• Quatrième de couverture •
Venue parachever son éducation en France, Olivia, une jeune Anglaise de seize ans à peine, va être subjuguée par la directrice de son école, la très belle Mlle Julie qui lui fait découvrir la poésie, le théâtre, la peinture… Rien de plus vrai, de plus frais que ce premier amour d’une adolescente entraînée sans défense dans une aventure qui la dépasse. Mais si elle sait très bien jouer avec les sentiments exaltés de sa jeune élève, Mlle Julie vit en même temps une autre passion. Avec pour seules armes sa candeur et sa pureté, Olivia va se retrouver au cœur d’un drame. «Lyrisme passionné, spontanéité qui jamais n’échappe au contrôle, goût parfait, tels sont les caractères distinctifs de l’art de l’auteur», a écrit Rosamond Lehmann, qui ajoutait : «C’est pourquoi Olivia est une des rares œuvres que je relirai avec la certitude de n’en avoir jamais épuisé le suc.» Quand Olivia parut en Angleterre en 1949, simplement signé «par Olivia», ce fut un succès immédiat. On sait aujourd’hui que l’auteur se nommait Dorothy Bussy, qu’elle était la sœur de Lytton Strachey, et une grande amie de Virginia Woolf et d’André Gide qu’elle traduisait en anglais. Née en 1865 et décédée en 1960, elle n’a écrit que ce mince roman devenu un classique. |
- Mon opinion •
Dans ce court récit à l’ambiance faussement feutrée, la narratrice, Olivia, se remémore sa jeunesse et revient sur l’année qu’elle a passée en France, dans un pensionnat de jeunes filles. Un mince roman à tiroirs traitant de l’adolescence et des premiers émois amoureux et où s’égrènent les joies, les douleurs et toute la complexité de la passion amoureuse.
___Olivia grandit au sein d’une famille intellectuelle mais qui manque d’un certain sens de l’humain. Dans cette famille « victorienne » bien qu’agnostique et qui compte dix enfants, les marques d’affection et les témoignages d’amour ne sont pas légion. Son père est un homme de sciences tandis que sa mère, quoique très éprise de littérature, se révèle dépourvue de sens psychologique. Farouchement attachés à l’idéal de leur époque, ses parents ont « foi en la vertu du devoir, du travail, de l’abnégation ». Entourée d’objets sans beauté, Olivia est déjà fascinée par le raffinement de sa tante, artiste jusqu’au bout des doigts.
Après avoir connu à treize ans l’ambiance religieuse étouffante d’un pensionnat de jeunes filles d’excellente qualité, Olivia est envoyée en France afin de parfaire son éducation, au sein d’une institution dirigée par deux dames françaises. Là-bas, elle dispose d’une agréable petite chambre pour elle seule et goûte à une atmosphère de joyeuse liberté. La nature environnante, l’absence de discipline et les moeurs plus libres offrent un contraste saisissant avec l’ambiance intimidante et solennelle de son ancienne pension anglaise.
« La douceur et l’affabilité de Cara contrebalançaient les manières un peu brusques de son amie, et émoussaient la pointe de ses épigrammes […] Les deux directrices composaient alors un couple modèle et tendrement uni, où chacune, par ses dons personnels, ajoutait à leur commune séduction et composait les imperfections de l’autre. On les admirait, on les aimait ; elles étaient parfaitement heureuses. »
Passé l’émerveillement, Olivia réalise que sous une harmonie de façade, l’école est en réalité en proie à de vives tensions. Les élèves se répartissent en deux castes, au gré des affinités qu’elles nourrissent à l’égard de leurs professeurs.
« J’en ignorais la raison, mais il était évident que Frau Riesener et Signorina ne pouvaient se sentir. Elles dirigeaient, en quelque sorte, deux factions rivales : les Caristes et les Julistes. Cela ne faisait aucun doute : toutes les Julistes subissaient l’attraction de Signorina, et apprenaient l’italien ; toutes les Caristes gravitaient autour de Frau Riesener, et suivaient le cours d’allemand. »
Très vite, Olivia tombe sous le charme de Melle Julie, l’une des deux directrices de la pension. Insouciante et ingénue, l’adolescente est loin d’imaginer les conséquences désastreuses qui vont découler de cette relation ambiguë…
___Si le caractère délicieusement sulfureux de cette plongée dans l’intimité d’une pension de filles évoque immanquablement Claudine à l’école de Colette, publié plus de trente ans plus tôt, la tournure dramatique des évènements confère progressivement au récit des airs de tragédie. Insidieusement, Dorothy Bussy nous prend peu à peu dans les filets d’une intrigue oscillant dangereusement entre amour et tragédie, beauté et horreur. L’expérience bouleversante provoquée un soir par la lecture de Racine par Melle Julie sera de fait l’élément déclencheur d’une série d’évènements en chaîne à l’issue fatale.
