« Tout ce qu’on ne s’est jamais dit » de Celeste Ng

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Quatrième de couverture

Lydia Lee, seize ans, est morte. Mais sa famille l’ignore encore… Élève modèle, ses parents ont placé en elle tous leurs espoirs. Sa mère, Marylin, femme au foyer, rêve que sa fille fasse les études de médecine qu’elle n’a pas pu accomplir. Son père, James, professeur d’université d’origine chinoise, a tant souffert de sa différence qu’il a hâte de la retrouver parfaitement intégrée sur le campus. Mais le corps de Lydia gît au fond d’un lac. Accident, meurtre ou suicide ? Lorsque l’adolescente est retrouvée, la famille Lee, en apparence si soudée, va devoir affronter ses secrets les mieux gardés.

Des secrets si longtemps enfouis qu’au fil du temps ils ont imperceptiblement éloigné ses membres, creusant des failles qui ne pourront sans doute jamais être comblées. Bien sûr, Tout ce qu’on ne s’est jamais dit distille un suspense d’une rare efficacité. Mais ce livre qu’on garde en soi très longtemps est bien plus que cela. Celeste Ng aborde la violence de la dynamique familiale, les difficultés de communication, le malaise adolescent, avec une intensité exceptionnelle qui évoque l’univers de Laura Kasischke.

  • Mon opinion

★★★★☆

___A vingt ans, Marilyn a déjà l’ambition chevillée au corps et aspire à des idéaux plus grands que ceux de sa mère. Nous sommes alors en plein coeur des années 50 et la jeune femme, élevée dans le respect des valeurs traditionnelles de la société américaine, entend bien contrarier les projets que sa mère nourrissait à son égard. Il faut dire que sa conception de l’épanouissement personnel est aux antipodes des siennes. Et l’image de la femme d’intérieur modèle doublée de l’épouse dévouée n’est définitivement pas à la hauteur des aspirations de l’étudiante. Ses plans de carrière sont déjà minutieusement échafaudés : attraper au vol l’ascenseur social et faire exploser le plafond de verre afin de devenir médecin – une profession qui reste à cette époque l’apanage des hommes. C’était sans compter sur sa rencontre avec James Lee, son jeune professeur, à peine plus âgé qu’elle et fraîchement diplômé. Quelques mois après le début de leur liaison, l’arrivée inopinée d’un premier bébé mettra en effet un brutal coup d’arrêt aux ambitions professionnelles de la jeune femme. Un deuxième enfant plus tard, celle qui a toujours refusé d’incarner l’image d’Épinal de la parfaite épouse et mère au foyer réalise peu à peu – non sans effroi – qu’elle est bel et bien devenue ce a quoi elle avait toujours voulu échappé…

Alors que Marilyn lutte contre ses regrets, James, de son côté, tente désespérément de trouver sa place dans la société. Se fondre dans le moule, mener une existence sans remous ni orage… telles sont les modestes aspirations de ce fils d’immigré chinois si désireux de correspondre au stéréotype américain, au risque parfois d’en frôler la caricature.

___Hantés par des désillusions personnelles et des opportunités manquées dont ils ne parviennent pas à faire le deuil, les parents de Lydia ont donc finalement reporté leurs espoirs sur les frêles épaules de leur fille. A seize ans, celle qui cristallise tous les rêves déçus de ses parents, se voit ainsi confier la lourde mission de réussir là où tous deux ont échoué. Fruit d’un mariage mixte entre une américaine et un père d’origine chinoise issu de l’immigration, l’adolescente a la délicate tâche de réparer les frustrations et les rêves brisés de ses parents. Dépositaire malgré elle de leurs rêves inassouvis et de leurs ambitions avortées, la jeune fille peine à assumer son statut d’enfant prodige. Véritable centre de gravité de la maisonnée, elle est celle qui concentre malgré elle toutes les attentions, pendant que son frère et sa soeur essaient eux aussi de vivre – à défaut d’exister – dans son ombre.

« Et Hannah ? Ils avaient installé sa chambre dans le grenier, où l’on conservait les choses dont on ne voulait pas, et même à mesure qu’elle grandissait, chacun d’entre eux oubliait, de façon fugace, qu’elle existait. »

Tandis que Marilyn imagine déjà sa fille prix Nobel de médecine, James, qui toute sa vie a subi les moqueries du fait de ses origines, rêve quant à lui de voir Lydia briller en société. Tiraillée entre les aspirations d’émancipation de sa mère et le désir d’intégration de son père, la jeune fille lutte pour ne pas sombrer. Dans ce combat permanent contre la pression sociale et familiale, Lydia pourra néanmoins longtemps compter sur le soutien admirable de son frère. Allié précieux, il est aussi avec Hannah (la benjamine) la victime collatérale de cette famille dysfonctionnelle qui achèvera de se disloquer avec la disparition de Lydia dans des circonstances troubles.

___Davantage qu’un thriller, c’est donc avant tout un remarquable roman psychologique que nous livre Celeste Ng. Un portrait au vitriol au cours duquel la romancière déterre soigneusement les secrets de chacun de ses personnages, décortique des rapports familiaux complexes, explore les consciences et lève progressivement le voile sur les non-dits. Sous le vernis des apparences, elle nous montre sans détour les rancoeurs qui gangrènent l’unité familiale, ainsi que les souffrances et les petites frustrations qui empoisonnent le quotidien. Décrivant avec une exceptionnelle justesse le malaise adolescent, elle en analyse les causes et démontre comment l’héritage familial peut parfois lourdement peser sur nos vies et les choix que nous faisons.

___Prise dans les rouages incontrôlables de cette machine à broyer les enfants et lentement phagocytée par les espoirs immenses que ses parents fondent en elle, Lydia devient sous nos yeux la victime d’une tragédie annoncée. Méticuleusement, Celeste Ng retrace le parcours de cette cellule familiale au bord de l’implosion, jusqu’à l’issue fatale et inéluctable. En filigrane de ce drame dont elle déroule le fil, c’est également un portrait féroce de l’Amérique qui se dessine : le racisme ordinaire, l’échec du modèle du melting-pot, le culte de l’individualisme, les revers du mythe de l’american way of life... Durant quelques 270 pages, le lecteur évolue dans ce microscome étouffant qui concentre toutes les obsessions et les angoisses de la société américaine. Un drame familial puissant et d’une grande subtilité, à découvrir absolument !

