« Elisabeth Ire » de Vincent Delmas, Christophe Regnault, Andrea Meloni et Michel Duchein

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Quatrième de couverture

Fille du roi Henri VIII, Elisabeth Tudor accède au trône d’Angleterre au cœur de nombreux remous politiques. En rivalité avec sa demi-sœur Marie Tudor, elle est celle qui parviendra finalement à restituer la stabilité du royaume sous l’autorité royale, coupant les liens avec le Pape en créant l’Église protestante d’Angleterre. Elle est également celle qui parviendra à imposer sa féminité dans un monde d’hommes. Éternelle vierge, elle ne se mariera jamais et verra la lignée Tudor s’éteindre avec elle.

Découvrez le destin de l’une des figures les plus célèbres de l’histoire d’Angleterre. Celle dont le règne, associé à l’épanouissement du théâtre anglais – représenté par William Shakespeare et Christopher Marlowe – et aux prouesses maritimes d’aventuriers comme Francis Drake, signe l’apogée de la Renaissance anglaise.

  • Mon opinion

★★★★★

___Pour quiconque témoigne d’un intérêt marqué pour la dynastie Tudor ou pour Elisabeth Ire, le nom de Michel Duchein sonne comme une référence sur le sujet. L’historien, auteur de nombreux ouvrages consacrés à divers souverains britanniques, fait figure d’autorité en la matière. De fait, retrouver ainsi le nom de ce spécialiste parmi les auteurs ayant participé à la réalisation de cette BD ne pouvait que me conforter dans l’idée de me la procurer.  S’inscrivant dans la collection « Ils ont fait l’Histoire » de Glénat, cette biographie, réalisée en collaboration avec les éditions Fayard, revient sur le règne de l’un des plus grands monarques de l’Histoire.

___Fruit des amours tumultueuses d’Henri VIII et d’Anne Boleyn (que ce dernier fera exécuter), Elisabeth est passée par les affres de bien des tourments avant de monter sur le trône. Couronnée reine le15 janvier 1559 en l’abbaye de Westminster, elle est la dernière Tudor à accéder au trône d’Angleterre. Son règne, qui s’étendra sur 45 ans, débute sur fond de nombreux remous politiques et d’une grande instabilité religieuse. Marquée par de nombreuses manigances politiques, la rupture avec la papauté ou encore la création de l’Elise protestante d’Angleterre, l’ère élisabéthaine (1558-1603) marque également l’apogée de la Renaissance anglaise avec l’essor sans précédent des arts et de la culture. Le théâtre florissant sous la plume du dramaturge William Shakespeare en est d’ailleurs l’une des plus belles représentations !

___Si personne ne conteste le rôle majeur qu’Elisabeth Ière joua dans l’Histoire d’Angleterre, sa personnalité complexe et ambiguë lui valut autant d’admirateurs que de détracteurs. Portée aux nues par certains, conspuée par d’autres, celle que l’on surnomme « la reine vierge » cultive aussi bien le mystère que les paradoxes. Colérique, versatile, austère, calculatrice… Elisabeth est de fait parfois présentée comme une souveraine aigrie, indécise et antipathique. Pourtant, ce n’est qu’à l’aune de son histoire personnelle et du contexte trouble de son époque qu’il convient d’appréhender la personnalité et les réactions de cette femme à la destinée exceptionnelle. Refusant tout parti-pris ou portrait à charge, Vincent Delmas, Michel Duchein, Christophe Regnault et Andrea Meloni parviennent avec cette biographie sérieuse et visuellement époustouflante, à restituer toute la complexité de cette reine hors du commun et à en dresser un portrait psychologique remarquable de nuances au vu d’un format si condensé.

