« Les grands peintres, Toulouse-Lautrec » de Olivier Bleys et Yomgui Dumont

Quatrième de couverture

A la fin du XIXe siècle, Montmartre est un quartier interlope. Un quartier où les bourgeoises viennent s’encanailler auprès des voyous et des filles de mauvaise vie ; où les vols et les bagarres sont fréquents, alors que la police des moeurs fait des descentes régulières dans les établissements mal famés. C’est là, dans les salles enfumées des bals, que Toulouse- Lautrec gagne sa réputation de peintre du vice et des bas-fonds…Mais au début de l’année 1895, une sordide affaire secoue le milieu de la nuit montmartroise : des jeunes femmes de bonne famille disparaissent, sans témoins… Très vite, les soupçons se concentrent sur l’entourage de Toulouse-Lautrec, que les moeurs peuvent facilement impliquer dans un rapt. Des individus qui figurent tous sur les tableaux du peintre, où les silhouettes des récentes disparues semblent se dessiner en arrière-plan…

Mon opinion

★★★☆☆

___C’est à travers leur série « Chambres Noires », publiée aux éditions Vents d’Ouest, que Olivier Bleys et Yomgui Dumont s’étaient fait connaître dès 2010. Cette saga en 3 tomes, unanimement saluée par la critique et le public, proposait une intrigue aux relents ésotériques qui s’inscrivait déjà dans une ambiance fin XIXème siècle. En ce premier semestre 2015, le tandem revient sur le devant de la scène aux manettes de l’un des trois titres inaugurant la nouvelle collection des éditions Glénat et consacrée aux grands peintres de l’Histoire. Prévue en une trentaine de tomes, cette nouvelle série projette ainsi de réaliser autant de portraits d’artistes issus de courants et d’époques variés tout en les déclinant à travers des registres et des atmosphères diverses, allant de l’intrigue policière au récit fantastique. L’objectif ultime de la collection n’est donc pas tant de retracer la vie entière d’un peintre que d’essayer de capter au mieux la personnalité de l’artiste et de son oeuvre. Chaque volume se consacrant à un personnage précis, il constitue de fait une entité à part entière pouvant à ce titre se lire indépendamment des autres tomes. C’est donc en vue de contribuer à cette belle initiative que le duo s’est penché sur la vie du célèbre artiste Toulouse-Lautrec.

Henri de Toulouse-Lautrec

Fils du comte d’Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa (1838-1913) et d’Adèle Tapié de Celeyran (1841-1930), Henri de Toulouse-Lautrec est issu de l’une des plus vieilles familles nobles de France. Atteint d’une dégénérescence osseuse, sa croissance cesse brutalement durant son adolescence à la suite de deux fractures des jambes qui le laissent infirme. Toulouse-Lautrec ne dépassa ainsi jamais la taille de 1,52m. Si son tronc était de taille normale, ses membres étaient courts, ses lèvres et son nez épais et il avait en outre un cheveu sur la langue qui le faisait zézayer. Très doué pour le dessin, il monte à Paris où il étudie auprès des peintres académiques Léon Bonnat et Fernand Cormon et se lie d’amitié avec Van Gogh. Admirateur inconditionnel d’Edgar Degas, c’est à lui qu’il doit son sens aigu de l’observation des mœurs du Paris nocturne et son intérêt pour les sujets « naturalistes ». L’artiste, intimement mêlé à la bohème parisienne de la fin du XIXe siècle, a nourri son oeuvre de cette ambiance singulière, croquant aussi bien les chansonniers des cafés-concerts que les danseuses des cabarets ou les prostituées des maisons closes. Son goût pour la fête, l’alcool et les femmes lui vaudront la réputation de peintre du vice et des bas-fonds. Cet artiste aussi passionné que prolifique sera à l’origine d’une oeuvre considérable comptant quelque 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies, et environ 5.000 dessins, avant de s’éteindre à l’âge de 37 ans, rongé par la maladie, l’absinthe et les excès de la vie.