Merci à Babelio et aux éditions Sonatine pour cette belle révélation !

  • Extrait
« Marilyn ne serait pas comme sa mère, à pousser sa fille vers un foyer et un mari, vers une vie bien rangée entre quatre murs. Elle aiderait Lydia à faire tout ce dont elle serait capable. Elle consacrerait le restant de ses jours à la guider, à la protéger, comme on s’occupait d’un rosier de concours : l’aidant à grandir, le soutenant avec des tuteurs, courbant chaque tige pour qu’il soit parfait. »

« Le cercle des plumes assassines » de J. J. Murphy

Quatrième de couverture

Dorothy Parker fut l’une des femmes les plus drôles de l’Amérique. Critique, poète, scénariste, elle fut un pilier de la célèbre Table Ronde de l’hôtel Algonquin, où déjeunaient ensemble les plus fins esprits de New York. Dans ce roman qui nous fait revivre les folles années 20, elle devient malgré elle l’héroïne intrépide d’une enquête criminelle. Un matin, Dorothy découvre sous leur table habituelle un inconnu poignardé en plein coeur. Pour compliquer l’affaire, un jeune outsider, venu du Sud, un certain William («Billy») Faulkner, qui rêve de devenir écrivain, va se trouver mêlé à l’histoire. Il est le seul à avoir eu un furtif aperçu du tueur… Mené à un rythme endiablé, ce roman qui allie suspense et humour nous plonge dans l’ambiance de Manhattan à l’époque de la Prohibition. On y croise gangsters notoires, stars de cinéma, légendes littéraires, des personnes réelles côtoyant des êtres de fiction. Jeux de mots, propos acidulés, insultes à peine voilées : les répliques fusent comme des tirs de mitraillette, le tout dans une joyeuse anarchie. J.J. Murphy, admirateur de longue date de Dorothy Parker, a lancé avec ce premier roman une série autour du «cercle vicieux» de l’hôtel Algonquin. Ce roman et le troisième de la série ont été nominés pour le prestigieux prix du polar «Agatha».
  • Mon opinion

★★★★★

Dorothy Parker

Dans ce premier volet d’une série mettant en scène la critique, poétesse et scénariste Dorothy Parker, J. J. Murphy plante le décor de son roman au coeur de l’Hôtel Algonquin (point de ralliement emblématique du « cercle vicieux ») devenu brutalement le théâtre d’un crime impliquant dès lors inéluctablement ses membres. A partir de cette idée originale, l’auteur signe un roman plein de verve et gonflé d’humour qui inaugure avec brio une série pleine de promesse !

___Après avoir fait ses premières armes à Vogue, la jeune journaliste Dorothy Parker se voit confier, à l’âge de 25 ans, la chronique théâtrale de Vanity Fair, Dans les années 20, l’écrivain et chroniqueuse est au centre d’un groupe littéraire new-yorkais qui règne alors sur la vie intellectuelle et mondaine new-yorkaise. Composé d’auteurs, critiques et/ou journalistes, cette sorte d’institution intellectuelle et mondaine rassemble les esprits et plumes les plus acérées de l’époque. C’est à l’Hôtel Algonquin sur la 44e rue que la petite troupe a élu domicile. Six après-midi par semaine, ses membres ont ainsi l’habitude de se réunir autour de la Table Ronde. Célèbre pour l’humour corrosif des conversations qui s’y menaient, l’officieux « Cercle vicieux » (aussi appelé « la Table ronde de l’Algonquin ») exerce une certaine influence sur la société New-Yorkaise. Lors de ces réunions, Dottie peut ainsi éprouver son sens de l’humour caustique et venimeux qui constitue rapidement sa griffe et imprègne nombre de ses oeuvres.

Le jeune William Faulkner

___Mais un jour, alors qu’elle s’apprête à rejoindre ses camarades pour assister à l’une de leurs réunions quotidiennes, la journaliste fait une macabre découverte. Sous la Table Ronde, gît en effet le corps sans vie d’un homme poignardé en plein coeur. La victime n’est autre que Leland Mayflower, un critique de théâtre pour le Knickerbocker News. L’inspecteur Orang-outang O’Rannigan, chargé de l’affaire, ne tarde pas à passer en revue les hypothétiques mobiles (plus ou moins plausibles) ayant pu pousser chacun des membres à commettre le crime. Fraîchement débarqué du Mississippi, William Faulkner est rapidement suspecté du meurtre. Dorothy, qui vient tout juste de faire sa connaissance, ne tarde pas à le prendre le jeune auteur sous son aile et est déterminée à prouver son innocence. Epaulé par son vieil ami et collègue Benchley, Dorothy s’improvise donc enquêtrice, et les trois acolytes se lancent rapidement sur la piste du meurtrier (ou de son commanditaire). 

___S’appuyant sur une figure irrévérencieuse et emblématique du milieu littéraire des années folles, J. J. Murphy met ainsi en scène une galerie de personnages truculents et pleins de mordant, à la hauteur de leur réputation. Gravitant aux côtés de Dottie, on retrouve ainsi les autres piliers du cénacle de l’Algonquin parmi lesquels Robert Benchley, Robert Sherwood ou encore Alexander Woollcott. On se délecte des joutes verbales de ces esprits persifleurs et charismatiques qui portent efficacement cette intrigue désopilante de bout en bout ! Se montrant drôles et spirituels (même dans les circonstances les plus tendues ou les situations les plus ridicules), Dottie et Benchley forment un tandem irrésistible et attachant dont on suit les péripéties avec délectation et que l’on quitte à regrets.

___Mais que les lecteurs qui ne connaissent ni Dorothy Parker ni son “cercle vicieux” se rassurent : nul besoin d’avoir lu un de ses ouvrages pour apprécier cette enquête pleine de mordant ! J. J. Murphy s’attache en effet à rappeler les éléments contextuels indispensables permettant à tout un chacun de pleinement savourer ce condensé d’humour et d’esprit !

