• Quatrième de couverture •
A la fin du XIXe siècle, Montmartre est un quartier interlope. Un quartier où les bourgeoises viennent s’encanailler auprès des voyous et des filles de mauvaise vie ; où les vols et les bagarres sont fréquents, alors que la police des moeurs fait des descentes régulières dans les établissements mal famés. C’est là, dans les salles enfumées des bals, que Toulouse- Lautrec gagne sa réputation de peintre du vice et des bas-fonds…Mais au début de l’année 1895, une sordide affaire secoue le milieu de la nuit montmartroise : des jeunes femmes de bonne famille disparaissent, sans témoins… Très vite, les soupçons se concentrent sur l’entourage de Toulouse-Lautrec, que les moeurs peuvent facilement impliquer dans un rapt. Des individus qui figurent tous sur les tableaux du peintre, où les silhouettes des récentes disparues semblent se dessiner en arrière-plan… |
• Mon opinion •
★★★☆☆
___C’est à travers leur série « Chambres Noires », publiée aux éditions Vents d’Ouest, que Olivier Bleys et Yomgui Dumont s’étaient fait connaître dès 2010. Cette saga en 3 tomes, unanimement saluée par la critique et le public, proposait une intrigue aux relents ésotériques qui s’inscrivait déjà dans une ambiance fin XIXème siècle. En ce premier semestre 2015, le tandem revient sur le devant de la scène aux manettes de l’un des trois titres inaugurant la nouvelle collection des éditions Glénat et consacrée aux grands peintres de l’Histoire. Prévue en une trentaine de tomes, cette nouvelle série projette ainsi de réaliser autant de portraits d’artistes issus de courants et d’époques variés tout en les déclinant à travers des registres et des atmosphères diverses, allant de l’intrigue policière au récit fantastique. L’objectif ultime de la collection n’est donc pas tant de retracer la vie entière d’un peintre que d’essayer de capter au mieux la personnalité de l’artiste et de son oeuvre. Chaque volume se consacrant à un personnage précis, il constitue de fait une entité à part entière pouvant à ce titre se lire indépendamment des autres tomes. C’est donc en vue de contribuer à cette belle initiative que le duo s’est penché sur la vie du célèbre artiste Toulouse-Lautrec.

Henri de Toulouse-Lautrec
Fils du comte d’Alphonse de Toulouse-Lautrec-Monfa (1838-1913) et d’Adèle Tapié de Celeyran (1841-1930), Henri de Toulouse-Lautrec est issu de l’une des plus vieilles familles nobles de France. Atteint d’une dégénérescence osseuse, sa croissance cesse brutalement durant son adolescence à la suite de deux fractures des jambes qui le laissent infirme. Toulouse-Lautrec ne dépassa ainsi jamais la taille de 1,52m. Si son tronc était de taille normale, ses membres étaient courts, ses lèvres et son nez épais et il avait en outre un cheveu sur la langue qui le faisait zézayer. Très doué pour le dessin, il monte à Paris où il étudie auprès des peintres académiques Léon Bonnat et Fernand Cormon et se lie d’amitié avec Van Gogh. Admirateur inconditionnel d’Edgar Degas, c’est à lui qu’il doit son sens aigu de l’observation des mœurs du Paris nocturne et son intérêt pour les sujets « naturalistes ». L’artiste, intimement mêlé à la bohème parisienne de la fin du XIXe siècle, a nourri son oeuvre de cette ambiance singulière, croquant aussi bien les chansonniers des cafés-concerts que les danseuses des cabarets ou les prostituées des maisons closes. Son goût pour la fête, l’alcool et les femmes lui vaudront la réputation de peintre du vice et des bas-fonds. Cet artiste aussi passionné que prolifique sera à l’origine d’une oeuvre considérable comptant quelque 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies, et environ 5.000 dessins, avant de s’éteindre à l’âge de 37 ans, rongé par la maladie, l’absinthe et les excès de la vie.

Portrait double de Toulouse-Lautrec : le peintre et son modèle
___Personnage atypique et intrigant, Toulouse-Lautrec incarne un sujet d’étude idéal pour inaugurer la nouvelle collection des éditions Glénat consacrée aux Grands Peintres de l’Histoire. Pourtant, ne vous fiez surtout pas au titre évocateur de ce premier opus, trompeur à bien des égards, car « Toulouse-Lautrec » n’a rien d’une bande dessinée biographique retraçant la vie du célèbre peintre. Si l’artiste est bien le point de mire des premières pages, il s’efface rapidement pour laisser la place à une véritable intrigue secondaire sous les traits d’une sordide affaire de disparitions et avec pour toile de fond le milieu sulfureux de la nuit montmartroise. Cette pseudo intrigue aux circonvolutions policières prend donc rapidement le pas sur toute intention biographique. La frêle silhouette de Toulouse-Lautrec se fond en effet rapidement dans cette enquête relativement peu palpitante qui n’a d’autre intérêt que de servir de prétexte à introduire le lecteur dans les coulisses des nuits parisiennes et de donner lieu à quelques saynètes savoureuses servies par des personnages hauts en couleurs. Une impression renforcée par le dénouement expéditif qui laisse le lecteur hagard et d’autant plus sceptique quant à l’intérêt de toute cette mise en scène. A ce titre, on peut ainsi reprocher aux auteurs ce parti-pris scénaristique flirtant parfois avec le hors sujet. Si le dossier final tente bien de compenser la légèreté du volet biographique du récit, on pourra regretter que la BD ne se suffise pas à elle-même pour nous éclairer davantage sur le parcours et la personnalité de Toulouse-Lautrec.