Portrait double de Toulouse-Lautrec : le peintre et son modèle

___Personnage atypique et intrigant, Toulouse-Lautrec incarne un sujet d’étude idéal pour inaugurer la nouvelle collection des éditions Glénat consacrée aux Grands Peintres de l’Histoire. Pourtant, ne vous fiez surtout pas au titre évocateur de ce premier opus, trompeur à bien des égards, car « Toulouse-Lautrec » n’a rien d’une bande dessinée biographique retraçant la vie du célèbre peintre. Si l’artiste est bien le point de mire des premières pages, il s’efface rapidement pour laisser la place à une véritable intrigue secondaire sous les traits d’une sordide affaire de disparitions et avec pour toile de fond le milieu sulfureux de la nuit montmartroise. Cette pseudo intrigue aux circonvolutions policières prend donc rapidement le pas sur toute intention biographique. La frêle silhouette de Toulouse-Lautrec se fond en effet rapidement dans cette enquête relativement peu palpitante qui n’a d’autre intérêt que de servir de prétexte à introduire le lecteur dans les coulisses des nuits parisiennes et de donner lieu à quelques saynètes savoureuses servies par des personnages hauts en couleurs. Une impression renforcée par le dénouement expéditif qui laisse le lecteur hagard et d’autant plus sceptique quant à l’intérêt de toute cette mise en scène. A ce titre, on peut ainsi reprocher aux auteurs ce parti-pris scénaristique flirtant parfois avec le hors sujet. Si le dossier final tente bien de compenser la légèreté du volet biographique du récit, on pourra regretter que la BD ne se suffise pas à elle-même pour nous éclairer davantage sur le parcours et la personnalité de Toulouse-Lautrec.

Oscar Wilde par Toulouse Lautrec

Un sentiment de gâchis d’autant plus prégnant que si on se détache de toute considération biographique, il y a finalement peu à jeter dans cette BD inégale mais par moment fulgurante. A l’instar de ces spectaculaires planches pleine-page (autant d’astucieuses et virtuoses mises en abymes qui nous laissent subjugués d’admiration), de ces mécanismes lexicaux à tiroirs, ou encore de ces répliques pleines d’esprits, truffées de références et de bons jeux de mots. Mâtiné d’humour et fourmillant de références aussi éclectiques qu’inattendues, le rythme soutenu du récit est à l’image de l’oeuvre joyeuse et spirituelle de son sujet. On se perd avec délice dans ces décors fourmillant de détails restituant à la perfection l’ambiance si particulière d’une époque étourdissante, culturellement foisonnante et profondément fascinée par l’exotisme (notamment par l’Orient) ! Le trait dynamique et expressif de Dumont ainsi que le jeu des coloris rappellent habilement le style incisif et typé de l’artiste et nous fait plonger avec délice dans le tourbillon des nuits parisiennes. Puisant ainsi dans de nombreux registres, il peine à se dégager une couleur dominante dans ce grand fourre-tout où se croisent pêle-mêle de nombreux personnages, tous truculents, allant de la grande goulue (de son vrai nom Louise Weber) à Oscar Wilde, qui fait alors l’objet d’un procès pour homosexualité en Angleterre.

___Quoique les intentions réelles des auteurs demeurent finalement floues, ce récit semble donc davantage se revendiquer comme une tentative de capter l’essence d’une époque que celle de brosser un portrait fidèle de l’artiste. Si l’on peut effectivement considérer que les extravagances et les moeurs parfois dissolues de la Belle Epoque illustrent parfaitement la personnalité de Toulouse-Lautrec, on pourra déplorer de ne le voir ici qu’en filigrane d’une intrigue le mettant en définitive peu en valeur.

___On sort finalement de cette représentation haute en couleurs avec un avis en demi-teinte. Car si l’immersion dans ce Paris de la Belle Epoque parfaitement restitué est une franche réussite, on regrette en revanche qu’elle se fasse au détriment du sujet initial et à travers une intrigue malheureusement bancale, qui peine à nous captiver.

Malgré une entame accrocheuse et pleine de rythme, « Toulouse-Lautrec » ne parvient pas à concrétiser le potentiel que laissait pourtant entrevoir les premières planches. La narration prend rapidement un virage inattendu sous les traits d’une intrigue secondaire aux circonvolutions policières, maladroitement menée et peu captivante, se concluant en prime par un final granguignolesque des plus surréalistes. On pourra de fait reprocher aux auteurs de ne pas aller au fond des choses, se perdant dans une intrigue aux relents policiers peu convaincante, car plombée par un scénario qui laisse sérieusement à désirer, et qui donne parfois au récit des allures de fourre-tout dépourvue de fil directeur pertinent.