Le groupe du « cercle vicieux » (tirée du film « Mrs. Parker and the Vicious Circle » (1994))

___Le ton est d’ailleurs donné dès les premières pages où s’enchaînent très vite dialogues au cordeau, comique de répétition, réparties hilarantes et fignolées… L’auteur impulse ainsi rapidement une dynamique impeccable à cette enquête aussi haletante que rocambolesque. Le rythme très théâtral et les enchaînements d’atmosphères quasi cinématographiques ne laissent aucun répit au lecteur.

___La remarquable finesse des dialogues et la parfaite orchestration du récit témoignent en outre de l’irréprochable maîtrise de son sujet par l’auteur. Mâtiné d’anecdotes et dans une atmosphère parfaitement restituée, J. J. Murphy fait se croiser personnages réels et fictifs avec une incroyable aisance et enracine son enquête à une époque encore marquée par la guerre, au cours de laquelle s’esquisse un début de libération des mœurs.

___Avec ce premier volet, J. J. Murphy embrasse pleinement le parti-pris de la comédie à l’humour grinçant. Multipliant les réparties qui font mouche et grâce à un renouvellement permanent des ressorts comiques employés, l’auteur, toujours remarquablement inspiré, fait surgir des effets comiques d’une incroyable efficacité, y compris là où on ne les attend pas ! Entre véritable exercice de style et parodie littéraire, il se dégage de ce récit plein d’allant une énergie et une bonne humeur communicative !

___Dans le pur esprit des screwball comedy, le dénouement de ce polar décalé et réjouissant n’est donc pas le plus important, c’est davantage le chemin plein de détours imprévisibles et riche en surprises qui nous y conduit qui compte. L’intrigue policière sert donc ici davantage de prétexte pour épingler cette société du paraître et des faux-semblants dans laquelle gravite Dottie et où l’intérêt personnel prime sur le souci des autres. J. J. Murphy n’y va pas avec le dos de la plume pour égratigner non sans humour le microcosme mondain dans lequel évoluent ces personnages. Il se moque joyeusement de cette ambiance saturée d’hypocrisie et tourne en dérision un milieu aussi fermé que superficiel où le nombrilisme exacerbé côtoie la malhonnêteté intellectuelle. Sous le vernis des bonnes manières et de la comédie, il brosse ainsi des portraits au vitriol. On n’aurait définitivement pu imaginer plus bel hommage à une femme émancipée qui souhaita toute sa vie bousculer les mentalités de son temps.

___Il convient, pour conclure, de souligner le remarquable travail effectué par la traductrice Hélène Collon qui, au-delà du texte, s’est évertuée à restituer le plus fidèlement possible et avec une incroyable réussite les nombreux jeux de mots, subtilités grammaticales et orthographiques de l’oeuvre d’origine! Espérons maintenant que les éditions Baker Street traduisent rapidement la suite de cette série déjà pleine de charme et d’esprit !

Créatif, décapant et porté par des personnages croustillants, « Le cercle des plumes assassines » est un roman jubilatoire, s’inscrivant dans la pure tradition des screwball comedy dont il reprend avec brio les codes. J. J. Murphy enchaîne ainsi les dialogues au cordeau et les joutes verbales hilarantes avec une exceptionnelle maîtrise ! Mené selon un rythme quasi théâtral qui ne laisse aucun répit au lecteur, ce récit plein de verve oscillant entre roman policier et parodie littéraire se révèle aussi brillant que jubilatoire !

Multipliant les situations désopilantes et les traits d’esprit, ce premier opus trouve ainsi sa réussite non seulement dans les ressorts comiques à la fois inspirés et sans cesse renouvelés que dans sa galerie de personnages truculents et hauts en couleurs. C’est en outre une immersion saisissante dans le New York de l‘entre-deux guerres, marqué par la Prohibition, les Bootlegger et les speakeasies.

Egratignant au passage avec humour le microcosme mondain dans lequel gravitent ces personnages, J. J. Murphy signe un roman drôle et corrosif, à l’image de la femme sulfureuse et irrévérencieuse à laquelle il rend un très bel hommage.

Je remercie infiniment les éditions Baker Street pour ce savoureux moment de lecture ! 🙂

« Ashford Park » de Lauren Willig

 

 

 

 

 

 

Résumé

Juriste dans une grande entreprise new-yorkaise, Clementine a tout sacrifié à sa carrière. A trente-quatre ans, c’est seule qu’elle se rend à la fête d’anniversaire organisée pour les quatre-vingt-dix-neuf ans de sa grand-mère, Addie. Pendant les festivités, Clementine découvre un secret de famille enfoui depuis des années.Lorsqu’elle arrive à Ashford Park, en 1905, Addie a à peine cinq ans et est orpheline. Bien que son oncle et sa tante lui fassent comprendre qu’elle n’a été recueillie que par charité, elle passe une enfance et une adolescence heureuses auprès de sa cousine, la belle et audacieuse Bea. Quand la guerre éclate, leurs chemins se séparent. Addie s’engage comme infirmière tandis que Bea fait un mariage de convenance. Après un scandaleux divorce, cette dernière quitte Londres pour épouser le petit ami d’Addie, et s’enfuir avec lui au Kenya. Les deux cousines ne se parleront plus pendant quelques années jusqu’au jour où Bea supplie Addie de venir lui rendre visite en Afrique.Leurs retrouvailles sont de courte durée : Bea disparaît tragiquement lors d’un safari, ne laissant derrière elle qu’une écharpe ensanglantée. Que lui est-il arrivé ? A-t-elle été assassinée, attaquée par des fauves ? S’est-elle enfuie ? Si les retrouvailles avec sa cousine ne furent pas celles qu’Addie espérait, elles lui laissent entrevoir un tout autre avenir.

Mon opinion

★★

___Toute sa vie, la mère de Clemmie s’est efforcée d’inculquer à sa fille l’importance de la réussite professionnelle et de l’autonomie financière. Mais à trente-six ans et après avoir fait de nombreux sacrifices pour son travail, force est de constater que la vie personnelle de la jeune avocate est sens dessus dessous : entre des fiançailles fraîchement rompues, un patron tyrannique qui ne lui laisse pas une seconde de répit et une harmonie familiale plombée par les tensions ambiantes et des secrets latents, Clemmie désespère de voir le vent enfin tourner.