Vivant sous la menace permanente d’une trahison ou d’un complot visant à la destituer, pressée par ses conseillers de se marier afin d’asseoir les intérêts de la couronne d’Angleterre et d’assurer sa succession, on comprend mieux les sautes d’humeur de la souveraine face à ces attaques permanentes et répétées. A la lumière de tous ces éléments essentiels ici parfaitement restitués par les auteurs, Elisabeth Ire apparaît ainsi davantage comme une femme avisée, prudente et intelligente que comme une monarque narcissique, froide et calculatrice. Nul doute qu’il fallut en effet à la souveraine user de toute son intelligence et de sa force de caractère pour ne pas tomber dans les nombreux pièges de la cour ou autres complots ourdis par l’entourage de sa cousine catholique. Sachant se montrer fine tacticienne dès lors que les circonstances l’exigent, elle avance avec prudence en matière de questions religieuses et revendique une totale indépendance d’esprit.

Entre nécessité d’asseoir son autorité et indispensable devoir de compromis, cette évocation du règne d’Elisabeth met ainsi parfaitement en évidence le difficile exercice du pouvoir, a fortiori lorsqu’on est une femme. S’estimant mariée au royaume d’Angleterre, Elisabeth Ire forge sa légende sur son célibat. Dans ce monde d’hommes où se mêlent conflits d’intérêts personnels, politiques et jeux de dupes diplomatiques, elle entend conserver sa couronne et son pouvoir. Un règne sans partage aussi bien marqué par sa longévité que par les quelques personnalités récurrentes que compte son entourage. La reine s’est en effet très vite entourée d’un cercle restreint de proches conseillers qui lui restèrent toujours fidèles, parmi lesquels William Cecil, Walsingham… et l’incontournable Robert Dudley.

Au coeur de la narration, on retrouve ainsi évoquées la question lancinante du mariage, ses rapports ambigus avec Robert Dudley ou encore sa rivalité avec Marie Stuart. A ce sujet, il semble probable que celle qui revendiqua et affirma son indépendance à une époque patriarcale, nourrissait en catimini quelque jalousie envers sa cousine. Leur lutte sans merci mènera finalement Marie Stuart à l’échafaud et entraînera Elisabeth à un affrontement historique avec l’Espagne. Qualifiée d’invincible, l’armada espagnole sera pourtant finalement vaincue par l’armée anglaise ; permettant ainsi à la victorieuse Elisabeth d’entrer un peu plus dans la légende.

___Soucieux d’intégrer tous les événements marquants de son règne tout en devant composer avec un format court, les auteurs ont dû opérer quelques coupes dans la chronologie. Autant d’ellipses temporelles et de raccourcis qui pourront à n’en pas douter déstabiliser certains lecteurs. De fait, la multiplicité des enjeux politiques et religieux sous-tendus par le sujet semblent réserver davantage cet album à un public un minimum connaisseur, ou en tout cas déjà familiarisé avec le contexte et les protagonistes impliqués. Afin d’essayer de pallier à cette difficulté et de combler les éventuels chaînons manquants, le récit est complétée d’un dossier illustré de 7 pages, qui permet de revenir sur les évènements majeurs du règne d’Elisabeth tout en les remettant dans le contexte de l’époque.

Le dessin réaliste de Christophe Regnault et Andrea Meloni nous fait plonger de plain-pied dans le siècle élisabéthain, au coeur des jeux de pouvoir et des évènements majeurs qui marquèrent cette période et dont les auteurs nous livrent ici le récit palpitant. Avec cette biographie, ils nous offrent surtout un portrait nuancé et réaliste d’une reine emblématique et charismatique qui joua un rôle majeur dans l’histoire de l’Angleterre et devint un mythe de son vivant. Pour bâtir cet album, les auteurs se sont appuyés sur une solide documentation et de multiples sources, aussi bien à charge que partisanes, dans lesquelles ils ont dû entreprendre un tri rigoureux, afin de coller au mieux à la « vérité historique ». Format court oblige, on regrettera que l’album ne revienne pas sur l’enfance et les jeunes années d’Elisabeth. Mais quelles que soient les zones d’ombre et les incertitudes entourant sa vie privée ou son caractère, Elisabeth Ire n’en demeure pas moins une figure historique fascinante. Profondément dévouée à son peuple et à la cause de son pays, elle hissera son royaume au rang des plus grandes puissances de la Renaissance.

Je remercie infiniment les éditions Glénat pour cette belle découverte !

