« Le cercle des plumes assassines » de J. J. Murphy

Quatrième de couverture

Dorothy Parker fut l’une des femmes les plus drôles de l’Amérique. Critique, poète, scénariste, elle fut un pilier de la célèbre Table Ronde de l’hôtel Algonquin, où déjeunaient ensemble les plus fins esprits de New York. Dans ce roman qui nous fait revivre les folles années 20, elle devient malgré elle l’héroïne intrépide d’une enquête criminelle. Un matin, Dorothy découvre sous leur table habituelle un inconnu poignardé en plein coeur. Pour compliquer l’affaire, un jeune outsider, venu du Sud, un certain William («Billy») Faulkner, qui rêve de devenir écrivain, va se trouver mêlé à l’histoire. Il est le seul à avoir eu un furtif aperçu du tueur… Mené à un rythme endiablé, ce roman qui allie suspense et humour nous plonge dans l’ambiance de Manhattan à l’époque de la Prohibition. On y croise gangsters notoires, stars de cinéma, légendes littéraires, des personnes réelles côtoyant des êtres de fiction. Jeux de mots, propos acidulés, insultes à peine voilées : les répliques fusent comme des tirs de mitraillette, le tout dans une joyeuse anarchie. J.J. Murphy, admirateur de longue date de Dorothy Parker, a lancé avec ce premier roman une série autour du «cercle vicieux» de l’hôtel Algonquin. Ce roman et le troisième de la série ont été nominés pour le prestigieux prix du polar «Agatha».
  • Mon opinion

★★★★★

Dorothy Parker

Dans ce premier volet d’une série mettant en scène la critique, poétesse et scénariste Dorothy Parker, J. J. Murphy plante le décor de son roman au coeur de l’Hôtel Algonquin (point de ralliement emblématique du « cercle vicieux ») devenu brutalement le théâtre d’un crime impliquant dès lors inéluctablement ses membres. A partir de cette idée originale, l’auteur signe un roman plein de verve et gonflé d’humour qui inaugure avec brio une série pleine de promesse !

___Après avoir fait ses premières armes à Vogue, la jeune journaliste Dorothy Parker se voit confier, à l’âge de 25 ans, la chronique théâtrale de Vanity Fair, Dans les années 20, l’écrivain et chroniqueuse est au centre d’un groupe littéraire new-yorkais qui règne alors sur la vie intellectuelle et mondaine new-yorkaise. Composé d’auteurs, critiques et/ou journalistes, cette sorte d’institution intellectuelle et mondaine rassemble les esprits et plumes les plus acérées de l’époque. C’est à l’Hôtel Algonquin sur la 44e rue que la petite troupe a élu domicile. Six après-midi par semaine, ses membres ont ainsi l’habitude de se réunir autour de la Table Ronde. Célèbre pour l’humour corrosif des conversations qui s’y menaient, l’officieux « Cercle vicieux » (aussi appelé « la Table ronde de l’Algonquin ») exerce une certaine influence sur la société New-Yorkaise. Lors de ces réunions, Dottie peut ainsi éprouver son sens de l’humour caustique et venimeux qui constitue rapidement sa griffe et imprègne nombre de ses oeuvres.

Le jeune William Faulkner

___Mais un jour, alors qu’elle s’apprête à rejoindre ses camarades pour assister à l’une de leurs réunions quotidiennes, la journaliste fait une macabre découverte. Sous la Table Ronde, gît en effet le corps sans vie d’un homme poignardé en plein coeur. La victime n’est autre que Leland Mayflower, un critique de théâtre pour le Knickerbocker News. L’inspecteur Orang-outang O’Rannigan, chargé de l’affaire, ne tarde pas à passer en revue les hypothétiques mobiles (plus ou moins plausibles) ayant pu pousser chacun des membres à commettre le crime. Fraîchement débarqué du Mississippi, William Faulkner est rapidement suspecté du meurtre. Dorothy, qui vient tout juste de faire sa connaissance, ne tarde pas à le prendre le jeune auteur sous son aile et est déterminée à prouver son innocence. Epaulé par son vieil ami et collègue Benchley, Dorothy s’improvise donc enquêtrice, et les trois acolytes se lancent rapidement sur la piste du meurtrier (ou de son commanditaire). 

___S’appuyant sur une figure irrévérencieuse et emblématique du milieu littéraire des années folles, J. J. Murphy met ainsi en scène une galerie de personnages truculents et pleins de mordant, à la hauteur de leur réputation. Gravitant aux côtés de Dottie, on retrouve ainsi les autres piliers du cénacle de l’Algonquin parmi lesquels Robert Benchley, Robert Sherwood ou encore Alexander Woollcott. On se délecte des joutes verbales de ces esprits persifleurs et charismatiques qui portent efficacement cette intrigue désopilante de bout en bout ! Se montrant drôles et spirituels (même dans les circonstances les plus tendues ou les situations les plus ridicules), Dottie et Benchley forment un tandem irrésistible et attachant dont on suit les péripéties avec délectation et que l’on quitte à regrets.

___Mais que les lecteurs qui ne connaissent ni Dorothy Parker ni son “cercle vicieux” se rassurent : nul besoin d’avoir lu un de ses ouvrages pour apprécier cette enquête pleine de mordant ! J. J. Murphy s’attache en effet à rappeler les éléments contextuels indispensables permettant à tout un chacun de pleinement savourer ce condensé d’humour et d’esprit !

