent cette période et dont les auteurs nous livrent ici le récit palpitant. Avec cette biographie, ils nous offrent surtout un portrait nuancé et réaliste d’une reine emblématique et charismatique qui joua un rôle majeur dans l’histoire de l’Angleterre et devint un mythe de son vivant. Pour bâtir cet album, les auteurs se sont appuyés sur une solide documentation et de multiples sources, aussi bien à charge que partisanes, dans lesquelles ils ont dû entreprendre un tri rigoureux, afin de coller au mieux à la « vérité historique ». Format court oblige, on regrettera que l’album ne revienne pas sur l’enfance et les jeunes années d’Elisabeth. Mais quelles que soient les zones d’ombre et les incertitudes entourant sa vie privée ou son caractère, Elisabeth Ire n’en demeure pas moins une figure historique fascinante. Profondément dévouée à son peuple et à la cause de son pays, elle hissera son royaume au rang des plus grandes puissances de la Renaissance.

Je remercie infiniment les éditions Glénat pour cette belle découverte !

« Louise, le venin du scorpion » de Chantal Van Den Heuvel et Joël Alessandra

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Quatrième de couverture

Louise,
Tu étais la beauté, l’esprit, la grâce incarnés. Et ton jeu était sublime.
Pourtant, un seul film, Loulou, aura marqué ta carrière.
Hollywood, « l’inhumaine usine à films », t’a très vite blacklistée.
Parce que tu en refusais les règles ? Sans doutes…
Mais aussi, tu disais de toi-même : « Je suis le poignard de ma propre plaie ».
Pourquoi, Louise ?
  • Mon opinion

★★★★☆

___Vedette emblématique du cinéma muet, les oeuvres consacrées à Louise Brooks se comptent pourtant en France sur les doigts d’une main. De fait, il était donc grand temps que des auteurs s’intéressent à la vie de cette actrice devenue l’archétype de la femme libérée des années folles. Faire sortir Loulou du silence et réhabiliter cette star injustement tombée dans l’oubli, tel est le pari de Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra, à travers une bio graphique de 120 pages retraçant la vie de l’icône.

___C’est à Berlin, en octobre 1928 que s’ouvrent les premières pages de « Louise, le venin du scorpion ». L’actrice américaine arrive tout juste en gare, accueillie par le réalisateur Georg Pabst qui l’a choisie pour tenir le premier rôle dans son film Loulou ou la boite de Pandore.

Au rythme des flashbacks, on revit ensuite l’ascension fulgurante de la petite danseuse du Kansas. De ses premiers spectacles à son arrivée à New-York où elle intègre les cours de l’école Denishawn, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra nous entraînent dans les pas de cette artiste en devenir. Là-bas, elle noue une forte amitié avec Barbara Bennett, goûte les délices de Broadway et travaille son futur personnage de scène. Après avoir participé à une importante tournée avec la troupe Denishawn, elle est brutalement renvoyée en raison de son existence dissolue et de l’influence néfaste qu’elle exerce sur la moralité et la réputation de la compagnie. Barbara lui dégote alors rapidement une place de girl aux Scandals ; un emploi que la danseuse quitte quelques temps plus tard avant d’embarquer pour l’Europe. Louise retourne ensuite à Broadway où elle intègre les Ziegfeld Follies. Repérée par un des directeurs de la Paramount, elle tourne un bout d’essai pour un petit rôle et débute bientôt une carrière cinématographique.

___Dans un rythme ciselé entre présent et passé, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra nous font progressivement pénétrer dans l’intimité de l’actrice à la frange sombre et aux yeux envoûtants. Personnalité borderline, en permanence sur la brèche, on découvre une jeune femme blessée, qui tente désespérément de rompre avec les traumatismes d’une enfance volée à l’âge de neuf ans. Dénuée de tout instinct maternel, sa mère, aussi toxique que peu aimante, lui aura cependant transmis sa passion pour l’art et la littérature. En mal d’amour, Louise trouve ainsi refuge dans la danse, les livres et les hommes. Au cours de sa vie, elle enchaîne les relations amoureuses et multiplie les aventures. Autour d’elle les hommes se succèdent : impresarios, producteurs, réalisateurs, acteurs… tour à tour amants ou époux, ils s’éclipsent rapidement après avoir fait une brève apparition dans le film de sa vie. Et puis Louise lit. Sans cesse et avec voracité pour tuer les moments d’attente et l’ennui qui accompagnaient les tournages. Intelligente sans pédanterie, elle dissimule derrière ses attitudes théâtrales et son esprit affuté une profonde mélancolie.