« La vierge & la putain » de Nicolas Juncker

Quatrième de couverture

Deux destins de femmes qui se répondent, comme à travers un miroir…

Elles sont cousines. Elles sont reines. Élisabeth Tudor est reine d’Angleterre. Marie Stuart, reine de France et d’Écosse. Elles prétendent toutes les deux au trône d’Angleterre. Élisabeth la frigide, l’éternelle vierge, fille illégitime et reniée par le Pape, peut compter sur son nom. Marie Stuart la sublime, la brillante, sur son charme et le soutien des catholiques. Mais deux reines pour une seule île, cela fait beaucoup…

Mon opinion

★★★★☆

___S’appropriant tout un pan de l’histoire de la dynastie Tudor, Nicolas Juncker signe avec « La vierge & la putain » une oeuvre ambitieuse sur le fond comme sur la forme, qui allie avec brio érudition et sens du divertissement. Ainsi, derrière ce titre aguicheur, se cache en réalité une bande dessinée de près de 200 pages, découpée en deux volumes pouvant se lire indépendamment l’un de l’autre, et propulsant le lecteur sur les traces de Marie Stuart et de sa cousine, Elizabeth Ire.

___ A travers une structure en palindrome, Nicolas Juncker met en scène les personnalités et les destins en miroir des deux souveraines. Décortiquant leurs trajectoires respectives et relevant les similitudes qui émaillent leurs parcours hors norme, le dessinateur s’amuse à dresser des parallèles entre les vies tumultueuses des deux cousines, et met en exergue les nombreux évènements se faisant mutuellement écho.

Prises indépendamment, les deux BD nous livrent ainsi le récit de deux destinées hors du commun, diamétralement opposées du point de vue de leurs finalités, mais néanmoins intimement liées, tandis que mises bout à bout, elles offrent au lecteur une vision inédite de ce pan de l’Histoire, abordé à travers un angle d’attaque original et bien pensé. Par un jeu de miroir narratif doublé d’une savante construction graphique et scénaristique, le dessinateur déroule les fils de ces intrigues parallèles, dévoilant progressivement toute la malice du procédé, tandis que la double pagination permet de guider le lecteur dans sa lecture afin de lui faire apprécier à sa juste valeur l’ingéniosité de la construction.

En dépit d’une marge de manœuvre limitée du fait de la complexité de la mise en scène de son récit, Nicolas Juncker a su extraire l’essentiel de la vie de ses deux sujets pour en livrer une synthèse relativement pertinente dans son propos et parfaitement logique dans l’enchainement des évènements. Au-delà de la véritable prouesse stylistique, le dessinateur signe donc un remarquable tour de force, aussi bien graphique que scénaristique, s’appuyant sur une narration éclatée qui puise tout son souffle dans le ton délicieusement décalé et légèrement insolent du récit.

« Comme le fit remarquer je ne sais plus quel abruti, deux reines pour une seule île, cela faisait beaucoup. »

Marie Stuart

« La vierge & la putain » de Nicolas Juncker (Editions Glénat)

___Les ressorts comiques mis en jeu, s’ils ne sont pas toujours des plus fins ni des plus subtiles, fonctionnent parfaitement. La narration sans filtre, à la fois droit au but et pleine d’esprit, crée ainsi un décalage original avec la solennité froide et le protocole figé de la Cour à cette époque. Les répliques brutes de décoffrage et matinées d’humour graveleux fusent sous les yeux amusés du lecteur.

S’appuyant sur une solide documentation et à travers les portraits croisés de ces deux souveraines, Nicolas Juncker a su en outre capter et retranscrire avec brio toute l’essence de cette période à la fois trouble et foisonnante et mettre parfaitement en avant l’implacable force de caractère de ces deux femmes parvenues à s’imposer dans un monde d’hommes.