___Sa vie va pourtant soudainement basculer le jour de l’anniversaire de sa grand-mère, Addie. A quatre-vingt-dix-neuf ans, très affaiblie et rendue confuse par son nouveau traitement, la vieille femme semble ne pas reconnaître sa petite-fille qu’elle confond avec une dénommée « Bea ». Cet évènement va être l’élément déclencheur d’une prise de conscience pour Clemmie qui réalise avec effroi qu’elle ne connaît finalement que peu de choses concernant la vie de sa grand-mère. Avec l’aide de Jon, le fils par alliance de sa tante, Clemmie est bien décidée à trouver des réponses à ses questions, quitte pour ce faire, à déterrer des secrets de famille jusqu’alors soigneusement enfouis.

___En 1906, Addie, la grand-mère de Clemmie, n’a pas encore 6 ans quand, après avoir subitement perdu ses parents dans des circonstances tragiques, elle se retrouve orpheline et est confiée à son oncle et sa tante, lord et lady Ashford. En tant que fille du frère cadet du sixième comte, Addie est une parente pauvre. Une situation que ne manque pas de lui rappeler sa tante qui lui témoigne, dès leur première rencontre, une hostilité à peine dissimulée. La fillette se retrouve donc contrainte de quitter sa petite maison de Guilford Street ainsi que sa gouvernante, Mlle Ferncliffe, afin d’aller vivre à Ashford Park, un château de style néoclassique aux dimensions vertigineuses.

____Malgré les années qui passent, les relations entre Addie et sa tante ne s’améliorent pas et la fillette peine à trouver sa place au sein de la famille. Car à la différence des autres Gillecote, Addie doit sans relâche redoubler d’effort pour se faire pardonner d’être issue d’un père dévoyé et d’une mère roturière et romancière à scandale. « Elle était donc censée se montrer deux fois plus convenable, fournir deux fois plus d’efforts qu’elles, pour faire oublier ses origines. Les autres étaient des Gillecote de plein droit ; elle devait se donner du mal pour mériter son nom. ». Dans son malheur, Addie peut néanmoins compter sur l’affection de sa cousine, Béa qui ne tarde pas à la prendre sous son aile. Si chacune voit en l’autre la soeur idéale qu’elle a toujours rêvé d’avoir, les années passant et les évènements marquants se succédant ne tarderont pas à faire resurgir leurs différences et à mettre leur affection à l’épreuve.

___Parmi les bouleversements de ce début du XXème siècle, la première guerre mondiale marquera de sa trace indélébile l’ensemble des habitants d’Ashford Park et la société toute entière. Espoir, déni ou désenchantement, chacun des protagonistes appréhende la tragédie et ses conséquences à sa façon, à l’image de l’inflexible Lady Ashford, qui refuse obstinément de voir que la monde a changé : « Il faut dire que ces temps-ci elle s’horrifiait de tout, depuis que la guerre avait mis le monde sens dessus dessous, décimé toute une génération de prétendants potentiels, et assoupli les anciens codes sociaux et les règles morales. En ce qui concernait les autres, bien sûr. Mère avait fermement refusé de se plier à ces nouvelles moeurs. Corsetée comme la reine Mary, elle continuait à faire le tour des mêmes salons dans les mêmes maisons, faisant semblant de ne pas remarquer les vides laissés par les morts, le rouge à lèvres trop vifs, la nouvelle musique. Si elle décidait de l’ignorer, rien de tout cela n’existait. »

A l’inverse de sa mère, Bea a parfaitement conscience des bouleversements engendrés par la guerre. Au contraire d’Addie, dont les parents se sont mariés par amour et ont toujours vécu dans une insouciance bohème, elle appartient à un monde où l’amour n’a pas sa place dans les alliances entre grandes familles, et dans lequel « le mariage était un contrat, pas un roman ». Après avoir rêvé des années durant de faire son entrée dans le monde, la guerre a rompu le charme des illusions d’antan et Bea ne tarde pas à déchanter face à l’insipidité du milieu doré auquel elle appartient : « En proie à un indicible sentiment d’ennui, Bea parcourut la salle du regard. La saison des bals était largement entamée et elle avait l’impression que c’était toujours la même soirée qui se répétait sans fin : les mêmes gens, les mêmes vêtements, la même musique, les mêmes serpentins défraichis, les mêmes chaises dorées occupées par les mêmes douairières somnolentes.

C’était ce à quoi elle était destinée. Ce qu’elle avait attendu pendant toutes ces longues années, ces heures interminables dans la nursery, à Ashford. C’était censé être cela, la vie ! L’amour ! L’aventure ! Et qu’avait-elle en définitive ? Des glaces tièdes de chez Gunter, des filles en robe aux tons pastel fanés, et une salle de bal remplie d’hommes grisonnants de l’âge de son père et des garçons tout juste sortis de l’école, qu’on avait réquisitionné pour compléter l’assemblée. L’orchestre jouait une valse dénuée d’entrain. L’armistice avait été signée depuis huit mois, mais Londres ne s’était pas encore remis des épreuves de la guerre. ». Quant à Frederick, il a ramené de nombreux traumatismes des champs de bataille. Désillusionné, son pessimisme offre un contraste saisissant avec la nature ingénue et résolument idéaliste d’Addie. A travers les échanges de ces deux jeunes gens aux visions radicalement différentes, Lauren Willig nous offre d’ailleurs des dialogues brillant d’intelligence !

___A travers la vie d’Addie, de Bea et de leur entourage, l’auteure nous offre ainsi un portrait remarquable des bouleversements engendrés par la Première Guerre Mondiale et des répercussions sociétales qui en découlèrent. Désir de se libérer des contraintes sociales ou d’oublier les horreurs des champs de bataille, la jeunesse des années folles s’enivre de jazz et de plaisirs nocturnes. Une frénésie d’oubli et de fêtes s’empare de la population ; beaucoup tentant d’oublier l’amertume d’un passé de ruine et de deuil ainsi que les incertitudes quant à l’avenir à travers l’alcool ou la drogue.

___Mêlant habilement petites histoires à la grande Histoire, Lauren Willig démontre un talent de conteuse hors pair et un sens du dialogue affirmé. A travers les histoires croisées d’Addie et de Clemmie, l’auteure nous offre un voyage dans le temps et l’espace. De l’Angleterre aux Etats-Unis, en passant par le Kenya, l’immersion est toujours parfaitement réussie.