La vocation première de cet album n’est donc pas tant de retracer la vie du peintre que de tenter de restituer au plus juste l’atmosphère de l’époque qui caractérise le mieux son art. De ce point de vue, cet album servi par un graphisme dynamique et un ton plein d’esprit offre une immersion parfaite dans le Paris du tournant du siècle! On se régale des décors fourmillant de détails et des personnages truculents surgissant de toute part. Les traits d’esprit et les références multiples et inattendues fusent à chaque planche, conférant au récit un rythme étourdissant! Figure emblématique des nuits parisiennes de la Belle Epoque et créateur d’une vision légendaire de la capitale de la fin du XIXème siècle, Toulouse- Lautrec a fixé à travers ses oeuvres le parfum d’un certain esprit français parfaitement restitué dans cet album. Empruntant des chemins détournés au risque de perdre le lecteur en cours de route, ce portrait de l’artiste se révèle en définitive plus symbolique que rigoureux. Subsiste ainsi après la lecture un goût d’inachevé, le sentiment d’un sujet davantage effleuré que réellement traité et dont la frêle silhouette se fond et se perd dans les recoins d’une intrigue malheureusement bancale et peu entraînante.

Je remercie chaleureusement les éditions Glénat pour cette découverte! 🙂

  • Extrait

« Rose soie » de Camille Adler

___Après avoir totalement déserté le blog et délaissé les livres pendant plus d’un mois, j’essaie doucement de reprendre les commandes et de retrouver un semblant de rythme de lecture !
___Il faut dire (à ma décharge) que le mois d’octobre n’a pas été de tout repos pour moi, et que les mois à venir s’annoncent tout aussi éprouvants ! Entre les cours, les exposés, les démarches pour le stage de fin d’étude, et surtout la thèse…, je n’ai pas vraiment le temps de m’ennuyer (et pas beaucoup plus pour lire, malheureusement -_-‘’). Mais soyez assurés que, même croulant sous le travail et les impératifs, ma détermination et mon envie de poursuivre ce blog restent parfaitement intacts :). Et si je suis forcée d’admettre que les mois à venir risquent de s’avérer peu prolifiques, je vous assure de faire au mieux !

___Quelques mots sur mes lectures et articles à venir pour finir ; vous trouverez ci-dessous mon avis sur le roman de Camille Adler, « Rose soie », paru dernièrement aux éditions Milady. Je viens par ailleurs de terminer le roman « La Madone des maquis » de Sylvie Pouliquen aux éditions De Borée (inspiré de la vie de Virginia Hall). Un roman absolument passionnant et que j’ai littéralement dévoré ! Je vous en reparle bientôt ! 😀
Enfin, pas d’article Bilan de mes acquisitions pour le mois d’octobre, puisque je n’ai reçu que trois livres (deux dans le cadre des deux dernières opérations Masse Critique de Babelio et un partenariat avec les éditions De Borée). C’est ma PAL qui est contente ! ^^

___Je finis ce message en m’excusant donc pour ce mois de silence et pour les commentaires restés sans réponse (je vous promets d’y remédier dès ce week-end ! ;)). Et j’ai hâte de rattraper mon retard dans la lecture de vos articles ;).

Résumé

Au XIXe siècle, Rose de Saulnay, jeune femme de la haute société parisienne, est mariée à un homme violent, qui lui reproche son comportement et son goût pour la mode. A l’occasion d’un bal masqué, elle rencontre Alexander Wright, le couturier le plus en vue de la capitale. Lorsque la loi autorisant le divorce est votée, Rose trouve le courage de prendre sa vie en main et de quitter son époux. Mais il refuse.
Aidée par sa femme de chambre, elle s’enfuit et ouvre une boutique de confection. C’est le début d’une période difficile, entre le rejet de la société et celui de son époux. Mais grâce à Alexander Wright, Rose retrouvera foi en l’avenir et en l’amour.

Mon opinion

★★★☆☆

___Inscrivant son intrigue sous le signe de la romance, c’est au coeur de la Belle Epoque que Camille Adler a choisi de situer l’action de son premier roman. Avec « Rose soie », la jeune auteure s’essaie ainsi à un des genres les plus ardus de la littérature : le récit historique. Un exercice particulièrement périlleux puisque nécessitant, par définition, une parfaite maîtrise de son sujet et une connaissance approfondie de l’époque où est censée se dérouler l’intrigue.

___Face à cette double difficulté, la jeune romancière laisse pourtant rapidement entrevoir un réel potentiel. Grâce à un style agréablement fouillé, Camille Adler immerge en effet, très vite et sans difficulté, le lecteur dans l’ambiance du Paris de la fin du XIXème siècle. Combinant élégance et raffinement (et s’inspirant probablement de la plume de certains auteurs de l’époque), son écriture semble ainsi témoigner d’un souci évident d’authenticité et d’une quête d’excellence très appréciable !