___En dépit de l’irréfutable maîtrise du procédé, « La vierge et la putain » n’échappe pas à quelques écueils qui, quoique mineurs, démontrent néanmoins toute la limite de ce délicat exercice d’équilibriste. Si le choix d’une narration éclatée entre différents témoins oculaires permet d’offrir au lecteur un tour d’horizon des personnages qui influèrent la vie de Marie et d’Elizabeth, ce procédé crée rapidement une distance entre les souveraines et le lecteur qui peine à s’attacher à ces deux femmes aux zones d’ombre impénétrables. S’appuyant ainsi sur une succession de narrateurs faillibles dont la crédibilité peut à tout moment être mise en doute, Juncker nous relate les évènements à travers le prisme biaisé d’une multitude d’observateurs externes, sans jamais permettre au lecteur de s’immiscer pleinement dans l’intimité des deux reines ou de connaître leurs pensées. Jusqu’au bout, les deux femmes conservent donc une grande part de leur mystère, et leurs portraits manquent parfois d’un peu de nuances.

Elizabeth Tudor

« La vierge et la putain » de Nicolas Juncker (Editions Glénat)

De fait, si le trait alerte et expressif de Juncker donne ainsi vie à une Marie Stuart (un brin) moins antipathique et calculatrice que l’image que j’en avais, le dessinateur brosse en revanche un portrait beaucoup moins complaisant et définitivement plus dur d’Elizabeth, qui apparaît comme une souveraine aigrie, calculatrice et flirtant souvent avec l’hystérie. Bien que célèbre pour ses accès de rage et son incapacité à parfois prendre une décision, ce portrait sans concession de « La reine vierge » n’en demeure pas moins quelque peu déconcertant !

Vu à travers le prisme de ses contemporains masculins, la reine écossaise revêt quant à elle un visage plus humain, celui d’une reine impulsive et passionnée, se laissant volontiers emportée par le tourbillon de ses sentiments et faisant passer ses propres désirs avant son royaume. Ne mesurant ni la portée de ses actes, ni les éventuelles répercussions de ses démêlés sentimentaux, Marie Stuart incarne le triomphe du cœur sur la raison.

___Les historiens ou les puristes de la première heure trouveront sans doute à redire de cette version empruntant inévitablement de nombreux raccourcis et dans laquelle les portraits psychologiques auraient gagné à être davantage nuancés. Certaines interprétations semblent ainsi parfois davantage relever d’un parti pris de l’auteur que d’une tentative (de toute façon purement illusoire) de prétendre à la vérité historique. Mais si la vision de Juncker est donc avant tout personnelle, à défaut d’être toujours historiquement irréfutable, son interprétation du déroulé des évènements ainsi que les portraits psychologiques qu’il propose n’en demeurent pas moins passionnants !

Alliant avec brio érudition et sens du divertissement, Nicolas Juncker signe avec « La vierge & la putain » une oeuvre biographique de magnifique facture, aussi ambitieuse sur le fond que sur la forme. A travers une double bande dessinée de près de 200 pages, le dessinateur propulse ainsi le lecteur sur les traces de Marie Stuart et de sa cousine, Elizabeth Ire, dont il s’approprie les trajectoires mouvementées et les destins exceptionnels pour en livrer une vision aussi inédite qu’originale.

S’appuyant sur une astucieuse structure en palindrome, Nicolas Juncker met ainsi en scène les personnalités et les destins en miroir des deux souveraines dont il fait ressortir les nombreuses similitudes tout en soulignant la saisissante divergence de ces deux trajectoires diamétralement opposées quant à leur épilogue..

Au-delà de la véritable prouesse stylistique, le dessinateur signe donc un remarquable tour de force, aussi bien graphique que scénaristique, s’appuyant sur une narration éclatée et un ton légèrement insolent au service d’un humour souvent graveleux mais néanmoins efficace.

Avec « La vierge & la putain », Nicolas Juncker s’est ainsi approprié tout un pan de l’Histoire des Tudors afin de nous livrer une approche des évènements et une analyse psychologique de ses principaux acteurs qui se révèle aussi inédite que personnelle, à défaut d’être toujours historiquement irréprochable. Si certains détails semblent donc davantage relever d’un parti pris de l’auteur que d’une quête effrénée de la vérité historique, la parfaite maîtrise de l’exercice n’en demeure pas moins spectaculaire, et séduira sans aucun doute les inconditionnels du dessinateur, ainsi que tous ceux qui se passionnent pour cette période de l’Histoire !