Pourtant, loin de s’apitoyer sur son sort, Louise assume jusqu’au bout cette liberté qu’elle revendique et les conséquences qui en découlent. Véritable électron libre, elle refuse de se plier à l’esclavage des usines de films de Hollywood. Et tandis que se profile l’ombre menaçante du cinéma parlant (évènement qui fit l’effet d’une bombe dans l’industrie cinématographique), c’est bien son franc parler et sa liberté d’esprit qui poussent l’actrice à claquer les portes des studios pour aller tourner en Europe.

___Une liberté qu’elle paiera pourtant au prix fort : celui de la solitude. Louise est aussi abandonnée qu’elle est inoubliable. Délaissée par ses amants puis par les studios, elle s’enfonce peu à peu dans le désespoir et l’oubli. .. avant de renaître de ses cendres. Ses films sont redécouverts au début des années 50 par des historiens du cinéma français. Et l’actrice se voit progressivement réhabilitée à l’occasion de l’exposition des « 60 ans de cinéma ».

___Insérant astucieusement encarts de presse et extraits de films à la narration, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra passent en revue l’existence tumultueuse de cette enfant terrible, danseuse de formation, iconoclaste par nature. De son ascension fulgurante à son progressif déclin en passant par sa période de gloire, les auteurs dressent un portrait captivant et sans concession de cette actrice devenue l’archétype de la flapper des années folles. Symbole de la femme libérée, les jeunes filles s’inspirent massivement de sa coupe à la garçonne qu’elles reproduisent à l’infini. Une coiffure qui va devenir sa marque dans le monde entier.

___Si cette « bio-graphique » remarquablement documentée a donc le mérite de nous faire (re)découvrir une légende du cinéma muet, force est de constater que l’ensemble pêche un peu d’un manque d’émotions, aussi bien dans la narration que dans le graphisme. Joël Alessandra nous livre une Louise sombre (tant au sens littéral que visuellement) qui tend parfois à perdre en expressivité et en aspérités…

Une tonalité qui destine de fait davantage cette BD aux fans de la première heure de Loulou. Les lecteurs peu familiers de l’actrice éprouveront en effet probablement quelques difficultés à s’attacher au personnage et à apprécier les paradoxes et les zones d’ombre de cette femme à la fois magnétique et animée de pulsions autodestructrices.

___Narrativement, les deux auteurs – à l’image de leur sujet – ne s’embarrassent pas toujours de rigueur, s’autorisant quelques libertés avec la chronologie et empruntant quelques raccourcis pour évoquer cette vie semée de drames. Format court oblige, on excusera cependant sans difficulté ces petites approximations. D’autant plus que les répliques au cordeau (aussi pertinentes que judicieusement sélectionnées) et les extraits de films (visuellement bluffants !) témoignent à eux seuls d’un travail de documentation aussi fouillé que rigoureux !

___En dépit de quelques réserves, il convient donc de saluer le bel effort du duo pour ce remarquable hommage ! Car parvenir à restituer en une centaine de pages toute la complexité d’une personnalité aussi flamboyante relevait indubitablement d’une véritable prouesse ! De ce point de vue-là, il faut bien avouer que l’album reste au final une franche réussite ! De fait, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra ont su saisir avec brio ce diamant brut à la dérive, dont la force de caractère se révèle proportionnelle à sa grande fragilité. Une fois la dernière page tournée, le lecteur n’a plus qu’une envie : se replonger dans la filmographie de l’artiste aux grands yeux sombres aussi intrigante que fascinante !

Je remercie infiniment les éditions Casterman pour cette belle découverte ! 🙂

« Darwin, tome 1 : À bord du Beagle » de Christian Clot et Fabien Bono

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Quatrième de couverture

1831. Charles Darwin, 22 ans, tout juste diplômé de Cambridge, est un passionné de la nature. Sur la recommandation de son professeur d’université, il embarque comme naturaliste à bord du Beagle, un navire de Sa Majesté lancé dans une mission scientifique de plusieurs années autour du globe. Débute alors une relation turbulente avec le commandant Fitz Roy qui partage son goût pour les sciences et les découvertes, mais moins ses idées humanistes… Au cours de son voyage, Darwin sera constamment émerveillé par la beauté de la nature et sa diversité. Élevé dans la plus pure tradition chrétienne, il verra sa foi mise à l’épreuve par ses différentes observations. Pourquoi Dieu a-t-il créé et détruit autant d’espèces ?
  • Mon opinion

★★★★★

Créée en 2012 par Christian Clot, la collection Explora de Glénat a pour objectif de faire (re)découvrir les grands explorateurs/exploratrices de notre histoire à travers le 9e art. Revenant sur les traces de ces grands aventuriers qui ont marqué l’Histoire et ont laissé leurs noms à la postérité, la collection rend ainsi hommage à ces hommes et ces femmes et à leurs découvertes. A ce jour, une dizaine de titres sont déjà parus. Publié en mars 2016, « Darwin, à bord du Beagle » revient sur la biographie du naturaliste qui a marqué la science et la théorie de l’évolution de son nom.

