« Louise, le venin du scorpion » de Chantal Van Den Heuvel et Joël Alessandra

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Quatrième de couverture

Louise,
Tu étais la beauté, l’esprit, la grâce incarnés. Et ton jeu était sublime.
Pourtant, un seul film, Loulou, aura marqué ta carrière.
Hollywood, « l’inhumaine usine à films », t’a très vite blacklistée.
Parce que tu en refusais les règles ? Sans doutes…
Mais aussi, tu disais de toi-même : « Je suis le poignard de ma propre plaie ».
Pourquoi, Louise ?
  • Mon opinion

★★★★☆

___Vedette emblématique du cinéma muet, les oeuvres consacrées à Louise Brooks se comptent pourtant en France sur les doigts d’une main. De fait, il était donc grand temps que des auteurs s’intéressent à la vie de cette actrice devenue l’archétype de la femme libérée des années folles. Faire sortir Loulou du silence et réhabiliter cette star injustement tombée dans l’oubli, tel est le pari de Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra, à travers une bio graphique de 120 pages retraçant la vie de l’icône.

___C’est à Berlin, en octobre 1928 que s’ouvrent les premières pages de « Louise, le venin du scorpion ». L’actrice américaine arrive tout juste en gare, accueillie par le réalisateur Georg Pabst qui l’a choisie pour tenir le premier rôle dans son film Loulou ou la boite de Pandore.

Au rythme des flashbacks, on revit ensuite l’ascension fulgurante de la petite danseuse du Kansas. De ses premiers spectacles à son arrivée à New-York où elle intègre les cours de l’école Denishawn, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra nous entraînent dans les pas de cette artiste en devenir. Là-bas, elle noue une forte amitié avec Barbara Bennett, goûte les délices de Broadway et travaille son futur personnage de scène. Après avoir participé à une importante tournée avec la troupe Denishawn, elle est brutalement renvoyée en raison de son existence dissolue et de l’influence néfaste qu’elle exerce sur la moralité et la réputation de la compagnie. Barbara lui dégote alors rapidement une place de girl aux Scandals ; un emploi que la danseuse quitte quelques temps plus tard avant d’embarquer pour l’Europe. Louise retourne ensuite à Broadway où elle intègre les Ziegfeld Follies. Repérée par un des directeurs de la Paramount, elle tourne un bout d’essai pour un petit rôle et débute bientôt une carrière cinématographique.

___Dans un rythme ciselé entre présent et passé, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra nous font progressivement pénétrer dans l’intimité de l’actrice à la frange sombre et aux yeux envoûtants. Personnalité borderline, en permanence sur la brèche, on découvre une jeune femme blessée, qui tente désespérément de rompre avec les traumatismes d’une enfance volée à l’âge de neuf ans. Dénuée de tout instinct maternel, sa mère, aussi toxique que peu aimante, lui aura cependant transmis sa passion pour l’art et la littérature. En mal d’amour, Louise trouve ainsi refuge dans la danse, les livres et les hommes. Au cours de sa vie, elle enchaîne les relations amoureuses et multiplie les aventures. Autour d’elle les hommes se succèdent : impresarios, producteurs, réalisateurs, acteurs… tour à tour amants ou époux, ils s’éclipsent rapidement après avoir fait une brève apparition dans le film de sa vie. Et puis Louise lit. Sans cesse et avec voracité pour tuer les moments d’attente et l’ennui qui accompagnaient les tournages. Intelligente sans pédanterie, elle dissimule derrière ses attitudes théâtrales et son esprit affuté une profonde mélancolie.

Pourtant, loin de s’apitoyer sur son sort, Louise assume jusqu’au bout cette liberté qu’elle revendique et les conséquences qui en découlent. Véritable électron libre, elle refuse de se plier à l’esclavage des usines de films de Hollywood. Et tandis que se profile l’ombre menaçante du cinéma parlant (évènement qui fit l’effet d’une bombe dans l’industrie cinématographique), c’est bien son franc parler et sa liberté d’esprit qui poussent l’actrice à claquer les portes des studios pour aller tourner en Europe.