___Pourtant, en dépit du soin tout particulier que Camille Adler semble avoir porté à l’écriture, la romance concoctée par l’auteure ne parvient malheureusement pas à éviter les écueils du genre. En effet, plombée par une construction trop académique et convenue, qui laisse dès lors peu de place aux effets de surprise, l’intrigue de « Rose soie », cousue de fil blanc de bout en bout, peine à faire mouche ! Malgré un effort évident sur la forme, le fond du récit manque donc encore d’aboutissement et d’un soupçon de génie pour véritablement éblouir le lecteur qui ne tarde pas à deviner la tournure des évènements et l’issue parfaitement prévisible du récit. Les rouages de l’intrigue nous deviennent en effet rapidement évidents, et l’on ne peut s’empêcher de repérer bientôt les nombreuses coïncidences, bien trop flagrantes pour être réellement plausibles, tout en anticipant sans grande difficulté le rôle clé que vont être amenés à jouer certains protagonistes.

___Par ailleurs, ne prenant pas suffisamment le temps d’installer les situations porteuses de sens et propices à l’instauration d’une véritable tension dramatique, l’auteure peine à faire émerger des enjeux assez forts pour tenir le lecteur en haleine et, fragilisée par une succession de difficultés trop facilement surmontées par l’héroïne, la légèreté de l’intrigue prend bientôt le pas sur des thématiques et des axes de réflexion plus consistants. Ainsi, si à travers le combat de son héroïne, Camille Adler nourrit l’intention louable d’explorer le thème (bien qu’archi-rebattu) de l’émancipation de la femme, le traitement du sujet se révèle un peu trop attendu et superficiel pour marquer les esprits. Dans un souci davantage esthétique que de réflexion, la romancière semble en effet concentrer ses efforts sur les aspects plus anecdotiques du récit (en particulier la description des tenues vestimentaires) au détriment d’un travail plus appuyé sur la psychologie de ses personnages ou d’une meilleure exploitation du contexte historique. Un parti-pris qui aboutit à diluer peu à peu les thématiques fortes de l’histoire dans des sujets de moindre consistance, contribuant à amputer l’intrigue d’une grande part de son potentiel tout en lui faisant perdre en puissance et en profondeur.

___De la même manière, « Rose soie » ne parvient malheureusement pas toujours à échapper aux clichés inhérents au genre, à travers des situations et des dialogues parfois mièvres et édulcorés, donnant alors à l’intrigue des accents un peu trop prononcés de romance à l’eau-de-rose. Par ailleurs, si certaines phrases semblent parfois revêtir des accents de Zola, la beauté du style demeure globalement inconstante, laissant en fin de compte peu de doutes au lecteur quant à l’époque à laquelle a été écrit le roman. Les constructions recherchées et poétiques laissent ainsi de temps à autres la place à des dialogues sonnant faux, car dépouillés et artificiels, qui contrastent lourdement avec le raffinement et la subtilité d’autres passages. Un sentiment d’autant plus marqué que l’écriture sombre parfois dans la lourdeur et la pédagogie dès lors que l’auteure tente de glisser (mais de façon assez maladroite) certaines informations relatives aux moeurs de l’époque.

___A noter, pour finir, les multiples allusions à diverses oeuvres littéraires et cinématographique dont l’auteure imprègne son intrigue. Car en dehors du contexte historique qui évoque immanquablement Zola, Camille Adler mâtine en outre son récit d’autres références à des oeuvres célèbres. Ainsi, le britannique et mystérieux Alexander Wright n’est pas sans rappeler le personnage de Darcy imaginé par Jane Austen, tandis que certaines répliques semblent tout droit tirées du film Titanic (sans parler du prénom parfaitement évocateur de l’héroïne 😉 !). Ce soupçon de Zola dans le style, cette pointe de Jane Austen dans les personnages et ce zeste de Titanic dans les dialogues, apparaissent comme autant d’ingrédients de choix dans l’élaboration d’une intrigue de qualité, mais paradoxalement, leur mélange ne parvient jamais à complètement prendre au cours du récit. Car si les clins d’oeil sont plutôt bien pensés et les intentions louables, il manque définitivement à l’ensemble une touche de personnalité et un brin d’originalité pour que l’alchimie puisse opérer. De fait, bien que sympathiques, cette surenchère de références s’empilant les unes sur les autres finit à terme par desservir l’intrigue, allant même jusqu’à lui faire perdre de son identité propre. Un constat d’autant plus dommageable que l’idée initiale était pourtant alléchante et le désir d’hommage tout à fait louable…