___Après avoir abandonné ses études de médecine (la vue du sang le révulsait), le jeune Charles Darwin se destine, conformément aux souhaits de son père, à devenir pasteur. En 1828, il reprend donc ses études en dilettante à Cambridge en vue de cet objectif. Là-bas, l’étudiant indolent fait la connaissance de John Stevens Henslow, professeur révérend qui enseigne la botanique, et avec lequel il se lie d’amitié. Ce dernier, décelant bientôt les qualités d’observation exceptionnelles de son élève et sa capacité à mettre en corrélation des faits a priori isolés pour en tirer des conclusions, le pousse à suivre des cours de géologie afin de compléter son savoir sur les sciences naturelles. Quelques temps plus tard, c’est aussi lui qui recommandera le jeune étudiant comme naturaliste à bord du Beagle, pour une expédition scientifique autour du monde. La mission ayant pour objectif d’effectuer des relevés cartographiques. Grâce à l’appui de son professeur (et après avoir réussi à convaincre son père), le naturaliste en herbe embarque finalement sur le navire sous le commandement du jeune Capitaine Robert Fitzroy. Il emmène dans ses bagages le livre de Charles Lyell, Principles of Geology, dans lequel l’auteur élabore les thèses d’uniformitarisme. A bord, Robert McCormick, le naturaliste officiel du navire, ne peut cependant pas souffrir le jeune étudiant, insupporté par les méthodes de travail et la façon d’être de son rival. Mais au-delà de cette guerre des égos, c’est surtout la confrontation de deux conceptions du rôle de naturaliste qui s’opposent à travers les deux hommes. Au simple travail d’observation, Darwin préfère le travail de terrain. Sa démarche intellectuelle visant à ne pas simplement se positionner en observateur de l’oeuvre de Dieu mais à la questionner agace profondément McCormick. D’abord septique quant aux compétences de Darwin, le commandant Fitz semble quant à lui de plus en plus apprécier les connaissances et l’esprit curieux du jeune naturaliste. Pouvant compter sur le soutien de ce dernier, Darwin peut donc poursuivre ses investigations et étoffer sa collection.

___Initialement prévue pour une durée de 2 ans, l’expédition s’étendra en réalité sur 5 ans. Au cours de ce périple, le jeune scientifique va progressivement voir toutes ses certitudes ébranlées. Sur le terrain, le jeune homme élevé dans la plus pure tradition chrétienne, soumet la théorie créationniste à l’épreuve des faits. D’observations en découvertes, Darwin amorce une lente réflexion qui aboutira à poser quelques temps plus tard les bases de sa théorie de l’évolution des espèces par la sélection naturelle.

___Avec « A bord du Beagle », Christian Clot et Fabio Bono nous embarquent au coeur d’une aventure scientifique et humaine aussi passionnante que dépaysante ! Un album minutieusement documenté et immersif à souhait qui nous entraîne sur les traces du grand penseur de l’évolution et nous invite à découvrir l’homme qui se cache derrière le portrait du vénérable vieillard à la longue barbe blanche.

Petit-fils d’un chercheur renommé, auteur de plusieurs ouvrages scientifiques, Charles Darwin a grandi dans une famille ouverte d’esprit et aux idées libérales. Collectionneur invétéré, il affectionne particulièrement les balades en pleine nature au cours desquelles il recueille et compile méticuleusement un nombre important de spécimens. En dépit de cette passion dévorante pour la nature et de son intérêt pour la botanique et la géologie, le jeune Darwin se révèle cependant un élève médiocre à la scolarité chaotique.

___ « A bord du Beagle » relate l’embarquement et les premiers mois de voyage de Darwin au cours d’une expédition qui va changer sa vie. Revenant sur la genèse de cette expédition qui a bouleversé notre perception du monde et a été le point de départ de l’une des plus grandes théories scientifiques, ce premier volet de 48 pages met par ailleurs bien en évidence la curiosité et l’intelligence de cet esprit libre-penseur. Aux côtés du reste de l’équipage, on assiste, fébrile, à la germination de la pensée scientifique d’un homme à l’intuition géniale et au sens de l’observation hors du commun.