Je remercie chaleureusement les éditions Glénat pour cette très belle découverte! 🙂

« Le cercle des confidentes, tome 1: Lady Megan » de Jennifer McGowan

 

 

 

 

 

 

Résumé

Lorsque Meg Fellowes, 17 ans, voleuse et comédienne de la troupe de la Rose d’Or, est arrêtée, elle sait que la sentence va être la mort. C’est ce à quoi les voleurs sous le règne d’Élisabeth 1re d’Angleterre doivent s’attendre. Pourtant, on lui propose une alternative : accepter de faire partie d’un groupe de demoiselles d’honneur très spéciales : des espionnes. Avec ses nouvelles compagnes, Jane, Anna, Béatrice et Sophia, Meg doit protéger la couronne des intrigues de la cour. En ces temps troublés, mille complots guettent la jeune reine protestante. Grâce à son sens inné de la comédie et à sa mémoire extraordinaire, Meg doit espionner la délégation espagnole, composée de fervents catholiques, opposés à Élisabeth, dont le séduisant Rafe, comte de Martine, qui vient d’arriver à la cour. Mais dans le paysage complexe de ce début de règne, la jeune fille comprend vite que les frontières entre ennemis et alliés sont mouvantes et qu’elle ne peut se fier à personne. Si elle entend sauver la vie de sa reine et retrouver sa propre liberté, elle devra aussi démasquer le meurtrier d’une autre demoiselle d’honneur, mystérieusement assassinée quelques mois avant son arrivée…

Mon opinion

★★

___Mêlant habilement récit d’espionnage et roman historique, Jennifer McGowan nous propose une intrigue innovante dans le paysage de la littérature YA. A contre-courant des tendances actuelles, « Le cercle des confidentes » m’a donc rapidement interpellée (d’autant plus que j’avais déjà repéré ce livre avant sa traduction française) et c’est avec de grandes attentes que j’ai abordé cette lecture.

___Dès les premières lignes, le lecteur se retrouve propulsé en plein coeur de l’Angleterre au temps des Tudors. Rapidement, l’auteure donne le ton de son récit, ouvrant son roman par une scène empreinte d’une tension notable, qui va être à l’origine du basculement de l’existence de Meg, la jeune héroïne au centre de ce premier opus.

___Evoluant au sein d’une troupe de saltimbanques itinérante, Meg passe ses journées à vider les poches des spectateurs qui croisent son chemin.

« Comme toutes les femmes, il m’était interdit de monter sur les planches. Aussi avais-je aiguisé mes talents de comédienne dans le public. Je pouvais arborer la gaieté d’une jeune demoiselle bien née, l’innocence d’une fille de marchand, ou la mine aigrie d’une poissonnière revêche. J’imitais mes semblables, qu’ils fussent rustres, nobles ou complaisants. Il suffisait que l’un d’entre-eux croise mon chemin, que j’esquisse un sourire, un signe de tête… pour que j’allège ses poches. Je volais – au sens propre – la vedette aux acteurs. » (p.15)

___Mais sa vie de chapardeuse bascule le jour où en tentant de secourir un jeune pickpocket de la troupe, elle se retrouve par un malheureux concours de circonstances emprisonnée. Après un court séjour dans les cachots de la reine, la jeune voleuse se voit imposer un ultimatum : ou bien elle intègre le cercle des confidentes, devenant espionne au service de la jeune souveraine Elizabeth, ou alors elle est emprisonnée pour le restant de ses jours. Face à ce dilemme (qui n’en est pas vraiment un, soyons honnête), Meg n’a donc d’autre choix que d’accepter d’intégrer le cercle des confidentes.

___Constituée de cinq jeunes filles choisies en raison d’un talent particulier, ce cercle réunit cinq espionnes aux aptitudes et aux personnalités bien différentes qui vont devoir mettre de côté leurs préjugés pour travailler ensemble. Mais difficile d’accorder sa confiance dans une Cour rongée par les complots et où prime l’individualisme et les intérêts personnels.