Avec « Rose soie », Camille Adler nous livre une romance historique sans prétention, qui séduira à coup sûr les amateurs du genre en quête d’une lecture légère, tout en laissant probablement sur leur faim ceux désireux d’un récit historiquement plus abouti. Si l’auteure semble donc embrasser pleinement le parti-pris du divertissement, la construction trop sage du récit combinée à la prévisibilité désarmante de l’intrigue laissent malheureusement peu de place à de grands moments d’émotion pour le lecteur qui ne tarde pas à mettre à jour tous les tenants et aboutissants de l’histoire. En dépit d’un style luxuriant et raffiné, évoquant par moments les auteurs du XIXème siècle, l’intrigue cousue de fil blanc et le contexte historique relativement peu exploité ne permettent cependant pas d’offrir de véritable bijou de réflexion quant au thème de l’émancipation de la femme à cette époque.

Si « Rose soie » manque donc encore d’originalité et de caractère pour pleinement convaincre, Camille Adler laisse déjà entrevoir, avec ce premier roman, des qualités d’écriture indéniables et un potentiel certain ! Une jeune auteure prometteuse et à suivre de près !

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Milady pour leur confiance !

« Belle Epoque » de Elizabeth Ross

 

 

 

 

 

 

Résumé

___« Louez un faire-valoir, vous en deviendrez d’emblée plus attirante. »

Lorsque Maude Pichon s’enfuit de sa Bretagne natale pour échapper à un mariage dont elle ne veut pas, elle monte à Paris, ville-lumière en ébullition à la veille de l’exposition universelle de 1889. Hélas, ses illusions romantiques s’y évanouissent aussi rapidement que ses maigres économies. Elle est désespérément à la recherche d’un emploi quand elle tombe sur une petite annonce inhabituelle : « On demande de jeunes filles laides pour faire un ouvrage facile. » L’Agence Durandeau propose en effet à ses clients un service unique en son genre : le repoussoir. Son slogan ? « Louez un faire-valoir, vous en deviendrez d’emblée plus attirante. » Étranglée par la misère, Maude postule…

Mon opinion

★★

« A Paris, tout se vend : les vierges folles et les vierges sages, les mensonges et les vérités, les larmes et les sourires. »

___Tels sont les premiers mots de la courte nouvelle « Les Repoussoirs » d’Emile Zola qui nous relate comment un industriel, nommé Monsieur Durandeau, a fondé une agence de location de femmes laides qui vont servir de faire-valoir à des clientes issues de la bonne société. Ainsi naissent donc les Repoussoirs, ces filles sans attrait « que l’on prend au bras et que l’on promène sur les trottoirs pour rehausser sa beauté et se faire regarder tendrement par les jolis messieurs ! ».

___Nous sommes en 1888, à Paris. C’est la Belle Epoque : une ère de décadence, de changements et surtout, de beauté. Fraichement débarquée à Paris pour échapper à un mariage arrangé par son père, Maude âgée de 17 ans, rêve de troquer son destin déjà scellé contre une nouvelle vie dans la capitale. Mais la jeune fille va rapidement déchanter. La vie à Paris est loin d’être aussi romantique et exaltante qu’elle l’avait imaginée ; et sans argent ni projets, Maude cherche désespérément un travail.

___Un jour, elle tombe par hasard sur une annonce affichée dans la rue et émanant de l’Agence Durandeau qui promet un ouvrage facile à de jeunes femmes. Dans sa précipitation, Maude ne la lit qu’en diagonale et ne saisit pas que l’offre d’emploi s’adresse en réalité à des jeunes femmes laides dont le travail consiste à tenir le rôle de faire-valoir. A peine a-t-elle mis les pieds à l’Agence que M. Durandeau la présente à une riche cliente, la Comtesse Dubern, qui cherche une « compagne » pour sa fille, Isabelle.

___Lorsque Maude prend finalement conscience de sa méprise et du véritable rôle qu’on lui demande de tenir, la jeune fille, d’abord scandalisée par le procédé, réalise pourtant bientôt qu’elle n’a pas les moyens de refuser cet emploi, aussi dégradant et humiliant qu’il puisse être. La garantie d’un salaire confortable aura raison de ses dernières réticences et la poussera à accepter la proposition de monsieur Durandeau.