Mais en filigrane du portrait de ce grand homme, c’est aussi celui de toute une époque que l’on découvre. L’esclavagisme, l’élan colonialiste au nom du devoir de civilisation des peuples, le poids et l’influence des croyances religieuses et du christianisme… autant de thématiques abordées qui permettent au lecteur de s’imprégner du contexte historique de l’époque et de mesurer pleinement la portée révolutionnaire des idées de Darwin.

___Spécialisé dans la BD à connotation historique, les illustrations à couper le souffle de Fabio Bono nous permettent de plonger de plain-pied au coeur des évènements. L’illustrateur a saisi avec brio la beauté insolente de cette nature sauvage et luxuriante ! On se laisse avec plaisir étourdir par l’abondance de détails de ses décors richement travaillés, ses mises en scène soignées et ces grands espaces servis par une mise en page aussi bien pensée que vertigineuse.

L’album se clôture en outre par un passionnant dossier documentaire, incluant notamment une partie de la biographie de Darwin. Le tome 2 (qui viendra achever ce dyptique) devrait quant à lui s’attarder plus en détails sur les théories évolutionnistes de Darwin et aborder la seconde partie de la vie du célèbre naturaliste.

___Une BD passionnante et érudite, à recommander tout particulièrement aux collégiens et lycéens afin de mieux appréhender ce grand scientifique à la trajectoire atypique !

Je remercie Babelio et les éditions Glénat pour cette formidable découverte !

« Edith, reine des Saxons » de Regine Sondermann

Quatrième de couverture

« Vous voulez m’aimer, mais vous ne me connaissez pas ». C’est par ces mots que la Reine Édith commence son récit, qu’elle nous adresse aujourd’hui la parole, à plus de mille ans de distance. L’auteur magdebourgeoise, Regine Sondermann transporte le lecteur dans un Moyen-Âge encore jeune, aux côtés d’une femme, dont on ne connaissait jusqu’à présent que peu de choses. Elle mourut à trente-six ans et fut enterrée dans la cathédrale de Magdebourg où ses ossements ont été retrouvés dans un petit cercueil de plomb, en l’an 2010. L’auteur a trouvé dans les sources historiques, les livres d’histoire et ses entretiens avec archéologues et historiens de petits morceaux de cette courte vie, qu’elle a patiemment assemblés et remis en place, comme un bol ancien brisé il y a très longtemps. Lire l’histoire d’Édith et de sa famille, c’est voyager dans des contrées inconnues, qui nous paraissent si proches, et se trouvent pourtant infiniment loin, c’est découvrir des moeurs tantôt archaïques, tantôt cruelles et la croyance profonde guidant et réconfortant nos ancêtres, livrés impuissants aux guerres, famines et maladies.

Mon opinion

★★★★☆

___Fille d’Aelfflaed et d’Edouard l’Ancien, Edith n’a que treize ans lorsque la mort successive de ses deux parents la laisse orpheline. Son sort est alors confié aux mains de son frère, Ethelstan, le nouveau roi de Wessex, qui ne tarde pas à l’envoyer chez les Saxons, promise en mariage à Otton, le fils d’Henri Ier de Saxe. L’ordre européen conçu au Xème siècle s’appuie alors sur la stratégie matrimoniale selon laquelle les mariages permettent de consolider les bases du pouvoir et d’étendre leurs zones d’influence. Les femmes ne sont donc pas laissées à l’écart des calculs géopolitiques redessinant sans cesse les frontières d’une Europe belliqueuse en constante transformation. « Il était avantageux pour mon père d’avoir dix filles. Elles pouvaient être mariées à d’autres souverains. Ainsi avait-il la possibilité de se lier d’amitié avec les monarques de peuples étrangers, ou même de s’en faire des alliés de combat. Avec des fils, la situation aurait été autrement difficile, car ceux-ci auraient risqué de se battre entre eux quant à la succession du royaume. » p.11 Le mariage d’Edith avec Otton Ier s’inscrit dans cette logique d’une politique lignagère et d’un système d’alliances : « Il était comme moi un instrument du pouvoir. Nous étions deux perles sur un collier qui devait assurer l’unité de la parentèle. Nous ne devions pas penser à nous, mais à nos familles. Il n’était pas facile pour autant de se plier à la volonté de la communauté. » p.41 Déracinée, la jeune fille se trouve en outre confrontée à un véritable choc des cultures et ne tarde pas à éprouver le mal du pays. Il lui faudra du temps pour apprivoiser cette terre d’adoption et ses coutumes étrangères, si frustes et éloignées de celles de sa contrée d’origine.