___Récits passé et présent s’articulent à la perfection, révélant peu à peu les moindres détails d’une intrigue captivante sur fond de non-dits et de secrets de famille, qui nous emporte de la première à la dernière page. Si je m’attendais à des révélations plus surprenantes et à des rebondissements moins attendus, j’ai en revanche été éblouie par le travail réalisé sur la psychologie des personnages ainsi que le soin apportée à l’écriture, riche en références littéraires. Lauren Willig émaille en effet son récit de multiples clins d’oeil à de nombreux auteurs (allant de Frances Burnett à Evelyn Waugh, en passant par Jane Eyre de Charlotte Brontë), témoignant de l’amour indéniable de l’auteure pour la littérature anglaise. Certaines scènes dans la nursery avec les deux cousines enfants ne sont d’ailleurs pas sans rappeler les romans de Frances Hodgson Burnett tant l’influence exercée par la romancière anglaise est palpable ! Autant de références subtilement distillées qui confèrent au roman de Lauren Willig une atmosphère unique et un véritable charme.

Oscillant habilement entre passé et présent, « Ashford Park », premier roman de Lauren Willig traduit en français, convie le lecteur dans l’’intimité d’une famille à l’histoire jonchée de secrets, au décours d’une intrigue le faisant voyager de l’Angleterre du début du XXème siècle aux Etats-Unis d’aujourd’hui en passant par le Kenya. Avec un sens du dialogue affirmé et un talent de conteuse hors pair, Lauren Willig nous dévoile les blessures enfouies de ses personnages avec une remarquable justesse psychologique et une pudeur constante.

Prenant soin d’inscrire son récit dans l’Histoire avec un grand H, elle montre les bouleversements sociaux engendrés par la grande Guerre et les traumatismes physiques et psychologiques qu’elle a entraînés.

Si on peut regretter la prévisibilité de la plupart des révélations et des rebondissements mis en scène par l’auteure, cet écueil scénaristique est cependant rapidement pardonné au vu de l’écriture maîtrisée et riche en références littéraires qui articule avec brio récits passé et présent.

Une superbe découverte qui me donne très envie de découvrir le reste de la bibliographie de cette auteure au succès décidément mérité. Il va sans dire que j’espère sincèrement voir prochainement d’autres romans de Lauren Willig enfin traduits en français.

Je remercie chaleureusement les éditions Presses de la Cité pour cette belle découverte et salue leur initiative de nous offrir enfin avec « Ashford Park » une traduction d’un des romans de Lauren Willig !

« Rien n’est trop beau » de Rona Jaffe

 

 

 

 

 

 

Résumé

___Lorsqu’il fut publié en 1958, Rien n’est trop beau provoqua l’engouement de millions de lectrices américaines. Elles s’identifièrent à ces jeunes secrétaires venues d’horizons différents, employées dans une grande maison d’édition new-yorkaise, dont les rêves et les doutes reflétaient ceux de toute une génération de femmes. Si la ville semble leur offrir d’infinies possibilités professionnelles et amoureuses, chacune – l’ambitieuse, la naïve, la divorcée…- doit se battre avec ses armes pour se faire une place dans un monde d’hommes.

L’auteure

__Rona Jaffe (1931 – 2005) est une romancière américaine, ayant écrit de nombreuses œuvres de 1958 à 2003, ainsi que des pièces pour le magazine culturel Cosmopolitan.

___Elle a grandi dans une famille aisée de l’Upper East Side à New-York et est décédée en 2005, d’un cancer, à l’âge de 74 ans.

Mon opinion

★★

Dans son avant-propos, Rona Joffe qualifie son livre de « document sociologique ». Elle promeut un récit issu de sa propre expérience et de celle de ses amies qui se veut être une peinture réaliste de la condition féminine de l’époque. En ce qui me concerne, je trouve que le portrait brossé par l’auteure est loin d’être un plaidoyer en l’honneur de la femme.

___« Rien n’est trop beau » nous entraîne dans le New York des années 50, au coeur de l’intimité de quatre jeunes femmes, ayant tout juste une vingtaine d’années.

  • Parmi elles, Caroline, qui tente de fuir les démons du passé après que son fiancé l’ait abandonnée pour une jeune héritière de Dallas. Meurtrie d’avoir vu ses rêves de mariage et tous ses projets ainsi s’effondrer, la jeune femme espère trouver dans ce nouvel emploi un exutoire à ses angoisses et s’y accroche comme à une bouée de sauvetage. Ambitieuse, elle s’investit bien plus que ses collègues dans son travail et rêve désormais de gravir les échelons pour briguer un poste d’éditrice. Plus terre à terre, déterminée et clairvoyante que ses amies, elle est incontestablement le personnage qui m’a le plus touchée une grande partie du livre.
  • Débarquant tout juste de province, April Morrisson est incontestablement la plus naïve de toutes. Grande idéaliste romantique, elle rêve du prince charmant. Mais dans une société régie par les apparences et le poids des conventions, ses idéaux et son besoin d’amour intarissable vont se heurter à la réalité.
  • Vient ensuite Barbara qui, du haut de ses 20 printemps est déjà une mère célibataire divorcée tentant tant bien que mal de joindre les deux bouts. Comme les autres, elle rêve de trouver l’homme de sa vie mais est pleinement consciente que son statut de mère célibataire est loin de jouer en sa faveur. Persuadée qu’elle ne trouvera jamais un homme capable de l’accepter en tant que telle, elle se tient sans cesse sur ses gardes au risque de laisser passer sa chance.
  • On trouve également Gregg qui aspire à devenir une actrice reconnue. Sous ses airs de femme libre et décomplexée, elle est finalement peut-être la plus fragile du groupe. Comme April, elle souffre d’un criant besoin d’amour qui va la conduire à un comportement autodestructeur.
  • Un peu à l’écart, il y a enfin Mary Agnes qu’on ne connaît qu’à travers le prisme des autres personnages pour lesquels elle incarne une forme d’idéal et de perfection. Elle a la vie que toutes rêveraient d’avoir : lisse, ordonnée, sans imprévu, planifié à la minute près (des préparatifs du mariage à l’arrivée du bébé). A la différence des autres personnages, Rona Jaffe ne fait pas entrer le lecteur dans l’intimité de Mary Agnes. Jusqu’au bout, on peut donc se poser la question : la vie de Mary Agnes est-elle vraiment idéale ? Ou en est-il autrement si on gratte le vernis ?