___Outre l’humiliation infligée par sa position de repoussoir, la nouvelle recrue doit également faire face à d’autres difficultés. En effet, Isabelle ignore que Maude a été engagée par la Comtesse afin de l’espionner et de la manipuler pour qu’elle contracte une union avantageuse. A mesure que Maude se rapproche d’Isabelle, le secret de sa réelle identité devient plus lourd à garder. Et bientôt, la jeune repoussoir comprend qu’elle va devoir faire un choix irrévocable et lourd de conséquence : continuer à jouer la comédie afin de protéger ses intérêts tout en ruinant le bonheur et les espoirs d’Isabelle, ou bien dire toute la vérité et sacrifier son propre avenir.

___S’inspirant de la nouvelle de Zola, « Belle Epoque » reprend et exploite le thème central des Repoussoirs, ces jeunes filles sans attrait engagées par des aristocrates afin de mettre en valeur leur beauté. Afin de mieux servir son intrigue, Elizabeth Ross a légèrement modernisé le cadre historique de la nouvelle, situant l’action de son récit environ 30 ans après la publication du texte d’Emile Zola.

___Le Paris à la Belle Epoque constitue donc la toile de fond de ce roman. Période de paix et de grand optimisme, riche en découvertes scientifiques et technologiques, elle incarne un tournant décisif vers la modernité.

___Si l’on est loin des descriptions d’une précision clinique de Zola, Elizabeth Ross parvient cependant à retranscrire de manière tout à fait acceptable l’atmosphère de l’époque en s’appuyant sur des détails astucieusement choisis et à grande portée symbolique.

___Ainsi, la construction de la Tour Eiffel en vue de l’exposition universelle de 1889, sert de véritable fil rouge à l’intrigue principale. Un choix particulièrement judicieux de la part de l’auteure compte tenu du thème central de son roman. Car la tour de Gustave Eiffel incarne parfaitement une des questions au coeur du récit, à savoir la nature de la beauté.

___Monstre de fer défigurant Paris pour certains, la Tour Eiffel était pour d’autres une merveille d’élégance et de modernité, témoignant des progrès industriels et de l’innovation de l’époque. Aussi décriée qu’adulée, elle témoigne du caractère complexe et relatif de la beauté et incarne une époque au tournant du siècle, déchirée entre modernité et traditions. A travers « Belle Epoque », Elizabeth Ross nous démontre à quel point les standards de beauté évoluent avec le temps et changent d’une société à l’autre.

« Eiffel a mis la dernière main à sa tour. À la fois gracieuse et forte, altière et imposante, elle me fait penser le jour à une girafe de fer, la nuit à un phare. J’espère qu’elle restera longtemps en place, même quand l’effet de nouveauté se sera estompé. J’ai envie que cette beauté qui sort des conventions traverse les siècles. […]Il y a d’innombrables merveilles à voir à l’Exposition universelle : le phonographe d’Edison, la Galerie des machines et même la reproduction grandeur nature d’un village égyptien. Mais c’est la tour d’Eiffel qui attire les foules et déchaîne les passions. »

___Mais au-delà du questionnement sur la nature de la beauté, « Belle Epoque » relate aussi la merveilleuse histoire d’amitié qui va progressivement unir deux jeunes filles issues de catégories sociales opposées. D’un côté, il y a Maude, petite provinciale à la vision fantasmée de la capitale, qui rêve de brader la précarité de son quotidien contre le train de vie dispendieux d’Isabelle. De bals en réceptions, la jeune fille va ainsi se laisser peu à peu enivrer par le monde d’opulence et de décadence qui s’ouvre devant elle… au risque de s’y perdre. A l’inverse, Isabelle n’aspire qu’à s’extraire de sa cage dorée pour réaliser son rêve : entrer à l’université afin d’y étudier les sciences.

___En dépit de leurs différences, Maude et Isabelle aspirent donc toutes deux à se libérer des carcans de leurs conditions sociales. Au contact l’une de l’autre et au gré de leurs échanges, les deux jeunes filles vont progressivement prendre confiance en elles pour finalement prendre en main leurs destins.

___D’un point de vue historique, on peut donc louer les efforts de l’auteure pour exploiter ainsi le contexte de la Belle Epoque afin de mettre en valeur son intrigue. Loin de n’en faire qu’un simple écrin pour son récit, Elizabeth Ross multiplient les images symboliques afin de donner davantage de profondeur à l’histoire et d’appuyer son propos.

___Si j’ai apprécié les questionnements soulevés par l’auteure tout au long de son roman, sur le fond, l’intrigue de « Belle Epoque » est malheureusement sans surprisepour le lecteur qui assiste, impuissant, aux mauvais choix de Maude et à leurs conséquences aussi prévisibles qu’inéluctables. On devine rapidement que la vérité éclatera tôt ou tard et que les répercussions de ces révélations seront lourdes de conséquence pour nos deux héroïnes.