« Dans quelle proportion faut-il imputer à Racine, ou à la proximité de ce voisinage, la flamme qui, ce soir-là, s’est allumée dans mon coeur ? Je me suis souvent posé la question. Si le choix de Melle Julie ne s’était pas justement porté sur Andromaque, ou bien si le hasard ne l’avait pas incitée à me faire asseoir aussi près, en aussi étroit contact avec elle, qui sait ? peut-être que cette substance inflammable, que je portais en moi sans en avoir le soupçon, serait demeurée à jamais hors d’atteinte de l’étincelle ? A vrai dire, j’en doute : tôt ou tard, infailliblement, ce feu-là devait prendre… »
Lecture d’un texte qui se révèlera malheureusement prémonitoire de la tragédie sur le point de se jouer entre les murs de la pension cette année-là. L’évocation d’Andromaque annonce déjà les prémices du drame en germination. Dans ce microcosme féminin vivant en vase clos, l’auteure éprouve la confrontation des sentiments jusqu’au point de rupture.
Dans une ambiance intimiste et sur le ton de la confidence, la narratrice nous livre ainsi sa version des évènements. Pièce après pièce, elle introduit les acteurs et reconstitue le fil des évènements. Théâtre d’un drame en devenir, l’institution révèle bientôt des personnalités plus troubles et complexes qu’il n’y paraît, un air plus vicié et plus pesant. L’atmosphère se charge peu à peu d’électricité. Des relations tortueuses apparaissent et des rivalités amoureuses se dessinent.
___Dans ce roman d’apprentissage, Dorothy Bussy décrit merveilleusement l’éveil de la sensualité et les premiers émois amoureux à cet âge charnière où la sensibilité est à fleur de peau. L’auteur a su saisir avec brio l’intensité de la passion amoureuse, la violence de l’amour qui consume l’individu et les réactions épidermiques engendrées par la surcharge émotionnelle qui le dévore. Véritable parangon d’innocence et de pureté, Olivia est un personnage fascinant, qui voit pour la première fois sa sensibilité s’éveiller à la beauté physique et ses sentiments s’exalter. A seize ans, l’adolescente se découvre un appétit de connaissance et de beauté nouveau et insoupçonné.
« […] je m’éveillai dans un monde nouveau : un monde où tout était d’une intensité poignante, chargé d’émotions bouleversantes, de mystères insoupçonnés : un monde, au centre duquel je n’étais moi-même qu’un coeur brûlant et palpitant. »
___Par l’entremise des liens qu’entretiennent les différents protagonistes, Dorothy Bussy dissèque toutes les variations de la relation amoureuse : celle chaste et non consommée, l’amour passionnel et absolu, celui tût et vécu en secret ou encore la passion désespérée et destructrice… L’amour est aussi exploré dans ses recoins les plus intimes et ses travestissements les plus sombres. L’auteure décrit ainsi tous les pendants et les dérives du sentiment amoureux : jalousie, rivalité, vengeance, soumission… si tous les personnages ont pour point commun de connaître le sentiment amoureux, chacun en fait une expérience personnelle et individuelle.
« J’enviais aussi la petite Signorina, mais pour d’autres motifs. Je devinais en elle une passion totale et absolue, dont je me savais incapable. Elle s’était tout entière et sans réserve consacrée à son idole : tout le reste avait été éliminé. Son adoration était si brûlante que la jalousie elle-même s’y était consumée : ni scrupules, ni devoirs, ni intérêts, ni affections n’existaient plus pour elle, si ce n’est en fonction de son amour. Aussi jouissait-elle d’une sérénité incomparable : aucun conflit jamais ne troublait sa paix intérieure. Elle était à l’abri de ces accès de désespoir ou de ressentiment qui me secouaient comme une houle, et me laissaient ensuite accablée par le mépris et la honte que je ressentais pour moi-même. Signorina ne désirait rien pour elle, rien d’autre que la permission de servir, de servir n’importe comment, de servir de toutes les façons possibles. »
Tour à tour lyrique et précieuse, l’écriture de Dorothy Bussy est d’un raffinement inouï. Avec des phrases soyeuses, elle évoque magistralement le déferlement d’émotions qui accompagne la passion naissante. On se délecte de chaque mot, de chaque formulation de ce texte d’une poésie infinie où l’éveil des sentiments amoureux et la violence des passions adolescentes nous sont décrits avec une justesse remarquable. Il y a dans cette opposition lancinante entre une forme de retenue pudique et le bouillonnement des sens et des sentiments, des réminiscences des romans de Forster. On retrouve d’ailleurs également en filigrane d’autres thèmes chers à l’écrivain anglais : l’homosexualité, l’évocation de l’Italie, les références à la nature, ou encore les réflexions sur la Beauté, la religion ainsi que sur le poids des valeurs traditionnelles qui conditionne notre construction.
Publié anonymement en 1949, il semble à peine croyable que ce véritable bijou littéraire (qui fut pourtant un succès immédiat en Angleterre lors de sa parution), ait ainsi sombré dans l’oubli. A la fois récit semi-autobiographique, roman d’apprentissage et véritable tragédie, Olivia est une oeuvre bouleversante et intense qui continue de nous hanter une fois la dernière page tournée. Un drame parfaitement ciselé et absolument magistral !
Je remercie infiniment les éditions Mercure de France de m’avoir permis de découvrir cette véritable pépite !