Oscar Wilde par Toulouse Lautrec
Un sentiment de gâchis d’autant plus prégnant que si on se détache de toute considération biographique, il y a finalement peu à jeter dans cette BD inégale mais par moment fulgurante. A l’instar de ces spectaculaires planches pleine-page (autant d’astucieuses et virtuoses mises en abymes qui nous laissent subjugués d’admiration), de ces mécanismes lexicaux à tiroirs, ou encore de ces répliques pleines d’esprits, truffées de références et de bons jeux de mots. Mâtiné d’humour et fourmillant de références aussi éclectiques qu’inattendues, le rythme soutenu du récit est à l’image de l’oeuvre joyeuse et spirituelle de son sujet. On se perd avec délice dans ces décors fourmillant de détails restituant à la perfection l’ambiance si particulière d’une époque étourdissante, culturellement foisonnante et profondément fascinée par l’exotisme (notamment par l’Orient) ! Le trait dynamique et expressif de Dumont ainsi que le jeu des coloris rappellent habilement le style incisif et typé de l’artiste et nous fait plonger avec délice dans le tourbillon des nuits parisiennes. Puisant ainsi dans de nombreux registres, il peine à se dégager une couleur dominante dans ce grand fourre-tout où se croisent pêle-mêle de nombreux personnages, tous truculents, allant de la grande goulue (de son vrai nom Louise Weber) à Oscar Wilde, qui fait alors l’objet d’un procès pour homosexualité en Angleterre.
___Quoique les intentions réelles des auteurs demeurent finalement floues, ce récit semble donc davantage se revendiquer comme une tentative de capter l’essence d’une époque que celle de brosser un portrait fidèle de l’artiste. Si l’on peut effectivement considérer que les extravagances et les moeurs parfois dissolues de la Belle Epoque illustrent parfaitement la personnalité de Toulouse-Lautrec, on pourra déplorer de ne le voir ici qu’en filigrane d’une intrigue le mettant en définitive peu en valeur.
___On sort finalement de cette représentation haute en couleurs avec un avis en demi-teinte. Car si l’immersion dans ce Paris de la Belle Epoque parfaitement restitué est une franche réussite, on regrette en revanche qu’elle se fasse au détriment du sujet initial et à travers une intrigue malheureusement bancale, qui peine à nous captiver.
Malgré une entame accrocheuse et pleine de rythme, « Toulouse-Lautrec » ne parvient pas à concrétiser le potentiel que laissait pourtant entrevoir les premières planches. La narration prend rapidement un virage inattendu sous les traits d’une intrigue secondaire aux circonvolutions policières, maladroitement menée et peu captivante, se concluant en prime par un final granguignolesque des plus surréalistes. On pourra de fait reprocher aux auteurs de ne pas aller au fond des choses, se perdant dans une intrigue aux relents policiers peu convaincante, car plombée par un scénario qui laisse sérieusement à désirer, et qui donne parfois au récit des allures de fourre-tout dépourvue de fil directeur pertinent.
La vocation première de cet album n’est donc pas tant de retracer la vie du peintre que de tenter de restituer au plus juste l’atmosphère de l’époque qui caractérise le mieux son art. De ce point de vue, cet album servi par un graphisme dynamique et un ton plein d’esprit offre une immersion parfaite dans le Paris du tournant du siècle! On se régale des décors fourmillant de détails et des personnages truculents surgissant de toute part. Les traits d’esprit et les références multiples et inattendues fusent à chaque planche, conférant au récit un rythme étourdissant! Figure emblématique des nuits parisiennes de la Belle Epoque et créateur d’une vision légendaire de la capitale de la fin du XIXème siècle, Toulouse- Lautrec a fixé à travers ses oeuvres le parfum d’un certain esprit français parfaitement restitué dans cet album. Empruntant des chemins détournés au risque de perdre le lecteur en cours de route, ce portrait de l’artiste se révèle en définitive plus symbolique que rigoureux. Subsiste ainsi après la lecture un goût d’inachevé, le sentiment d’un sujet davantage effleuré que réellement traité et dont la frêle silhouette se fond et se perd dans les recoins d’une intrigue malheureusement bancale et peu entraînante.
Je remercie chaleureusement les éditions Glénat pour cette découverte! 🙂
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