Meg va rapidement cerner les personnalités et les aptitudes de ces coéquipières…

  • Béatrice, la Belle :

« Entre ses cheveux blonds comme les blés, ses yeux bleus, ses toilettes somptueuses et son teint de porcelaine, la tentation de la haïr sur-le-champ avait été forte. Il avait suffi qu’elle ouvre la bouche pour que j’y cède sans remords. Fière, vaniteuse et cruelle, cette peste n’avait d’autres préoccupations que les intrigues de cour. Béatrice aurait fait un personnage de tragédie idéal… que j’aurais adoré voir périr au troisième acte… ou tout du moins mariée à un vieil aristocrate ronflant.

Mais ce n’était pas pour sa douceur que la belle Béatrice avait été recrutée au sein de notre groupe. On l’avait choisie car elle possédait le don singulier de plier n’importe quel individu du sexe opposé à ses volontés. Des jeunes garçons d’étable aux lords les plus puissants, aucun homme ne lui résistait. Elle roucoulait, minaudait, paradait et se pavanait, séduisant à tour de bras. » (p.35)

« Avec une savante discrétion, Béatrice regardait les jeunes femmes autour de leur souveraine. […] Elle connaissait jusque dans les moindres détails les liens et alliances complexes de la noblesse, que ceux-ci fussent temporaires ou tenaces. Une étrange carte qu’elle mettait à jour au gré des faveurs ou des revers de fortune. Qu’elles doivent leur position à leur naissance ou au fragile équilibre des pouvoirs, Béatrice savait mieux que personne la place de ces dames à la Cour. »

  • Anna, l’Erudite

« Tout dans son apparence trahissait son sérieux : l’étoffe raide de sa robe de laine jaune, le col sage de sa blouse blanche, l’épaisseur des manches qui recouvraient jusqu’à ses poignets ou encore ses longues tresses rousses soigneusement nouées au sommet de sa tête. Anna l’érudite, derrière ses douces prunelles émeraude, ne tolérait guère les cancres. » (p.36)

« La tâche d’Anna, pour sa part, se bornait à de simples observations et calculs. Du noble seigneur à la modeste servante, elle mémorisait les noms des personnes présentes ou absentes, ainsi que leur signalement. Elle se passionnait davantage pour le déchiffrement des textes cryptés, le maniement des astrolabes ou ses versions de grec, mais se prêtait volontiers à ces jeux de mémoire. »

  • Sophia, l’Augure

« Très tôt orpheline, Sophia était la nièce et pupille de John Dee, l’astrologue de Sa Majesté. On suspectait cette enfant brune au regard presque violet de posséder le don de voyance. L’ironie de la situation ne m’avait pas échappé : encore cent ans auparavant, peut-être même moins, cette étonnante capacité l’aurait conduite droit au bûcher. Mais aujourd’hui, à la cour de la reine Elisabeth, l’idée que la nièce puisse se rendre aussi utile que l’oncle avait fait d’elle un atout extrêmement précieux. A en croire les rumeurs, son pouvoir devait se manifester d’un jour à l’autre. » (p.50)

« Assise docilement près de la reine, même le bleu discret et les dentelles sages de sa robe ne parvenaient pas à estomper sa beauté éthérée. Elle avait pour tâche de sonder l’espace autour des dames présentes, en quete d’un message des esprits ou d’un signe indiquant leurs actions futures. » (p.51)

  • Jane, la Fine Lame

« Restait la dernière des espionnes en herbe : Jane Morgan, la Fine Lame.