___Pourtant, malgré une intrigue convenue et sans surprise, je n’ai pas boudé mon plaisir de lire un roman young adult proposant une intrigue se basant sur une idée originale et exploitant plutôt judicieusement le contexte historique abordé. J’ai été séduite par les nombreux thèmes évoqués, allant de la critique des standards de beauté à la place des femmes dans la société. Même si la démonstration manque certes d’un peu d’envergure pour pleinement convaincre, l’intention n’en est pas moins louable.

Un roman qui sort des sentiers battus, et un très bon moment de lecture.

« Chimère(s) 1887, tomes 1 et 2 » de Melanÿn & Christophe Pelinq & Vincent

 

 

Tome 1 : Paris, 1887. La France de la Troisième République s’engage virilement sur la voie du progrès technique, de la croissance économique. Le canal de Panamadevrait être le symbole du rayonnement de la France à l’étranger, tout comme le sera la Tour Eiffel à Paris. La jeune Chimère est vendue pour 1000 louis aux bons soins de la Perle Pourpre, lupanar des plus sophistiqués où les messieurs en haut de forme vont trouver le repos du guerrier. Pauvre enfant, laissée à 13 ans par ses tuteurs entre les mains d’une mère maquerelle et d’hommes concupiscents… Pauvre enfant, en vérité ? Sous son air de douce et innocente victime, Chimère n’est que force et volonté obstinée. Elle est prête à tous les sourires et à toutes les faveurs pour gagner la liberté qu’elle n’a jamais eue, pour se venger d’une enfance dépossédée. Elle a en tête que le chemin entre elle et son but est une ligne droite qu’elle pourra tracer rapidement et les poings serrés. Mais la vie à la Perle se chargera de lui montrer qu’il n’y a pas de lignes droites. Du moins, pas pour les prostituées.

 

 

 

 

 

 

 

Tome 2 : Paris, 1887. Dans la maison close la Perle Pourpre, la jeune Chimère doit ployer sous la féroce autorité de la propriétaire, Gisèle. Quel secret cache cette femme impitoyable ? Elle n’a pas toujours été aussi dure et froide, et Léonardo, qui la seconde depuis toujours, va livrer à Chimère les clefs de son passé, les souvenirs d’une époque où elle était une reine des théâtres parisiens. Mais alors que dans les salons et les chambres de la Perle Pourpre se presse le tout Paris des arts, des affaires et de la politique, une sombre machination se met en place pour piéger Ferdinand de Lesseps et l’empêcher d’achever le canal de Panama.

Mon opinion

___Chimère se révèle être un personnage atypique. Loin d’incarner la jeune adolescente innocente, elle affronte les évènements d’une façon tout à fait inattendue pour une fille de son âge. A tel point que son comportement en est même déroutant parfois.

___A mon avis, son personnage aurait d’ailleurs mérité d’avoir au moins 3 ou 4 ans de plus. Même si j’imagine qu’à l’époque les gérantes des maisons closes ne devaient pas faire preuve d’un grand zèle vis à vis du respect de la législation concernant l’âge des filles qu’elles recrutaient, le choix d’une héroïne de 13 ans me paraît discutable et sa façon de faire face aux évènements est pour le moins surprenante (voire assez peu crédible parfois !) au regard de son âge.

___Ceci étant dit, si je pense que le comportement de Chimère est loin de se conformer à celui d’une fille de 13 ans, je suis en revanche convaincue que le parti-pris d’en faire une héroïne combattive, qui ne se laisse pas démonter et avec une telle trempe est vraiment judicieux face au monde dans lequel elle évolue. En effet, le courage de Chimère et sa force de caractère évitent au lecteur d’éprouver une trop grande pitié pour elle voire de donner à l’intrigue un côté vraiment trop glauque et malsain. Chimère n’est pas une martyre, c’est une jeune fille pleine de ressources qui n’aspire qu’à retrouver sa liberté le plus vite possible.

___Et c’est là que je ne peux que souligner le talent des auteurs qui parviennent à traiter un sujet ô combien périlleux avec une certaine « décence ».Car en dépit d’un sujet sordide, ils réussissent la prouesse de ne jamais sombrer dans un voyeurisme malsain. Alors certes, l’histoire est on ne peut plus ignoble, dérangeante, mais elle n’est finalement que le reflet des mœurs d’une époque qui a bel et bien existé. Et alors qu’il aurait été facile de tomber dans la vulgarité, je n’ai jamais été écœurée par la façon dont le sujet était abordé. On sent qu’il y a un effort constant de ne pas verser dans l’obscénité qui, ajouté à un travail méticuleux sur le fond historique élèvent « Chimère(s) » bien au-delà de la BD vulgaire ou pornographique qu’elle aurait pu être dans d’autres circonstances.