___En dépit de sa courte existence, Edith connaîtra une vie foisonnante. Tour à tour princesse, avant de devenir épouse du fils du roi puis mère du successeur saxon au trône et enfin reine, son destin est à jamais scellé à celui de son royaume. Alors qu’Otton tente d’assoir son autorité, les rivalités et les jalousies ne tardent pas à venir compromettre l’unité familiale. Rongée par la lutte féroce opposant les ambitions et les desseins personnels de chacun de ses membres, la maison régnante des Saxons sombre peu à peu dans la discorde. Si Edith n’aura que peu d’emprise sur ces conflits quant à la succession au trône, elle parviendra néanmoins à user de son influence sur le roi dans d’autres domaines, parvenant par exemple à le convaincre de fonder une bibliothèque et une école monacale afin que ses enfants et d’autres puissent apprendre à lire et à écrire. Bien que n’exerçant jamais directement le pouvoir comme put le faire jadis sa tante, la vaillante Aethelflaed, Edith exerça donc néanmoins une certaine influence sur les mesures prises par son mari. Tandis que son époux illettré guerroie à travers le continent pour tenter de consolider son pouvoir, la reine, forte de son instruction et inspirée par le modèle éducatif de son pays d’origine, affirme ainsi peu à peu sa volonté d’instruire les enfants. Au pouvoir des armes, Edith préfère celui des mots et de la connaissance.

___S’appuyant sur une narration à la première personne, Régine Sondermann nous fait plonger sans détour au coeur du Moyen-Age, dans l’intimité d’une reine méconnue car oubliée de l’Histoire, dont elle s’est approprié le destin avec infini respect. Comme une voix surgie du passé et résonnant par-delà les siècles, Edith nous livre le récit de sa vie et se pose en fine observatrice de son temps. Apostrophant régulièrement le lecteur, elle porte ainsi un oeil critique sur les coutumes et les pratiques de l’époque tout en nous confiant ses moindres tourments. De ses premières désillusions lors de son arrivée chez les Saxons à la crainte de voir son fils lui être arraché, on se sent à chaque instant irrémédiablement lié au sort de cette femme déraciné dont le destin semble scellé.

___A la simple narration factuelle, Régine Sondermann a préféré imprégner son récit de tonalités variées, puisant à la fois dans des registres émotionnel et didactique. Avec un talent de conteuse hors pair, l’auteure nous livre ainsi un récit qui transcende les frontières des genres. A mi-chemin entre la biographie et le récit historique, elle signe une oeuvre foncièrement originale dans le choix de son sujet et conjuguant avec brio érudition et efficacité narrative. A partir d’un personnage historique méconnu, Régine Sondermann construit ainsi un roman passionnant et instructif qu’on peine à lâcher !

Avec « Edith, reine des Saxons », Regine Sondermann réalise un joli travail de vulgarisation permettant au lecteur de toucher du doigt une période de l’Histoire aussi floue que lointaine. Sans jamais sombrer dans la biographie convenue, elle livre un récit passionnant, puisant son souffle dans une narration qui défie le Temps et qui mêle avec brio érudition et sentiments. Ainsi plongé dans cet univers hostile et peu familier, on s’identifie sans peine à cette jeune femme, déracinée et sans repère qui tente de trouver sa place et de donner un sens à sa vie. Instruite et pleine de ressources, Edith est une reine attachante qui pose un regard plein de lucidité sur le monde qui l’entoure. Au gré des évènements, elle nous fait découvrir la réalité impitoyable et brutale du quotidien d’une femme de sang noble évoluant au coeur du Moyen Age. Calculs géopolitiques, trahisons fraternelles, intrigues politiques… son destin est jusqu’au bout intimement lié à celui de son royaume. Si la narration manque parfois de précision, perdant le lecteur dans ce dédale généalogique et ce jeu d’alliances complexe aux circonvolutions labyrinthiques, on plonge avec fascination dans cet environnement peu familier mais néanmoins terriblement intrigant. Usant d’un style raffiné sans être ampoulé, on se laisse volontiers bercer par le rythme pénétrant de ce phrasé sobre et épuré, délicieusement empreint d’une douce musicalité.

Puisant son souffle dans la vie méconnue d’une femme oubliée de l’Histoire, « Edith, reine des Saxons » est un récit singulier, à mi-chemin entre la biographie et le récit historique, qui conjugue avec brio érudition et efficacité narrative et redonne à cette reine des Saxons toutes ses lettres de noblesse.

Je remercie chaleureusement Livraddict et Regine Sondermann pour cette belle découverte! 🙂