La plus insaisissable du groupe se cachait probablement à quelques mètres de là, à nous observer à tour de rôle. C’était – j’avais eu tôt fait de l’apprendre – sa spécialité. Quel que fut l’environnement, son rôle ne variait jamais : elle devait se tenir sur le qui-vive, prête à neutraliser la menace à tout instant et par n’importe quel moyen. Elle savait interpréter les tensions du corps, la furtivité d’un pas, le changement des regards. » (p.52)

  • Et bien sûr, Meg

« Au sein de ce vaste théâtre qu’était la Cour, mon rôle consistait à percer les mystères de ces acteurs d’après leur comportement : ceux qui se penchaient pour échanger des messes basses ; ceux qui s’écartaient en essuyant une rebuffade. Lesquels de ces visages exprimaient la curiosité, la colère ou le plaisir. Qui observait qui… Après trois mois de cet exercice constant, je ne pouvais croiser un groupe de personnes sans décrypter ces secrètes didascalies, qui trahissaient les personnages bien mieux que leurs répliques. »

« Naturellement, j’avais moi aussi mon surnom. Mon rôle étant de soustraire les secrets d’autrui, j’avais écopé d’un sobriquet le jour même de mon arrivée. […] Mes distinguées collègues au service de la reine m’appelaient… la Fouine. » (p.57)

___Après la mort sans héritier de sa demi-soeur, Marie Tudor, qui vouait un attachement invincible pour le catholicisme, la couronne d’Angleterre est revenue à Elisabeth alors âgée de 25 ans et qui établit l’autorité de l’église protestante anglaise. La jeune souveraine rejeta la demande en mariage de Philippe d’Espagne et semble bien décidée à ne partager le trône avec aucun homme.

___C’est dans ce contexte que Wiliam Cecil, le conseiller de la reine, demande rapidement à Meg de surveiller Elisabeth, tant il craint que son goût pour la liberté ne la conduise à faire des choses susceptibles de mettre en péril la couronne. De son côté, la souveraine charge la jeune fille de surveiller attentivement la Cour. Les incidents suspects tels que des vols s’y multiplient et la crainte d’un complot visant à mettre à mal l’autorité de la reine émerge peu à peu.

___Des suspicions qui vont progressivement s’avérées fondées. Meg va rapidement intercepter des conversations suspectes entre l’ambassadeur Feria et un nouveau membre de la délégation espagnole, le mystérieux comte de Martine (alias Rafe Luis Medina). Dans ce contexte de réforme religieuse, des lettres émanant du Pape circulent secrètement au sein de la Cour mais leurs destinataires restent inconnus. A ces comportements étranges s’ajoutent une nouvelle révélation. Meg apprend bientôt qu’avant d’entrer au service de la reine, le cercle des confidentes comptait une autre recrue : une jeune fille nommée Marie qui connut un destin tragique. La menace semble donc planer aussi bien sur la couronne que sur les cinq espionnes de la reine…

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___Roman haletant sur fond d’époque élisabéthaine, ce premier tome d’une saga s’annonçant d’ores et déjà comme prometteuse, est une véritable réussite. Situant son récit au coeur d’une époque fascinante, l’auteur s’est appliqué à exploiter intelligemment le contexte historique afin de servir son intrigue. Ses connaissances de l’époque ne font aucun doute et la qualité des descriptions et de la trame scénaristique témoignent d’une documentation rigoureuse et approfondie.

___Si l’idée d’intégrer au cercle des demoiselles d’honneur de la reine un groupe d’élite constituée d’espionnes peut en laisser certains perplexes, en ce qui me concerne, elle m’a totalement séduite. Dans une interview, l’auteure explique d’ailleurs que l’idée du cercle des confidentes lui est venue au décours de ses recherches sur l’époque. Dans un document, elle apprit que les conseillers d’Elizabeth étaient parfois surpris que la souveraine ait connaissance de davantage d’évènements ayant lieu au château que ce qu’elle était supposée savoir. De là naquit l’idée des cinq espionnes au service de la reine. De même, le choix de situer son action durant la période élisabéthaine, loin d’être le fruit du hasard, est au contraire parfaitement délibéré. Couronnée à 25 ans, Elisabeth I régna plus de quarante ans et ne se maria jamais. Pour un livre mettant les femmes de pouvoir à l’honneur, on pouvait difficilement faire mieux !

___Outre le contexte historique captivant que l’auteure s’est parfaitement appropriée, Jennifer M joue habilement sur les différents tableaux, mêlant intrigues amoureuses et politiques avec dextérité.