Le groupe du « cercle vicieux » (tirée du film « Mrs. Parker and the Vicious Circle » (1994))

___Le ton est d’ailleurs donné dès les premières pages où s’enchaînent très vite dialogues au cordeau, comique de répétition, réparties hilarantes et fignolées… L’auteur impulse ainsi rapidement une dynamique impeccable à cette enquête aussi haletante que rocambolesque. Le rythme très théâtral et les enchaînements d’atmosphères quasi cinématographiques ne laissent aucun répit au lecteur.

___La remarquable finesse des dialogues et la parfaite orchestration du récit témoignent en outre de l’irréprochable maîtrise de son sujet par l’auteur. Mâtiné d’anecdotes et dans une atmosphère parfaitement restituée, J. J. Murphy fait se croiser personnages réels et fictifs avec une incroyable aisance et enracine son enquête à une époque encore marquée par la guerre, au cours de laquelle s’esquisse un début de libération des mœurs.

___Avec ce premier volet, J. J. Murphy embrasse pleinement le parti-pris de la comédie à l’humour grinçant. Multipliant les réparties qui font mouche et grâce à un renouvellement permanent des ressorts comiques employés, l’auteur, toujours remarquablement inspiré, fait surgir des effets comiques d’une incroyable efficacité, y compris là où on ne les attend pas ! Entre véritable exercice de style et parodie littéraire, il se dégage de ce récit plein d’allant une énergie et une bonne humeur communicative !

___Dans le pur esprit des screwball comedy, le dénouement de ce polar décalé et réjouissant n’est donc pas le plus important, c’est davantage le chemin plein de détours imprévisibles et riche en surprises qui nous y conduit qui compte. L’intrigue policière sert donc ici davantage de prétexte pour épingler cette société du paraître et des faux-semblants dans laquelle gravite Dottie et où l’intérêt personnel prime sur le souci des autres. J. J. Murphy n’y va pas avec le dos de la plume pour égratigner non sans humour le microcosme mondain dans lequel évoluent ces personnages. Il se moque joyeusement de cette ambiance saturée d’hypocrisie et tourne en dérision un milieu aussi fermé que superficiel où le nombrilisme exacerbé côtoie la malhonnêteté intellectuelle. Sous le vernis des bonnes manières et de la comédie, il brosse ainsi des portraits au vitriol. On n’aurait définitivement pu imaginer plus bel hommage à une femme émancipée qui souhaita toute sa vie bousculer les mentalités de son temps.

___Il convient, pour conclure, de souligner le remarquable travail effectué par la traductrice Hélène Collon qui, au-delà du texte, s’est évertuée à restituer le plus fidèlement possible et avec une incroyable réussite les nombreux jeux de mots, subtilités grammaticales et orthographiques de l’oeuvre d’origine! Espérons maintenant que les éditions Baker Street traduisent rapidement la suite de cette série déjà pleine de charme et d’esprit !

Créatif, décapant et porté par des personnages croustillants, « Le cercle des plumes assassines » est un roman jubilatoire, s’inscrivant dans la pure tradition des screwball comedy dont il reprend avec brio les codes. J. J. Murphy enchaîne ainsi les dialogues au cordeau et les joutes verbales hilarantes avec une exceptionnelle maîtrise ! Mené selon un rythme quasi théâtral qui ne laisse aucun répit au lecteur, ce récit plein de verve oscillant entre roman policier et parodie littéraire se révèle aussi brillant que jubilatoire !

Multipliant les situations désopilantes et les traits d’esprit, ce premier opus trouve ainsi sa réussite non seulement dans les ressorts comiques à la fois inspirés et sans cesse renouvelés que dans sa galerie de personnages truculents et hauts en couleurs. C’est en outre une immersion saisissante dans le New York de l‘entre-deux guerres, marqué par la Prohibition, les Bootlegger et les speakeasies.

Egratignant au passage avec humour le microcosme mondain dans lequel gravitent ces personnages, J. J. Murphy signe un roman drôle et corrosif, à l’image de la femme sulfureuse et irrévérencieuse à laquelle il rend un très bel hommage.

Je remercie infiniment les éditions Baker Street pour ce savoureux moment de lecture ! 🙂

7 réflexions sur “« Le cercle des plumes assassines » de J. J. Murphy

  1. J’en ai l’eau à la bouche rien que de lire ta chronique! Vraiment cela me fait furieusement envie, d’autant que je suis en manque d’enquête menée tambour battant au rythme jazzy des années 20, façon « Miss Fisher »! =D Merci pour cette belle découverte!

    • La référence à Miss Fisher est de circonstance parce que le roman de J. J. Murphy est vraiment dans le même esprit en terme d’ambiance (d’ailleurs après avoir terminé le roman, je me suis replongée dans la série 😉 )… mais en beaucoup beaucoup plus drôle selon moi ^^! C’est vraiment un florilège de jeux de mots en tous genres, de répliques acides savoureuses et de dialogues d’anthologie 😀 Il faut absolument que tu lises ce roman, je suis convaincue que tu vas adorer! 😉

  2. Pingback: France Info et Ouest France parlent de nous ! | Éditions Baker Street

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