___Si dans les premiers chapitres, nous plongeons avec délice dans le quotidien de ces femmes apparemment très différentes les unes des autres, une fois passé l’enthousiasme de la découverte, le lecteur se retrouve rapidement confronté aux codes archaïques de la société patriarcale de l’époque. Dans ce New-York des années 50, les jeunes femmes n’aspirent toutes qu’à un même rêve : le Mariage. Dans ces conditions, leur travail de dactylo n’est qu’un levier leur permettant d’atteindre cet objectif. A leurs yeux, l’épanouissement se résume à une vie bien rangée de femme au foyer accomplie et de mère de famille épanouie, à l’image de celles représentées sur les affiches publicitaires. Une conception de l’épanouissement personnel que je suis loin de partager et qui vire pour toutes ces jeunes femmes à la véritable obsession.

___Les portraits masculins n’échappent pas eux non plus à la caricature. A de très rares exceptions près, les hommes sont présentés comme des êtres égoïstes et allergiques à toute forme d’engagement quand ce ne sont pas des ivrognes qui n’hésitent pas à harceler sexuellement leurs employées.

___C’est donc un tableau affligeant que nous offre l’auteure d’une société où la femme est réduite à une « pauvre jolie petite chose idiote, docile et fragile » écrasée par le poids des conventions et d’une soumission sans faille. Si je ne remets en doute ni le fondement réel de cette vision désuète du rôle de la femme ni celui du poids des moeurs de la société de l’époque, je déplore en revanche le choix de l’auteure d’avoir mis en scène des personnages d’une superficialité affligeante. Je peine à croire que les différents portraits élaborés par l’auteure soient représentatifs des femmes de l’époque (ou alors, la femme ne se serait jamais émancipée !). Si elles sont toutes issues de milieu différents, leurs rêves, leurs idéaux et leurs réactions sont sensiblement identiques.

___Je ne saurais dire si cette caricature est un choix délibéré de l’auteure qui exagère intentionnellement le trait pour mieux dénoncer la condition féminine de l’époque. Pensait-elle réellement que les femmes étaient de simples victimes de la société patriarcale de l’époque ? ou bien a-t-elle voulu à travers le portrait de ces véritables potiches renvoyer les femmes à leurs propres parts de responsabilité vis à vis d’un destin qu’elles se montraient incapables de prendre en main ? Dans tous les cas et quelles que soient les desseins nourris par l’auteure, le procédé ne m’a pas convaincue. J’aurais de loin préféré que Rona Jaffe mette en avant des femmes combattives et avec du plomb dans la cervelle plutôt que de les positionner sans cesse en victime et sans le moindre désir d’émancipation. Leur manque de lucidité et leur inertie face aux évènements ont fini par m’agacer. Même le personnage de Catherine qui semblait pourtant tirer son épingle du jeu et faire preuve de davantage de sens critique depuis le début du récit, se verra rattraper par les fantômes du passé pour tomber finalement dans le même piège que ses collègues. Un changement de caractère pour le moins déconcertant (pour ne pas dire consternant) et une occasion manquée pour l’auteure qui aurait pu nous offrir

___Ces personnages sans charisme peinent à porter une intrigue elle-même bien plate et sans grand intérêt. Puisqu’à l’image des seules préoccupations des différents protagonistes, le scénario de « Rien n’est trop beau » se concentre sur les déboires sentimentaux des jeunes « héroïnes » qui enchaînent les désillusions amoureuses. Aveuglées par l’amour et se berçant d’illusions, elles s’engagent en effet dans des histoires d’amour destructrices et vouées à l’échec selon un schéma souvent répétitif. Elles ne semblent tirer aucune leçon du passé et réitèrent inlassablement les mêmes erreurs tout en s’apitoyant sur leur sort, les rendant à la longue antipathiques. C’est ainsi un sentiment d’indifférence qui a dominé durant ma lecture face à ces personnages passifs et incapables de prendre leur destin en main.

___Si sur le fond, mon avis semble impitoyable, sur la forme, je serai en revanche beaucoup moins sévère. Car en dépit de tout ce que je peux reprocher à « Rien n’est trop beau », il faut reconnaître que l’écriture de Rona Jaffe à défaut d’être novatrice se révèle pour le moins efficace. Malgré une intrigue qui ne brille pas par sa profondeur, l’auteure parvient à capter notre intérêt de bout en bout et les pages se tournent à une vitesse folle. Je reconnais ainsi qu’à défaut d’avoir lu une intrigue captivante et qui restera gravée dans ma mémoire, Rona Jaffe aura au moins eu le mérite de m’offrir un moment de lecture plutôt agréable.

En Bref

___On aime : Le style sans être novateur ou particulièrement brillant se révèle néanmoins indéniablement efficace. On avale sans mal les près de 700 pages qui composent le récit, en dépit d’une intrigue qui se révèle au fil des chapitres manquant cruellement de profondeur. En outre, j’ai beaucoup apprécié le personnage de Caroline dont les priorités et la lucidité la démarquaient de ses autres comparses, terriblement fades en comparaison (à l’exception peut-être de Barbara, dont l’histoire m’a touchée). Je regrette cependant son changement de comportement (incompréhensible) dans la dernière partie du récit.

___On regrette : Des personnages superficiels, obnubilées par leur quête du Grand Amour, au point d’en perdre la tête, qui desservent une intrigue finalement bien légère. J’ai souvent été agacée par le comportement de ces jeunes femmes aux préoccupations et aux rêves étriqués. Loin d’être un plaidoyer en l’honneur de la femme ou d’un roman féministe, « Rien n’est trop beau » aura été un bon moment de lecture, sans plus.