___Les auteurs ont finalement trouvé un parfait équilibre en étant suffisamment précis pour permettre au lecteur de saisir la violence et l’enfer dans lequel vivent les pensionnaires de « La perle pourpre », tout en nuançant le propos grâce à un dessin au trait élégant et à certains personnages qui se démarquent par leur caractère plus humain.Je pense par exemple au vieux Leonardo qui fait figure d’ingénieur-savant-fou, travaillant pour Mme Gisèle(la gestionnaire de la maison close) et qui apparaît comme l’un des rares à trouver qu’une toute jeune adolescente d’à peine 13 ans, n’a absolument pas sa place dans un lieu aussi scabreux que « La perle pourpre ». De la même façon, l’apparition du jeune Oscar dans le second tome, un jeune indigent qui tombe éperdument amoureux de Chimère au premier regard, apporte un peu d’innocence et de fraîcheur dans un univers qui en manque cruellement.

___Car en même temps que le lecteur, Chimère va se retrouver confrontée à l’envers du décor d’une maison close. Outre les exigences des clients auxquels il faut faire face, les remèdes abortifs et les avortements à répétition sont le lot quotidien des habitantes de « La perle pourpre » et rapidement, on ressent une véritable empathie pour ces bouts de femme aux histoires et aux caractères très différents. On s’attache peu à peu à certaines d’entre elles, notamment celles qui prennent Chimère sous leur aile dès son arrivée, alors qu’on en déteste d’autres qui passent leur temps à se comporter en garce et mènent la vie dure à la jeune adolescente. Dans les coulisses de la maison close, c’est une véritable vie en communauté que l’on découvre où règnent aussi bien l’entraide et le soutien que la rivalité et le mépris.

___Mais Chimère(s) ne se contente pas de raconter la vie à « La perle pourpre ». En parallèle, c’est toute une intrigue politique qui se dessine autour de la construction du canal de Panama. Un projet ambitieux qui peine à voir le jour et dont le coût ne cesse de croître. Sans compter que sur le terrain, les incidents et les contretemps s’enchaînent, et que Wintston Burke, un américain, est prêt à tout pour s’approprier le chantier. Ce volet de l’histoire est l’occasion de découvrir, à travers de superbes illustrations, un Paris en pleine mutation (avec notamment l’édification (contestée) de la célèbre Tour Eiffel !). En outre, ces passages sont autant d’opportunités pour le lecteur de quitter temporairement l’ambiance étouffante de la maison close.

___Finalement, si le premier tome fait figure d’introduction en plantant le décor et les bases du scénario, c’est dans le second que se rejoignent véritablement les deux volets de l’histoire qui gagne en intensité et en intérêt. D’autre part, ce deuxième volet est aussi l’occasion de voir commencer à se dessiner une nouvelle intrigue tournant autour du passé de Gisèle, la tenancière de « La perle pourpre ». Le lecteur découvre un aspect de sa vie alors insoupçonné et une jeune femme aux antipodes de la gérante impitoyable que l’on connaissait jusqu’ici. Autant de révélations inattendues qui, ajoutées à certains rebondissements, permettent à l’histoire de prendre un virage intéressant et laissent entrevoir une suite aussi prometteuse qu’imprévisible. Autant vous dire que je serai indubitablement au rendez-vous !

Un premier tome d’introduction qui nous plonge au cœur d’une maison close dans Paris à la fin du XIXième siècle aux côtés d’une héroïne au caractère atypique pour son âge. En dépit d’un sujet volontiers sordide, les auteurs parviennent à ne jamais sombrer dans un voyeurisme malsain et à construire une intrigue de qualité qui s’étoffe et gagne en intensité dans un second tome encore meilleur que le premier. Le trait alerte de Vincent donne véritablement vie aux personnages alors que les couleurs et le souci du détail plongent le lecteur dans un XIXième siècle plus vrai que nature.

En somme, « Chimère(s) » s’adresse donc à public averti, mais se révèle surtout être un vrai petit bijou. Une série que je vais suivre de près (6 tomes sont programmés en tout), avec un troisième opus prévu courant 2013 et que je m’empresserai de me procurer !