___C’est dans ce contexte que la jeune et intrépide Meg va (malgré elle) tomber sous le charme du séduisant Rafe. Entre eux, un jeu de séduction (et de manipulation) va rapidement voir le jour donnant naissance à des scènes d’anthologie. Si au commencement, l’attitude de Meg à l’égard du bel espagnol me donnait parfois envie de lever les yeux au ciel, l’auteure a finalement réussi à m’emporter dans leur histoire. Cette relation naissante entre les deux protagonistes, bien qu’occupant une place importante dans le récit, n’éclipse pas pour autant les véritables enjeux de l’intrigue et s’avère habilement menée.

___Bien qu’au coeur de ce premier opus, Meg n’est pas la seule à vivre de grandes aventures. Les autres confidentes occupent également une place importante dans le récit et chacune connaît son lot de révélations et sa part d’intrigue. Si Meg est indubitablement l’espionne que l’on découvre le plus, ce premier tome est aussi l’occasion de faire connaissance avec les autres membres du cercle.

___Difficile de ne pas se prendre d’affection pour ces espionnes aux caractères si différents tant elles se révèlent complémentaires. Si leurs personnalités aussi tranchées qu’éclectiques peuvent sembler caricaturales de prime abord, la qualité de l’intrigue et la hauteur des enjeux rattrape aisément le tout.

___Le récit ne souffre d’aucun temps mort et le lecteur est tenu en haleine du début à la fin. Si l’on se perd quelquefois dans les méandres de cette intrigue parfois tortueuse et alambiquée, pas de quoi décourager le lecteur qui finit toujours par s’y retrouver. Le dernier chapitre reprend notamment les différents temps forts du récit offrant ainsi une synthèse des évènements parfaitement claire et balayant par la même occasion les hypothétiques dernières interrogations du lecteur.

___Porté par une écriture de qualité et un style parfaitement en adéquation avec l’époque, on succombe rapidement au charme de l’atmosphère étourdissante de la Cour. Complots, incertitudes et révélations auréolent le récit d’un voile d’ombre contribuant à en renforcer l’intensité.

Que vous soyez amoureux des romans historiques aux intrigues recherchées et teintées de mystères, d’espionnage et de complots ou que vous soyez simplement passionné par l’époque des Tudors, vous ne pourrez que tomber sous le charme de cette saga exceptionnelle mettant à l’honneur des femmes fortes, déterminées et indépendantes. Une réussite !

Premier tome d’une saga s’annonçant d’ores et déjà comme prometteuse, « Le cercle des confidentes » fait figure d’exception dans le paysage actuel de la littérature young adult. Mêlant habilement roman historique et récit d’espionnage, Jennifer McGowan met en scène une intrigue percutante aux enjeux s’inscrivant intelligemment dans le contexte de l’époque. Le récit porté par une écriture travaillée et des héroïnes hautes en couleurs ne pâtit d’aucun temps mort et tient le lecteur en haleine du début à la fin.

La qualité de la restitution de l’époque élisabéthaine combinée à celle de l’intrigue témoignent d’un travail de documentation rigoureux de la part de l’auteure. Malgré une intrigue alambiquée au point d’en devenir parfois opaque pour le lecteur, on se laisse sans difficulté emporté par ce récit étourdissant à l’atmosphère saisissante.

En Bref

___On aime: Une intrigue travaillée s’inscrivant intelligemment dans le contexte de l’époque. La période élisabéthaine est très bien restituée et la qualité de l’intrigue témoignent d’un travail de documentation de la part de l’auteure aussi rigoureux que considérable. Le récit mêlant habilement intrigues amoureuses, complots et manipulations ne pâtit d’aucun temps mort. L’ensemble est porté par une écriture travaillée, dans le ton de l’époque et par de jeunes héroïnes aussi fortes qu’attachantes qu’on quitte avec regret.

___On regrette: Une intrigue parfois alambiquée au point d’en devenir opaque à certains moments pour le lecteur. Les jeunes espionnes peuvent sembler assez caricaturales au début du roman mais les personnages gagnent en profondeur au fil du récit.