« Double jeu » de Judy Blundell

 

 

 

 

 

 

Mon résumé

La famille Corrigan est d’origine irlandaise et a toujours vécu dans la précarité. Maguie, la mère de Kit, est morte en couches dix-sept ans plus tôt alors qu’elle donnait naissance à des triplés (Kit, Jamie et Maguie). Depuis, c’est leur père qui s’occupe d’eux, du moins qui essaie tant bien que mal, car on comprend rapidement que cet homme n’est plus que l’ombre de lui-même depuis la mort de son épouse. Longtemps, il a pu compter sur le soutien de sa soeur, Delia, mais cette dernière a quitté la maison quelques temps plus tôt à la suite d’une violente dispute et n’est plus jamais revenue. La vie est difficile pour Kit et sa famille. Les 3 enfants Corrigan doivent travailler afin de permettre au foyer de vivre.

___C’est ainsi qu’à 17 ans, Kit travaille dans un cabaret. Passionnée par la scène depuis son plus jeune âge, elle se raccroche à son rêve de célébrité. Kit a un petit ami prénommé Billy dont elle s’est récemment séparée, et qui n’est autre que le fils de Nate Benedict, un avocat au bras long, réputé pour tremper dans des affaires assez louches.

___Les relations entre Nate et son fils sont houleuses depuis quelques temps. Le jeune homme voit d’un mauvais oeil les affaires dans lesquelles baigne son père et il fait tout son possible pour ne pas suivre le même chemin.

___Nate a conscience de la situation, et afin de renouer avec Billy, il décide d’offrir à Kit un appartement au coeur de Manhattan avec en prime un coup de pouce pour lui permettre d’intégrer un prestigieux cabaret. En contrepartie il veut que Kit reconsidère l’idée de se remettre en couple avec Billy et que tous les deux concrétisent le rêve qu’ils chérissent depuis quelques temps en s’installant ensemble dans cet appartement. En effet, Billy, en conflit avec son père, a décidé de s’engager dans l’armée (c’est alors la guerre de Corée) et Nate pense que Kit est la seule personne susceptible d’avoir une réelle influence sur son fils. Il espère qu’en persuadant ainsi Billy de vivre avec elle, Kit permettra indirectement à Nate de rétablir un lien avec son fils.

___Bien que Kit soit réticente à l’offre de Nate, elle est également consciente qu’à travers cet appartement en plein coeur de Manhattan, c’est une opportunité unique qui se présente à elle. Qui plus est, après avoir quitté sa petite ville de Providence dans l’espoir de se bâtir une carrière à New York, ses ressources financières sont plus que limitées et ses relations avec sa logeuse de plus en plus tendues. On comprend également rapidement que Kit a une dette envers ce mystérieux Nate Benedict, autant de raisons qui poussent la jeune fille à accepter le marché.

L’auteure

__Judy Blundell a écrit plusieurs romans pour enfants, adolescents et adultes sous différents pseudonymes.

___Elle est notamment connue sous le nom de Jude Watson par les fans des romans dérivés de La Guerre des étoiles (elle est l’auteur des séries à succès des Apprentis Jedi et du Dernier Jedi.) et a également écrit de nombreuses novélisations de films.

___C’est en 2008 et avec « Ce que j’ai vu et pourquoi j’ai menti » (What I Saw and How I Lied), qu’elle signe pour la première fois sous son véritable nom. Ce livre a aussi été son premier vrai roman et a obtenu, l’année de sa publication, le National Book Award.

___Judy Blundell vit à Katonah, dans l’État de New York, avec sa fille et son mari, Neil Watson, directeur du Katonah Art Museum.

 

Mon opinion

★★★★★

« Double jeu » nous transporte au coeur des Etats-Unis dans les années 50 où le lecteur est amené à suivre une véritable saga familiale, sur fond de musique jazz et en présence de personnages hauts en couleurs.

___L’histoire débute donc sur un accord, entre Kit et le père de son ex petit ami. Comme évoqué dans le résumé, le lecteur comprend rapidement qu’une des raisons qui poussent Kit à accepter la proposition de Nate Benedict est une « dette » qu’elle aurait contractée envers lui mais dont on ne connaît pas la nature exacte avant la deuxième partie du roman. Je dois admettre que j’appréhendais d’ailleurs de connaître les origines exactes de cet engagement. Je craignais qu’en réalité la dette dont il était question ne s’avère fondée sur rien qui ne la justifie concrètement, faisant ainsi s’écrouler une partie de l’intrigue qui aurait perdu en crédibilité. Heureusement, je dois dire que l’auteure s’est révélée à la hauteur de ses promesses de ce point de vue.

___Une des clés du succès de l’intrigue, ce sont les personnages qui la portent. Tous se révèlent forts en caractère, et beaucoup ont leur part d’ombre et leurs souffrances que nous découvrons à mesure que l’intrigue se dévoile.

___Les triplés Corrigan sont tous attachants à leur façon. Il y a Jamie, le frère dévoué et Maguie dont le caractère prude compense les ardeurs de la jeune Kit, personnage central de l’intrigue. Malgré une enfance difficile on sent qu’il y a beaucoup d’amour dans cette fratrie.

___Le personnage de Kit m’a aussi beaucoup plu. Elle apparaît comme une jeune fille écorchée par la vie et qui a grandi avec le sentiment d’être responsable de la mort de sa mère. Dans l’ensemble, j’ai trouvé ses réactions cohérentes. Et même si on en vient parfois à se demander comment elle a pu se mettre dans un tel pétrin, c’est souvent à ce moment-là qu’une révélation de l’auteure nous permet de comprendre pourquoi l’héroïne a agi de la sorte.

___J’ai également beaucoup apprécié Billy et à mesure que l’intrigue se dévoile, on se rend compte à quel point ils se ressemblent avec Kit. On découvre peu à peu que, comme elle, Billy vit avec le poids de la culpabilité liée à un drame qui a bouleversé son existence. Et si au début j’ai eu un peu de mal à cautionner la véritable haine que le jeune homme semblait vouer à son père, les révélations de l’auteure permettent au final de mieux saisir les origines de la violence de ses sentiments.

___Parmi les personnages importants, on fait également la connaissance du jeune Hank, un adolescent de l’âge de Kit et qui vit avec sa famille dans le même immeuble qu’elle à New York. Il va se révéler être un ami loyal pour Kit, et contrairement à ce que j’ai pu craindre une bonne partie du roman, l’auteure nous épargne le récurrent trio amoureux avec une Kit aux abois, contrainte de choisir entre Billy et Hank (bien qu’on comprenne que Hank semble très attaché à la jeune fille).