___Une liberté qu’elle paiera pourtant au prix fort : celui de la solitude. Louise est aussi abandonnée qu’elle est inoubliable. Délaissée par ses amants puis par les studios, elle s’enfonce peu à peu dans le désespoir et l’oubli. .. avant de renaître de ses cendres. Ses films sont redécouverts au début des années 50 par des historiens du cinéma français. Et l’actrice se voit progressivement réhabilitée à l’occasion de l’exposition des « 60 ans de cinéma ».

___Insérant astucieusement encarts de presse et extraits de films à la narration, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra passent en revue l’existence tumultueuse de cette enfant terrible, danseuse de formation, iconoclaste par nature. De son ascension fulgurante à son progressif déclin en passant par sa période de gloire, les auteurs dressent un portrait captivant et sans concession de cette actrice devenue l’archétype de la flapper des années folles. Symbole de la femme libérée, les jeunes filles s’inspirent massivement de sa coupe à la garçonne qu’elles reproduisent à l’infini. Une coiffure qui va devenir sa marque dans le monde entier.

___Si cette « bio-graphique » remarquablement documentée a donc le mérite de nous faire (re)découvrir une légende du cinéma muet, force est de constater que l’ensemble pêche un peu d’un manque d’émotions, aussi bien dans la narration que dans le graphisme. Joël Alessandra nous livre une Louise sombre (tant au sens littéral que visuellement) qui tend parfois à perdre en expressivité et en aspérités…

Une tonalité qui destine de fait davantage cette BD aux fans de la première heure de Loulou. Les lecteurs peu familiers de l’actrice éprouveront en effet probablement quelques difficultés à s’attacher au personnage et à apprécier les paradoxes et les zones d’ombre de cette femme à la fois magnétique et animée de pulsions autodestructrices.

___Narrativement, les deux auteurs – à l’image de leur sujet – ne s’embarrassent pas toujours de rigueur, s’autorisant quelques libertés avec la chronologie et empruntant quelques raccourcis pour évoquer cette vie semée de drames. Format court oblige, on excusera cependant sans difficulté ces petites approximations. D’autant plus que les répliques au cordeau (aussi pertinentes que judicieusement sélectionnées) et les extraits de films (visuellement bluffants !) témoignent à eux seuls d’un travail de documentation aussi fouillé que rigoureux !

___En dépit de quelques réserves, il convient donc de saluer le bel effort du duo pour ce remarquable hommage ! Car parvenir à restituer en une centaine de pages toute la complexité d’une personnalité aussi flamboyante relevait indubitablement d’une véritable prouesse ! De ce point de vue-là, il faut bien avouer que l’album reste au final une franche réussite ! De fait, Chantal Van den Heuvel et Joël Alessandra ont su saisir avec brio ce diamant brut à la dérive, dont la force de caractère se révèle proportionnelle à sa grande fragilité. Une fois la dernière page tournée, le lecteur n’a plus qu’une envie : se replonger dans la filmographie de l’artiste aux grands yeux sombres aussi intrigante que fascinante !

Je remercie infiniment les éditions Casterman pour cette belle découverte ! 🙂

2 réflexions sur “« Louise, le venin du scorpion » de Chantal Van Den Heuvel et Joël Alessandra

  1. Je n’avais jamais entendu parler de cette BD. Louise Brooks est une femme qui me fascine et je trouve l’idée très intéressante. En plus, ton avis positif me donne vraiment envie de découvrir cette BD ^^

    Chouette blog en passant.

    • Merci ! 🙂
      Si tu es fascinée par Louise Brooks, cette BD est tout à fait pour toi et devrait te plaire! 😉 C’est une belle synthèse de la vie de cette actrice fascinante qui a marqué le cinéma muet de son empreinte.

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