___Le seul « regret » que je peux avoir concerne les personnages de Nate Benedictet du père de Kit. On comprend que tous deux ont un passé commun et qu’ils ont eu un certain rôle à l’époque de la prohibition. Je regrette que cet aspect de l’intrigue ne soit pas encore plus développé. J’aurais aimé en apprendre davantage sur cette période de leur vie comme sur les affaires douteuses dans lesquelles Nate Bendict est impliqué. Je regrette que l’auteure n’ait pas davantage insisté sur l’aspect « gangster » du personnage le rendant plus inquiétant.

___L’autre point fort de « Double jeu », c’est son intrigue, qui prend la forme d’une mini saga familiale sous fond de secrets de famille et de révélations.

___Sur le fond, Judy Blundell nous offre en effet une intrigue de qualité, relevée par des références historiques qui sans être trop pesantes donnent une certaine profondeur à l’histoire. J’ai été très agréablement surprise par la maturité de l’intrigue(surtout pour un roman YA). Il faut croire que j’ai beaucoup d’a priori, mais jusqu’au bout j’ai eu peur que « Double jeu » ne repose pas sur un socle suffisamment solide pour que l’intrigue ne parvienne à réellement me convaincre. Les indices étant dévoilés au compte-goutte, le lecteur ignore longtemps quel chemin va prendre l’histoire. Jusqu’au bout, j’ai ainsi été dans l’incapacité d’imaginer comment tout allait se terminer. En effet, à mesure que les chapitres avancent, les révélations s’enchaînent, offrant de nouvelles perspectives à une histoire qui ne cesse de gagner en intensité et en intérêt. J’appréhendais donc de plus en plus le moindre faux pas de l’auteure susceptible de gâcher une intrigue qui se révélait pleine de qualité. Certains liens insoupçonnés entre les personnages se dévoilentpeu à peu donnant un réel tournant au récit et surtout, l’auteure nous offre de vrais rebondissements qui n’épargnent pas les personnages et que je n’aurais jamais soupçonnés. Sans vraiment verser ma larme, je dois reconnaître que j’ai été sacrément chamboulée par certains retournements de situation.

L’intrigue atteignant alors son point culminant, ma crainte ultime était que Judy Blundell ne gâche tout avec une fin qui ne soit pas à la hauteur du reste de l’intrigue. A mesure que les dernières pages approchaient, j’avais de plus en plus de mal à imaginer comment l’auteure allait parvenir à boucler l’histoire sans la bâcler. Mais contre toute attente, même le final ne m’a pas déçue. Après un léger temps de flottement, l’auteure termine par un rebondissement qui permet de clôturer à la perfection l’histoire.

___Au niveau de la forme, le texte alterne des chapitres concernant la vie de Kit au moment où se déroule l’intrigue avec des moments de sa vie avant son débarquement à New York. Si ce procédé de narration peut sembler déroutant, il est finalement bien maîtrisé par l’auteure et le lecteur ne se perd jamais en route. Cela permet en outre à Judy Blundell de dévoiler peu à peu les véritables enjeux de son intrigue et de créer une tension croissante à mesure que l’on découvre certains éléments relatifs aux évènements passés. L’auteure, en ne dévoilant ni trop d’éléments susceptibles d’aiguiller de façon précipité le lecteur, ni pas assez pour que l’intrigue piétine trop longtemps, pique la curiosité du lecteur qui se retrouve en présence de nombreux indices sans parvenir à trouver de véritable fil conducteur jusque dans les derniers chapitres. Il faut donc prendre notre mal en patience et attendre que Judy Blundell rassemble les différentes pièces du puzzle et nous livre enfin les clés d’une histoire qui s’avère finalement très bien ficelée.

___Le choix de l’auteure de situer son action dans les années 50 ajoute en intensité à cette intrigue. L’univers jazzy, l’ambiance cabaret et le personnage de Nate Benedict, cet italien aux allures de gangster, confèrent encore un peu plus de mystère et de noirceur à l’histoire.

___Pourtant, force est de constater que ce choix ne pas paru immédiatement pertinent. En effet, j’ai d’abord eu quelques réserves, surtout au milieu du récit où l’histoire semble piétiner sans qu’une véritable intrigue ne se dessine et où j’ai alors commencé à craindre que le cadre des années 50 constitue finalement à lui seul tout le sujet du livre. Heureusement, c’est pile à ce moment que Judy Blundell fait quelques révélations qui insufflent un nouveau rythme à l’histoire et peu à peu, de nouvelles perspectives apparaissent. L’intrigue commence alors à prendre en relief et à gagner en intérêt. Ainsi, contrairement à ce qu’on peut craindre au premier abord, le choix des années 50 ne figure pas uniquement comme un prétexte ou un simple argument de vente, mais au contraire j’ai trouvé qu’il s’accordait parfaitement au fond et mettait véritablement l’intrigue en valeur.

« Double jeu » est donc une très, très belle surprise réunissant tout ce que j’aime (ambiance jazzy, secrets familiaux, révélations et rebondissements…) sous la forme d’une intrigue mature et portée par des personnages charismatiques. Judy Blundell parvient à éviter avec brio les clichés du genre YA et ses efforts de documentation et de recherches sur les années 50 sont louables. J’aurais peut-être aimé une intrigue encore plus sombre avec un aspect « gangster » plus développé mais dans l’ensemble l’auteure a largement comblé mes attentes ! C’est presque un coup de coeur !

En Bref

___On aime : Une intrigue mature et de qualité, riche en rebondissements et en révélations. Judy Blundell nous épargne les clichés du genre YA et parvient à tenir en haleine son lecteur jusqu’au bout. Les efforts de documentation se ressentent et l’auteure a su habilement utiliser le contexte des années 50 afin de donner encore plus de profondeur à l’histoire.

___On regrette : un début un peu lent avec une intrigue qui peine à se mettre en place mais qui ne m’a pas gêné outre mesure (je me suis régalée à vivre aux côté de Kit dans ce NY des années 50 !). Le côté « gangster » aurait mérité d’être plus développé et j’aurais aimé que l’auteure fournisse plus de détails sur le passé du père de Kit et de Nate Benedict… mais bon, honnêtement, c’est vraiment pour trouver des défauts hein !